En 13 minutes, la réf. 1518 de Patek Philippe, un chronographe à calendrier perpétuel et phases de lune en acier de 1943 existant en quatre exemplaires, s’est envolée à 11 millions de francs. Un nouveau record absolu pour une montre-bracelet, surpassant et de loin les 7,3 millions obtenus par une autre Patek Philippe, la réf. 5016, vendue à Only Watch en 2015. Explications du commissaire-priseur Aurel Bacs.
J’avais évidemment une idée du montant que pouvait atteindre une telle pièce. Une estimation qui a d’ailleurs évolué au fil des semaines et des inscriptions des collectionneurs à la vente. Je dois cependant bien avouer que j’ai été moi-même très surpris par ce résultat, qui a dépassé mes attentes de plusieurs dizaines de pourcents.
C’est une question de passion et d’émotion. On ne peut pas l’expliquer autrement. Rationnellement, on peut en effet observer ce qui se passe dans d’autres secteurs – celui de l’art notamment – ou tirer des parallèles avec d’autres montres-bracelets qui ont été adjugées pour des montants conséquents, toutefois guère au-delà des 4 et 6 millions. Mais à ces niveaux, on tombe clairement dans l’émotionnel. C’est d’ailleurs ce qui fait toute la beauté de cet univers de collectionneurs où l’on ne peut pas tout expliquer. Ce que l’on peut dire finalement, c’est que les montres qui performent sont des pièces de qualité. Et « qualité », dans le vintage, regroupe plusieurs choses : l’originalité, un élément essentiel, l’histoire, à la fois de la pièce et de son propriétaire, l’état de la montre et l’esthétique. Intervient enfin le phénomène de rareté selon la loi de l’offre et de la demande.
Cet engouement souligne la recherche de valeurs traditionnelles dans un monde en crise et en profonde mutation.
C’est effectivement un phénomène que l’on observe partout. Et pour ce qui est de l’horlogerie, on peut en effet se demander pourquoi les amoureux du vintage achètent des montres bourrées de handicaps alors qu’une pièce contemporaine sera parfaite et couverte par une garantie. Comme une étude menée par une université aux États-Unis tend à le démontrer, cet engouement souligne la recherche de valeurs traditionnelles dans un monde en crise et en profonde mutation. Il marque un respect de l’objet, du fait main, à un moment où nous sommes envahis de produits jetables. Du coup, ils deviennent des objets phares auxquels on s’attache en sachant qu’ils sont là pour durer.
Pour moi, l’horlogerie a vécu une période charnière, une forme de rupture qui me fait dire qu’il y a un « avant- » et un « après-années 1980 ». Avec le renouveau de la montre mécanique et l’augmentation des volumes, l’industrialisation est passée par là, synonyme de chaînes d’usinage sur machine CNC ou de conception assistée par ordinateur, pour prendre deux exemples. Cela ne signifie pas que tout est à jeter après les années 1980, mais les manufactures ont changé de niveau en termes de technologie. En conséquence, les perspectives changent également si l’on considère les produits.
Ce n’est clairement pas une menace en termes comparatifs. Cela dit, il s’agit de relativiser. Si l’on prend le résultat cumulé des enchères réalisées par la totalité des Maisons actives dans l’horlogerie, on arrive à un chiffre d’affaires annuel de l’ordre du milliard qu’il faut diviser par deux pour tenir compte des enchères sur des pièces contemporaines. Or ces 500 millions représentent à peine 1,5 % du marché de détail des grandes manufactures de la branche. Nous sommes donc clairement dans un marché de niche. In fine, les personnes qui achètent une montre mécanique à 10 000, 20 000 ou même 100 000 francs, que cherchent-elles ? De la précision, une étanchéité à toute épreuve, des complications, ou bien est-ce du romantisme, de la sensualité, de l’exclusivité ? À mon avis, les objets de luxe ou plutôt les objets qui dépassent nos besoins quotidiens, car je n’aime pas parler de « luxe », doivent être stimulants, satisfaisants, intemporels. Et les montres vintage classiques remplissent ce rôle à merveille !