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Quelle expérience client à l’ère numérique ?
Economie

Quelle expérience client à l’ère numérique ?

mardi, 14 mai 2019
Par Laurent Francois
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Laurent Francois
Rédacteur, ReUp

A la croisée des sous-cultures et du digital

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12 min de lecture

Que signifie « expérience client » ? Où et comment se matérialise-t-elle ? Comment les communautés sont-elles impliquées ? Explications de Marie Taillard, professeure et détentrice de la chaire L’Oréal à l’ESCP pour le Marketing créatif.

Les expériences clients ont beaucoup changé avec l’avènement des réseaux sociaux. Nombre d’industries ont adapté leurs stratégies en ligne et en boutique pour satisfaire les nouvelles attentes des clients. Une industrie, celle de la Haute Horlogerie, qui jusqu’à présent semblait à la traîne sur ces deux fronts, rattrape aujourd’hui son retard et développe de nouvelles expériences clients.

Quelle est votre définition d’« expérience client » ?

L’une des raisons pour lesquelles la notion d’« expérience » est aussi difficile à décrire vient du fait qu’elle intègre une très grande variété d’événements, gérés et contrôlés par différentes personnes, y compris par moi et tous les autres clients. L’expérience commence dès mes premiers contacts avec la marque et ne s’interrompt que si je décide de les rompre pour une raison ou pour une autre. Ces points de contact sont divers et hétéroclites, de la première recherche sur Google pour un cadeau à mon expérience en boutique, en passant par le post Instagram d’un ami ou le plaisir d’offrir sa première montre à ma fille. C’est l’accumulation de ces différents moments et ce qu’ils signifient pour moi, dans mon parcours client, qui va contribuer à forger mon expérience. Il n’est donc pas surprenant que le terme soit pluridimensionnel.

La boutique est aujourd’hui perçue davantage comme un endroit de découverte et moins comme un lieu de vente. Êtes-vous d’accord ?

De nombreux points de contact, la plupart d’entre eux en réalité, ne sont pas « médiatisés » par les marques. Ils échappent de ce fait à leur contrôle. Lorsque je vois l’une de mes amies arborant une magnifique montre à son poignet et qu’elle me raconte combien elle l’aime, une grande partie de ce qui en fait une expérience positive n’est pas maîtrisée par la marque mais bien par la relation que j’entretiens avec mon amie. L’une des choses dont les gens de marketing ne sont pas suffisamment conscients, c’est que l’expérience est une cocréation. Une collaboration entre moi, la marque et toutes les autres personnes qui font partie de l’histoire. Chacun de ces participants contribue, de façon consciente ou non, à construire ma propre expérience. Si le vendeur est de mauvaise humeur ou mal informé, cet aspect négatif va faire partie de mon expérience de la marque. Si l’anniversaire de ma fille est un vrai succès, il en fera aussi partie. Mes attentes, et le fait qu’on y réponde ou non, deviennent ainsi un aspect important de mon expérience. Les facteurs qui entrent en ligne de compte sont donc émotionnels, fonctionnels, culturels et sociaux. Et ils ont tous un rôle à jouer dans l’expérience que je me construis de la marque. Pour des produits à faible implication, comme les yaourts, l’importance de ces facteurs est limitée et de courte durée. En revanche, pour des articles à forte implication, comme les produits de Haute Horlogerie, chacun de ces facteurs complexes peut jouer un rôle important et avoir une incidence à long terme. Chaque aspect compte, chaque détail a son importance dans cette cocréation de mon expérience.

Quelles sont les marques qui maîtrisent l’expérience client et pourquoi ?

Comme je viens de le mentionner, mon parcours client est long et complexe pour un produit à forte implication comme ceux de Haute Horlogerie. Afin de garder le plus de contrôle possible sur mon expérience, vous, en tant que marque, devez faire tout ce qui est en votre pouvoir en assurer la gestion en interne et ce, jusque dans les moindres détails. Au point de pouvoir vous immiscer dans ces moments de vie durant lesquels je serai la plus réceptive à un contact positif. Des moments durant lesquels vous pourrez démontrer que vous m’êtes utile et que vous répondez à mes besoins et mes émotions, que ce soit dans un aéroport lors d’un départ en vacances, à une réception donnée par des amis ou pendant un week-end de détente dans un spa haut de gamme. Cette prise de contact sera une bonne base sur laquelle construire une relation et une expérience durables. À partir de ce moment, tout se joue dans la gestion de mon parcours afin que chaque nouveau contact complète le précédent. Parcours qui comprendra, bien sûr, à un moment ou un autre, l’acte d’achat lui-même mais selon mes besoins et le mode d’acquisition qui me convient. Tout contact ultérieur est à envisager comme une extension de mon expérience pour faire de moi une clientèle loyale et fidèle.

Alors oui, les points de vente traditionnels ne sont plus de simples lieux d’achat ou de vente. Mais cela veut dire aussi qu’en tant que client je me construis mes propres points de vente partout et à n’importe quel moment. Si, après avoir fait la connaissance de votre marque et après avoir appris à l’apprécier, je décide tout à coup qu’il est temps pour moi d’acheter une montre sur mon téléphone alors que je suis dans l’avion en partance pour Tokyo, alors il vous faudra pouvoir m’accompagner à ce moment et en ce lieu.

Quels sont les compétences, outils et ressources essentiels pour pouvoir répondre à ces nouvelles attentes du client ?

La première marque de luxe à avoir pris conscience des changements en cours est Burberry, alors dirigé par Angela Ahrendts. Elle avait compris que le point de vente de luxe pouvait être réinventé comme un lieu de découverte et d’engagement. Elle avait saisi le concept du « n’importe où et à n’importe quel moment » dans cet univers du luxe et a révolutionné la marque pour qu’elle s’adapte. Je viens de découvrir les nouvelles Galeries Lafayette Champs-Élysées à Paris et l’expérience qu’elles proposent. Voilà un bon exemple d’innovation. Les dirigeants ont en effet réussi à se concentrer sur les relations humaines avec les nouvelles technologies comme point d’appui. Le magasin et ses boutiques hébergées deviennent un lieu de conversation et de découverte au point que la vente devient presque secondaire. Cela ne veut pas dire que le magasin se transforme en musée mais bien que l’accent porte sur des parcours de vie et non sur le point de vente en tant que tel. Et vous savez quoi ? En se concentrant sur les formes d’interaction qu’ils peuvent avoir avec moi, ils apprennent à mieux me connaître. Et ils le font avec humanité, en offrant les services d’un conseiller, le vrai métier de tous les employés qui vont poser les bonnes questions pour comprendre qui je suis. Cela leur donne l’occasion de récolter des données lors de ma visite, en me mettant à disposition un cintre connecté, par exemple, qui va enrichir mon expérience. Voilà comment connecter l’humain, le traitement de données, l’expérience et toutes les valeurs qui en découlent.

Les différents marchés ont-ils des approches marketing différentes ?

La première des compétences à développer pour votre marque, lorsque vous vous concentrez sur l’expérience client, c’est l’empathie. Ces dernières années, surtout depuis l’avènement du « design thinking », l’empathie a été reconnue comme l’une des compétences clés, non seulement en termes de marketing et de vente mais pour le business en général. Satya Nadella, le dirigeant de Microsoft, est d’avis que l’empathie est probablement la qualité la plus importante dans le cadre professionnel. Par « empathie », on veut dire cette faculté que vous avez de vous mettre à ma place. Cette capacité à imaginer ce qui va rendre mon expérience plus enrichissante, quelle en sera la prochaine étape, ce qui est important à mes yeux et ce qui ne l’est pas. Certaines personnes ont plus d’empathie que d’autres, mais cette qualité peut aussi se cultiver. Comme autres compétences, on citera également la créativité et la collaboration. La première signifie que vous êtes en mesure de réfléchir de manière globale pour réinventer mon parcours client et concevoir des solutions pour moi, quels que soient l’environnement et les canaux à disposition. La seconde implique que vous soyez capable de travailler avec un grand nombre de personnes différentes dans votre écosystème afin de proposer une expérience « multicanale » qui soit la plus pertinente pour moi.

Le traitement des données complète la créativité pour constituer une arme secrète redoutable.
Marie Taillard

De pair avec la créativité : les compétences analytiques qui vous permettront de comprendre comment répondre de manière rigoureuse et méthodique aux questions créatives qui ont été posées. Le traitement des données complète la créativité pour constituer une arme secrète redoutable. Ne croyez pas une minute que les marques reconnues peuvent se passer d’analyses des données. Pour revenir à la question, alors qu’on note quelques différences culturelles entre un client chinois, un client européen et un client latino-américain, je dirais que la plupart de ces différences ne résisteront pas à un examen rigoureux et finiront par devenir purement anecdotiques. Si on se concentre par exemple sur un groupe de clients aisés qui voyagent beaucoup, je vous recommanderais plutôt de voir chaque client comme un individu unique demandant une attention unique, plutôt que de perdre du temps à développer des théories basées sur des stéréotypes culturels. J’observe davantage de similitudes entre individus de génération Z provenant de différentes cultures qu’entre différentes générations d’un même continent. Alors peut-être que les différences générationnelles pourraient être utilisées comme segmentation de marché, mais personnellement je crois bien davantage à une segmentation par individus ou, sinon, par microsegments.

Dans la cosmétique, nous avons remarqué un rôle croissant des communautés dans l’expérience client. En va-t-il de même dans le luxe et la Haute Horlogerie ?

Les communautés ont aujourd’hui un rôle prépondérant dans la construction des marques pour lesquelles les gens se passionnent. J’ai conduit des études sur les communautés Lego, par exemple, et elles sont extrêmement puissantes et précieuses pour la marque. J’observe aussi l’importance des communautés pour les produits cosmétiques et d’hygiène personnelle. Il y a donc tout lieu de croire que les communautés peuvent également avoir une influence importante dans l’univers du luxe. Non seulement les clients sont passionnés, mais ils ont aussi envie d’exprimer leur attachement à la marque et la connaissance qu’ils en ont, de la marque et de ses produits.

Il y a donc une place pour les communautés dont l’impact sur le secteur de la Haute Horlogerie peut se révéler important. Mais on doit s’adresser à elles avec déférence et empathie. Souvenons-nous de la règle de base entre médias gratuits et médias payants : plus on contrôle et moins on est crédible. Les communautés doivent avant tout être responsabilisées et pouvoir prospérer indépendamment de la marque. Sans autonomie, elles vont s’étioler faute de ce tissu social qui donne envie aux gens d’y participer. Si ce tissu social existe, les opportunités de cocréation pourront se développer sans menacer leur intégrité. Il s’agit donc de construire des plateformes, au sens propre comme au figuré, qui peuvent se développer en marge de la marque. Encore un sujet de discussion passionnant !

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