Baselworld ou les vertus du réalisme

« Quelles sont les pièces horlogères qui vous ont frappé sur le Salon ? », « Qu’avez-vous vu de beau ? ». Tels sont les premiers mots qui reviennent systématiquement lors de chaque entretien réalisé avec les représentants des Maisons horlogères durant Baselworld, manifestation majeure de la branche qui s’est tenue du 9 au 15 mars derniers. Faut-il s’en étonner ? Pris dans la tourmente de ce rendez-vous incontournable, qui a attiré 104’300 visiteurs (+ 1 %) auprès des 1’815 exposants (- 4 %), les professionnels de la branche n’ont guère le temps de musarder dans les travées et tentent donc de s’informer auprès de ceux qui parcourent les kilomètres indispensables pour découvrir l’offre de l’année.

Retenue sur les prix

Mais si la question peut paraître tout à fait naturelle, c’est la réponse qui pose davantage problème, tant il devient de plus en plus difficile de dégager de véritables tendances. Les Maisons horlogères sont en effet de plus en plus nombreuses à offrir l’ensemble du spectre produit, de la montre classique aux grandes complications, en passant par les modèles sport, dames ou vintage. Il y aurait de quoi y perdre son latin si l’on devait traduire cette omniprésence par un vade-mecum digne de ce nom.

Il n’en reste pas moins que certains signes ne trompent pas. À commencer par les prix. Nombre de Maisons, à l’image de Zenith, qui veut offrir le meilleur rapport qualité/prix dans le segment EUR 3’000 à 8’000 (USD 3’900 à 10’500 / CHF 3’600 à 9’600), cherchent à séduire avec des modèles d’entrée de gamme au seuil « abordable » et ce, malgré la force du franc suisse et la hausse du cours des matières premières. Impossible en effet de faire abstraction d’un contexte économique des plus incertains qui devrait se traduire par une baisse de la croissance des exportations du secteur en 2012. Les statistiques horlogères sont d’ailleurs là pour le confirmer : le prix moyen des montres mécaniques est ainsi passé du pic de CHF 2’612 (USD 2’848 / EUR 2’171) en 2008 à CHF 2’146 (USD 2’340 / EUR 1’784) l’an dernier, soit un recul de près de 18 %. Le récent Salon international de la Haute Horlogerie, tenu en janvier dernier, l’avait déjà clairement fait comprendre : les horlogers jouent la retenue. Les années d’euphorie, même avec des exportations records en 2011 à CHF 19,3 milliards (USD 21,05 milliards / EUR 16,04 milliards) (+ 19,2 %), incitent aujourd’hui les Maison horlogères davantage à peaufiner leur outil industriel qu’à lâcher la bride à une créativité débordante.

Créativité au rendez-vous

S’il fallait la trouver quelque part, c’est probablement du côté des horlogers indépendants qu’elle s’exprime avec le plus de force. Tourbillon inédit chez Kari Voutilainen, qui signe, aux côtés d’Andreas Strehler, le Troisième Chapitre des Maîtres du Temps ; affichage des heures et minutes mystérieux avec indicateur par sphères évidées se déplaçant dans deux tubes cylindriques sous l’effet de champs magnétiques chez Christophe Claret et sa X-Trem-1 ; association de l’horlogerie et de la mécanique des fluides pour la H1 de HYT ; tourbillon et répétition à minutes au cadran ouvert chez Peter Speake-Marin et sa montre Renaissance ; garde-temps à complication astronomique permettant de déterminer la longitude développée par Heritage Watch Manufactory.

Cette richesse créative ne doit toutefois pas occulter les réalisations de Maisons comme Hublot avec sa montre Anticythère, basée sur le fameux calculateur astronomique du iie siècle avant notre ère ; comme Harry Winston et son incontournable Opus, dont la 12e version offre une lecture du temps par l’entraînement périphérique de 12 paires d’aiguilles partant de la circonférence vers l’intérieur ; comme Harry Winston, qui signe par ailleurs une Histoire de Tourbillon 3 aussi technique qu’esthétique ; ou encore comme Blancpain avec son Calendrier chinois traditionnel doublé d’un quantième grégorien, et Rolex, qui présentait une Oyster Perpetual Sky-Dweller calendrier annuel instantané GMT.

Hautes fréquences et montres dames

Du côté des percées technologiques, il est à relever que les hautes fréquences continuent de hanter les professionnels de la branche dans l’univers de la montre mécanique. Après TAG Heuer et sa montre concept Mikrogirder présentée en début d’année, soit un mouvement battant à 1’000 Hz ou 7,2 millions alternances/heure (a/h) pour une précision au 1/2’000 de seconde ; après Montblanc et sa TimeWriter II Chonoraphe Bi-Fréquence 1.000 dont le balancier bat à 50 Hz mais permet le calcul des temps courts au millième de seconde correspondant à 500 Hz, c’est au tour de Chopard d’investir ce nouveau Graal horloger avec sa L.U.C 8HF battant à 57 600 a/h (8 Hz), premier mouvement de haute fréquence certifié COSC.

Les nouveaux matériaux accueillent désormais le Magic Gold de Hublot, nouveau composite d’or et de céramique inrayable, et le Ceragold d’Omega, qui permet d’incruster de l’or dans un support en céramique. Quant aux amatrices d’horlogerie mécanique, elles peuvent désormais compter sur Patek Philippe pour les satisfaire avec sa Ladies First quantième perpétuel (réf. 7140), tout comme sur TAG Heuer et ses nouvelles Link Lady, sur Corum et son Admiral’s Cup Legend 38 Mystery Moon, ou encore sur Baume & Mercier et sa gamme Linea, sur Chanel et sa Première Tourbillon volant, sans oublier Hermès et son Arceau Attelage céleste. « Quelles sont les nouveautés horlogères qui vous ont frappé sur le Salon ? » La réponse est forcément réductrice, mais l’offre n’en reste pas moins révélatrice d’une ère horlogère un peu plus sage et pourtant tellement maîtrisée…