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Compte rendu session II – « Ordre et beauté, luxe, calme et volupté », la responsabilité en sus

jeudi, 29 novembre 2012
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Christophe Roulet
Rédacteur en chef, HH Journal

“Vouloir est la clé du savoir.”

« Une trentaine d’années passées dans les travées du journalisme, voilà un puissant stimulant pour en découvrir toujours davantage. »

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11 min de lecture

Pourquoi la Suisse est-elle le terreau privilégié de la Haute Horlogerie, une activité qui attire nombre de marques intéressées à diversifier leur offre, sans forcément y parvenir ? Et pour quelle responsabilité sociale en regard des conditions de travail dans les usines chinoises ? Le Forum de la Haute Horlogerie ouvre le débat.

Quel est le fil rouge entre les conditions de travail dans les usines chinoises, l’inextinguible soif des marques d’investir de nouveaux horizons, la responsabilité sociale des entreprises et la définition du luxe et de la beauté ? A priori aucun, si ce n’est le Forum de la Haute Horlogerie, un rendez-vous désormais annuel organisé par la Fondation de la Haute Horlogerie en tant que plateforme d’échange et de réflexion pour les professionnels de la branche tenu le 14 novembre dernier. Mais si ces questions semblent bel et bien aux antipodes les unes des autres, elles n’en convergent pas moins vers une même analyse des conditions de marché actuelles et de la place qu’occupe désormais l’industrie du luxe aux quatre coins de la planète en tant que véritable phénomène de consommation.

Une forme d’extase ?

Dans ce contexte, l’équation selon laquelle le luxe est équivalent à la beauté est probablement une notion sur laquelle il vaut la peine de se pencher avec le critique d’art Philippe Daverio. L’étymologie du mot « luxe » renvoie au latin luxus, un terme qui n’est pas sans évoquer la débauche, finalement pas très loin de la luxuria, la luxure, devenue un des sept péchés capitaux condamnés par une Église qui, pourtant, les a tous testés, notamment au temps de la Renaissance. Faut-il dès lors s’étonner que les Romains du temps de la République réprouvaient toute inclination luxueuse dans la sphère privée ? Seule la magnificencia, cette grandeur d’âme propre aux projets visant à magnifier le génie latin, avait gré à leurs yeux. Aussi les sénateurs étaient-ils vêtus de la toge romaine bordée d’une bande pourpre, symbole d’une simplicité de mœurs érigée en vertu. Dans le même ordre d’idées, les Romains n’avaient pas de concept précis concernant la beauté si ce n’est la pulchritudo évoquant plutôt la grâce, comme le rappelait Philippe Daverio, critique d’art et orateur lors du Forum.

Ce flou romain n’est peut-être pas fortuit dans la mesure où les Grecs eux-mêmes, partagés entre Platon et Aristote, entre monde intelligible et connaissance métaphysique, ne pouvaient imaginer la beauté autrement que comme un corollaire du bien donc du vrai, le fameux καλὸς κἀγαθός attesté depuis Hérodote. De là à penser que la beauté en tant que telle n’existe pas autrement que comme un pur produit social, pour Philippe Daverio, la conclusion s’impose. Pour preuve, les « beautés » féminines de Botticelli et de Rubens, les unes minces et filiformes, les autres au seuil de la cellulite chronique. Quid de l’horlogerie dans un contexte contemporain où luxe et beauté semblent bel et bien répondre à une forme d’extase, comme le laisseraient entendre les vers de Charles Baudelaire : « Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe calme et volupté » (« L’invitation au voyage », Les Fleurs du mal, 1857). Sans refaire l’historique de la genèse horlogère dans la cité de Calvin, pour Philippe Daverio, cette activité relèverait presque de la prédestination, adossée à une forme d’élégance héritée de la culture française. Elle a ainsi donné naissance à ces artefacts qui, littéralement, « disent l’heure », ancêtres de la montre aujourd’hui perçue comme symbole de cette lecture cyclique du temps qui fascine, non par sa beauté, qui, finalement, n’existe pas, mais par sa fonction première, rappelant que le luxe est également affaire de temporalité.

D’énormes opportunités de croissance

Cette temporalité, les marques auraient tendance à la vivre dans l’immédiat, obsédées qu’elles sont pour nombre d’entre elles à décliner leur logo sur une variété de produits toujours plus grande. Une approche qui prend tout son sens, selon Dominique Turpin, président de l’IMD, la prestigieuse business school de Lausanne qui accueillait le Forum de la Haute Horlogerie. Mais pas à n’importe quelles conditions. Les exemples de réussite sont toutefois suffisamment nombreux pour que certains d’entre eux soient devenus de véritables cas d’école. Que l’on songe à General Electric, passé avec succès d’avionneur à fournisseur de services financiers, à Montblanc, spécialiste d’instruments d’écriture devenu également horloger, ou encore à Caterpillar, incontournable constructeur de bulldozers mué en fabricant de chaussures. À l’inverse, McDonald’s a échoué dans la pizza, Bic dans les sous-vêtements jetables, Heinz dans la moutarde et Xerox dans les ordinateurs.

Ce qui peut sembler logique en termes de diversification pour le management d’une marque ne l’est pas forcément pour le consommateur.
Dominique Turpin

Pour Dominique Turpin, ces derniers cas d’échec montrent que si une différentiation entre produits d’une même marque est par trop limitée, l’aventure ne vaut pas la peine d’être vécue. Surtout si la valeur perçue par le consommateur n’est pas à la hauteur de ses attentes. « Ce qui peut sembler logique en termes de diversification pour le management d’une marque ne l’est pas forcément pour le consommateur, expliquait-il. Ceux-ci n’achètent pas une stratégie mais bel et bien une solution à même de venir à bout de leurs “maux de têteˮ, pour parler concrètement. » Alors quelles sont les clés d’une réussite parfaitement représentée par des entreprises comme Yamaha, dont la réputation n’est plus à faire dans des domaines aussi variés que les motos, les pianos ou les chaînes stéréo ? Pour Dominique Turpin, toute diversification doit amener une valeur significative au consommateur, et celle-ci doit absolument tirer avantage de l’aura de la marque. « En quelques mots, concluait-il, les trois facteurs clés consistent à arriver avec une nouvelle proposition en termes technologiques et/ou de design, proposition qui doit être consistante avec la marque, notamment au niveau de la communication, tout en amenant une véritable différentiation sur le marché. Alors oui, si ces ingrédients sont réunis, l’extension d’une marque, même si elle ne représente pas la panacée, offre d’énormes opportunités de croissance. La jeunesse éternelle d’une marque est peut-être à ce prix. »

« Building shared value »

Question diversification d’une marque, Nestlé en connaît un rayon. Mais pour Peter Brabeck-Letmathe, président de son conseil d’administration, l’un des enjeux majeurs auxquels sont confrontées les multinationales est aujourd’hui d’entretenir une croissance permettant de réduire leur empreinte sur la société et l’environnement. « Il n’y a pas si longtemps, les compagnies se souciaient presque exclusivement de la valeur qu’elles étaient à même de créer pour leurs actionnaires, la fameuse share holder value, sans se préoccuper d’une quelconque responsabilité sociale, expliquait-il au Forum de la Haute Horlogerie. Et pour avoir bonne conscience, elles versaient des dons à la communauté de manière philanthropique en pensant pouvoir se racheter via ces apports financiers. Chez Nestlé, nous avons initié une réflexion selon laquelle la croissance ne peut se concevoir autrement que comme une création de valeur tout à la fois pour les actionnaires et la société, ce que nous avons appelé “building shared valueˮ. En d’autres termes, ces questions qui étaient à la périphérie des préoccupations entrepreneuriales il y a quelques années sont devenues des questions majeures que nous devons résoudre. »

Chez Nestlé, le processus a ainsi démarré en 2006 pour doter dans un premier temps l’organisation d’un code de conduite et de principes légaux répondant aux standards les plus élevés. Il en a découlé une approche du développement durable devant répondre aux besoins du présent sans hypothéquer les générations futures. La création de valeur est à ce prix. Et pour Nestlé, la croissance aidant, elle prend la forme de programmes de nutrition, de développements ruraux et d’accès à l’eau, soit autant d’initiatives menées en parallèle avec ses activités commerciales, toutes deux comprises comme les versants d’une même marche en avant vers un monde meilleur. Nestlé a d’ailleurs fait des émules. Nombreuses sont aujourd’hui les multinationales sensibilisées à ces valeurs qui se joignent à une démarche pensée comme le corollaire indispensable et naturel à tout essor économique.

 

Nombre d’observateurs ont dénoncé des méthodes de production à la limite de l’oppression.

En termes d’essor économique, inutile de dire vers quel pays les regards se tournent. La Chine, devenue récemment la deuxième puissance économique mondiale, représente aujourd’hui l’un des moteurs de croissance pour l’industrie du luxe au sens large. Mais pour quelles conditions de travail dans des usines où nombre de produits prennent le chemin des pays occidentaux ? Depuis quelques années, nombre d’observateurs ont dénoncé des méthodes de production à la limite de l’oppression, ayant notamment permis au Céleste empire de devenir l’usine du monde. Cette image, sorte de cliché communément propagé, n’est pas conforme à la réalité, selon Leslie T. Chang, journaliste et auteur de Factory Girls, un livre qui retrace le quotidien de ces jeunes femmes employées dans les usines chinoises. « Les travailleurs chinois ne sont pas enrôlés de force dans des usines par le simple fait que nous tous sommes de grands consommateurs d’iPod. Ils quittent leur village des zones rurales pour rejoindre la ville dans le but de gagner de l’argent, d’acquérir de nouvelles connaissances, de s’améliorer au niveau professionnel et de voir le monde. Et cette expérience les change à jamais. Les récents débats concernant les conditions de travail dans ces usines ont complètement occulté ce que les travailleurs eux-mêmes pensent et disent. »

Comme le mentionne Leslie T. Chang, ces travailleuses évoquent très rarement leurs conditions de vie, que la plupart des Américains considéreraient comme fort similaires à une forme d’incarcération. Et si la plupart d’entre elles sont pratiquement incapables de dire à quoi sert leur travail, elles n’en voient pas moins leur nouveau statut d’ouvrière comme une forme de promotion sociale qui leur permettra de s’émanciper, de rencontrer l’âme sœur et de faire un bon mariage. « En ce sens, conlut Leslie T. Chang, il est totalement vain de calculer combien de mois de salaire seraient nécessaires à l’une de ces travailleuses pour acquérir ce qu’elle contribue à produire comme un iPhone. En Chine, il y a 150 millions de travailleurs migrants, dont un tiers de femmes, qui ont quitté leur village d’origine pour travailler dans des usines, des restaurants, des hôtels ou des sites de construction des grandes agglomérations du pays. Ils représentent la plus importante migration de l’histoire de l’humanité. Et cette expérience a fondamentalement changé leur manière de travailler, de se marier, de vivre et de penser. Très peu d’entre eux voudraient revenir en arrière. Devons-nous nous sentir coupables pour autant lorsque nous achetons ces produits “made in Chinaˮ ? Je ne pense pas. Mais, quoi qu’il en soit, cette question a une importance toute relative face à cette immense marche en avant. »

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