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Comment créer des émotions en horlogerie
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Comment créer des émotions en horlogerie

mercredi, 19 septembre 2018
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Fabrice Eschmann
Journaliste indépendant

“Il faut se méfier des citations sur Internet !”

« Une grande histoire aux multiples auteurs : ainsi en est-il de la vie. Ainsi en va-t-il aussi de l’horlogerie. Sans rencontres, point d’histoire. »

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8 min de lecture

Transformer une froide mécanique en un objet de désir relève bien souvent de la magie. Un art de plus en plus sophistiqué, qui fait appel à des technologies et des stratégies poussées. La dernière Journée d’étude de la Société suisse de chronométrie a fourni quelques exemples représentatifs.

Vendre une montre a de tout temps été une gageure : complexe, délicat et cher, l’objet reste la plupart du temps confiné dans sa vitrine, à l’abri des traces de doigts et des tentations indélicates. Une réalité qui pousse les fabricants à miser, depuis longtemps mais de plus en plus, sur l’émotion, sur le « waouh effect ». Des lignes de lumière particulièrement bien étudiées, un organe spécialement mis en valeur ou une fonction innovante et ingénieuse peuvent ainsi transformer la froide mécanique en une source de convoitise, un objet de désir. Une démarche qui trouve bien souvent un prolongement dans le monde digital, avec des expériences clients toujours plus sophistiquées et inspirantes. Ce thème fut celui de la dernière Journée d’étude de la Société suisse de chronométrie (SSC), qui, sous le titre « Technique & émotion », a réuni quelque 700 participants le 13 septembre dernier à Montreux.

C’est la recherche d’émotions qui, dès les années 2000, a poussé la quasi-totalité des horlogers à adopter le fond transparent, "pour que la magie opère…".

S’il est un domaine qui véhicule des émotions, c’est bien celui de la gastronomie. L’expérience est ici partie constitutive du concept : le goût, l’odorat, mais aussi l’apparence, la texture et même les sons – pour le croustillant, par exemple – participent à la découverte du produit. Pour une montre, en revanche, les choses se compliquent singulièrement. Les fabricants doivent utiliser d’autres moyens, user de subterfuges parfois très subtils, pour susciter l’intérêt et emporter l’adhésion. Des finesses qui passent par le design et des développements mécaniques, les deux champs de créativité finissant souvent par se superposer. C’est cette logique qui, dès les années 2000, a par exemple poussé la quasi-totalité des horlogers à adopter le fond transparent, « pour que la magie opère… ».

Le modèle Chopard L.U.C Full Strike est équipé de timbres en saphir taillés dans le même bloc que la glace. Tout le dispositif de sonnerie est apparent côté cadran.
Le modèle Chopard L.U.C Full Strike est équipé de timbres en saphir taillés dans le même bloc que la glace. Tout le dispositif de sonnerie est apparent côté cadran.

Ce qui est vrai pour une montre l’est aussi pour une voiture. C’est ce qu’est venu rappeler Antony Villain, directeur artistique chez Alpine. Créée en 1955, rachetée par Renault en 1973 et abandonnée en 1995, la voiture de course française est finalement ressuscitée en 2015. Le défi consiste alors à capter l’essence de la marque, en particulier l’ADN du modèle emblématique A110 Berlinette, afin de le transposer dans une version contemporaine. « Nous avons beaucoup travaillé sur les contrastes, comme héritage et modernité, raffiné et brut, mécanique et sensuel, explique Antony Villain. Cela se traduit par l’utilisation de matières telles que le bois, le cuir, le feutre mais aussi la céramique, le carbone et l’aluminium. » Le lancement de la New A110 a ainsi été précédé par deux ans de teasing sur le Web. Une stratégie digitale qui a réveillé toute la passion partagée autour de cette mythique voiture depuis plus de 60 ans, et conduit à un succès commercial programmé d’avance.

La perfection des lignes de lumière relève de l’irrationnel, mais c’est une composante clé de la sensualité de la montre.
Olivier Kuffer
Le détail comme source d’émotion

En horlogerie aussi, le souci du détail comme vecteur d’émotion va parfois très loin. Rolex est ainsi l’une des seules marques – si ce n’est la seule – à avoir développé tout un savoir-faire sur l’art et la maîtrise des lignes de lumière. Celles-ci relèvent en effet les flancs de carrure, leurs courbures. « C’est de l’ordre de l’irrationnel, souligne Olivier Kuffer, responsable du département R&D montre-bracelet dans la grande Maison. Mais c’est une composante clé de la sensualité de la montre. » Une expérience toute simple permet d’imager le propos : deux carrures pratiquement identiques sont posées sur une surface plane, striée de rayures noires et blanches. Sur le premier boîtier, leur reflet est harmonieux ; sur le second en revanche, les lignes de lumière sont cassées, déformées. « Afin de maîtriser ces surfaces, nous avons mis au point un protocole de construction en continuité de courbes », poursuit Olivier Kuffer. De nouveaux process qui ont notamment conduit à revoir entièrement l’étape de la rectification, laquelle est aujourd’hui assurée par une machine à cinq axes. « Nous sommes passés de 20 lignes de codes à quatre pages A4 », conclut le physicien.

Rolex accorde une importance particulière aux lignes de lumière. Ces deux carrures sont pratiquement identiques. Sur l’une cependant, les reflets sont déformés ; sur l’autre, ils sont harmonieux.
Rolex accorde une importance particulière aux lignes de lumière. Ces deux carrures sont pratiquement identiques. Sur l’une cependant, les reflets sont déformés ; sur l’autre, ils sont harmonieux.

Une telle préoccupation purement esthétique reste cependant rare. Dans la plupart des cas, le design se mêle à la mécanique. Girard-Perregaux, Piaget, Patek Philippe et Chopard sont toutes quatre venues présenter leur vision de l’émotion horlogère. Avec son Échappement Constant présenté en 2008, puis amélioré en 2013, la première est parvenue à susciter l’étonnement bien au-delà du cercle des professionnels. Avant toutes les autres, la manufacture a en effet réussi à exploiter le principe de mécanisme flexible dans une montre mécanique. Un organe fascinant à regarder, magnifiquement mis en valeur côté cadran. Pour la deuxième, l’émoi passe par la finesse. Passée maître dans les mouvements extra-plats, Piaget a confirmé sa supériorité en la matière, en présentant ce printemps l’Altiplano Ultimate Concept. Affichant une épaisseur totale de seulement 2 mm, cette montre a véritablement créé l’événement au SIHH. Son secret : deux couches de composants au lieu de quatre, le fond jouant également le rôle de platine.

L’expérience en ligne de mire

Sur sa référence 5531R, Patek Philippe s’est quant à elle évertuée à lier pour la première fois deux de ses plus emblématiques complications : la répétition minutes et l’heure universelle. « Lier », car les deux fonctions dépendent l’une de l’autre : la sonnerie correspond toujours à l’heure locale, soit celle affichée par les aiguilles. Un détail qui n’en est pas un, pour certaines personnes. Chopard, enfin, avec sa L.U.C Full Strike, veut séduire les millennials : « Parce qu’elle n’a toujours connu que la crise, cette population ne souhaite plus thésauriser, acheter des appartements ou des voitures, analyse Louis de Meckenheim, chargé du marketing et de la communication internationale. Elle ne vit que par l’expérience ! » Tout, sur cette répétition minutes, a donc été fait pour générer des réactions. À commencer par la pureté des sons, obtenus grâce à des timbres en saphir taillés dans le même bloc que la glace. Du jamais-vu !

Le modèle Chopard L.U.C Full Strike est équipé de timbres en saphir taillés dans le même bloc que la glace. Tout le dispositif de sonnerie est apparent côté cadran.
Le modèle Chopard L.U.C Full Strike est équipé de timbres en saphir taillés dans le même bloc que la glace. Tout le dispositif de sonnerie est apparent côté cadran.

Mais le moment le plus étonnant de cette journée fut sans doute le plaidoyer qu’est venue livrer Inès Hamaguchi pour ce qu’elle appelle la « main augmentée ». L’émailleuse du Val-de-Travers regrette que les outils d’Industrie 4.0 comme la réalité virtuelle, la réalité augmentée, l’intelligence artificielle ou encore le big data trouvent des applications dans tous les domaines, sauf dans l’art et l’artisanat. Si c’était le cas, la technologie serait à même d’offrir à la main d’aller au-delà de ses capacités sans pour autant la remplacer. Les gestes virtuoses, propres à l’artiste et à l’artisan, pourraient alors être poussés au-delà de leurs limites, de même que de nouvelles pistes pourraient être explorées, de manière à toujours émouvoir le client. Par exemple en utilisant un robot comme ceux développés pour la chirurgie, qui permettent aux médecins de réaliser des opérations ultraprécises. « Cela ouvre des perspectives de travail à distance, ou à l’intérieur d’environnements confinés, comme un four », souligne Inès Hamaguchi, avant de lancer : « L’horlogerie pourrait devenir un incubateur de la main augmentée ! » À suivre.

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