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Compte rendu session I – « La volatilité est notre nouvelle forme de stabilité »

jeudi, 29 novembre 2012
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Fabrice Eschmann
Journaliste indépendant

“Il faut se méfier des citations sur Internet !”

« Une grande histoire aux multiples auteurs : ainsi en est-il de la vie. Ainsi en va-t-il aussi de l’horlogerie. Sans rencontres, point d’histoire. »

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11 min de lecture

Joschka Fischer, ancien vice-chancelier et ministre des Affaires étrangères d’Allemagne, et Virginie Raisson, directrice du Laboratoire d’études prospectives et d’analyses cartographiques (Lépac), étaient deux des orateurs du 4e Forum de la Haute Horlogerie, tenu le 14 novembre dernier à Lausanne.

Déclin de l’Occident et désoccidentalisation de l’Europe : telles sont les notions clés sur lesquelles se sont retrouvés Joschka Fischer et Virginie Raisson. Invités au 4e Forum de la Haute Horlogerie, l’ancien vice-chancelier et ministre des Affaires étrangères d’Allemagne et la directrice du Laboratoire d’études prospectives et d’analyses cartographiques (Lépac) étaient appelés à s’exprimer sur le thème « Le monde change ». Intitulé « Time to share » et organisé par la Fondation de la Haute Horlogerie dans les murs de l’IMD Lausanne le 14 novembre dernier, le Forum accueillait sept conférenciers internationaux et pas moins de 400 invités.

Un peu d’histoire

« Nous sommes dans une période de transition. » Membre du gouvernement allemand de 1998 à 2005, Joschka Fischer a été le premier représentant des Verts à occuper de tels postes. Né en 1948, l’univers de sa jeunesse était bipolaire, rappelle-t-il : les États-Unis d’un côté, l’URSS de l’autre. Mais un événement majeur va venir mettre fin à ce régime statique de deux superpuissances : le 9 novembre 1989, le mur de Berlin tombe. Dès lors, les événements vont se précipiter, conduisant une année plus tard à la disparition, sans un coup férir, de l’URSS. « Mais en politique, la victoire est toujours délicate, souffle Joschka Fischer. C’est même le moment le plus dangereux après lequel le déclin peut s’installer. »

Pour preuve, poursuit le politicien, les États-Unis, restés seule superpuissance au monde, ont commencé à gaspiller leur nouveau pouvoir en trois guerres et une réduction d’impôts. De son côté, l’Asie a connu le début du « miracle chinois » dans les années 1970, miracle qui se poursuit aujourd’hui avec de plus en plus d’insistance. « La mondialisation, que l’on pensait être une conspiration de Wall Street et des États-Unis, mais qui était en fait une accélération de l’industrialisation des pays en voie de développement, était en marche. »

Joschka Fischer : « La mondialisation, que l’on pensait être une conspiration de Wall Street et des États-Unis, vient en fait de l’industrialisation accélérée des pays en voie de développement. » (Grégory Maillot © point-of-views.ch)
Indispensables États-Unis d’Amérique

Aujourd’hui, personne ne semble en mesure d’arrêter, ni même de freiner, les « tigres de papier », qui veulent sortir de la pauvreté. La majorité de l’humanité aspire à vivre à l’occidentale et une nouvelle forme de compétition – accompagnée d’une nouvelle forme d’instabilité – s’est établie. Malheureusement, les structures mises en place à la fin de la Seconde Guerre mondiale, censées éviter le retour de conflits en Occident, n’existent pas en Asie. La péninsule coréenne, Taïwan ou les îlots chinois disputés par le Japon sont autant de problèmes qui risquent de s’amplifier rapidement.

Dans ce contexte, les États-Unis sont plus que jamais indispensables au maintien de l’ordre mondial en général et de l’ordre asiatique en particulier, estime Joschka Fischer, qui questionne immédiatement : « Qui sinon ? » La Chine, entièrement tournée vers ses problèmes internes avec les récentes nominations au PCC, doit faire face à des tensions sociales qui s’accentuent. Quant à l’Inde, au Brésil, à la Russie ou même à l’Union européenne, ils ne sont pas prêts !

Où mènent les révolutions ?

À l’avenir, les États-Unis vont se concentrer sur le Pacifique plutôt que sur l’Atlantique, pense l’ancien ministre, le Moyen-Orient étant par exemple une région d’où ils ne peuvent se désengager. « Il y a méprise sur le fait que les révolutions mènent à un monde meilleur, lance Joschka Fischer. La modernisation, c’est quelque chose de rude ! » La Syrie mais surtout le programme nucléaire iranien posent problème. Leur économie est sous forte pression internationale. « Personne ne veut interdire à l’Iran d’avoir des centrales nucléaires à des fins civiles, mais il n’y a pas besoin pour cela d’enrichir de l’uranium à un niveau militaire ! C’est comme circuler dans un char d’assaut et dire que ce n’est une menace pour personne. »

Quant au Printemps arabe, il a transformé la région en profondeur, en y incluant une forte composante religieuse. « Cela ne m’inquiète pas, souligne le politicien. La religion est également très présente en Europe, même au niveau politique. Reste à savoir si l’islam fera évoluer les choses vers plus de démocratie ou non. » Et de citer le modèle turc, État laïc dirigé par un islamiste modéré : « Ce fut une grande erreur pour l’UE de s’éloigner de la Turquie. Je pense que tout le monde pourrait y gagner à réinstaurer la confiance. »

Et l’Europe ?

Et l’Europe, dans tout ça ! Quel est son avenir ? « L’unité est le mot-clé pour nous », poursuit Joschka Fischer, qui ajoute : « Je dis “nousˮ, car la Suisse est aussi dépendante de l’UE. Les décisions que prend l’Europe ont inévitablement des répercussions chez vous, que vous le vouliez ou non ! Tout comme pour le Royaume-Uni, qui est très dépendant de l’euro. Si la monnaie unique s’effondre, le marché commun n’en sortira pas vivant. »

L’UE n’a de choix que d’avancer ou s’écrouler. Prochaines étapes : l’union bancaire, puis l’union fiscale et la mutualisation de la dette. En toile de fond cependant, la problématique sécuritaire dans le monde. « L’Afrique de l’Ouest, le Moyen-Orient, la Russie, toutes ces régions auront un rôle à jouer ! En ce sens, je pense que nous sommes dans une situation de transition. Une époque où la volatilité est notre nouvelle forme de stabilité. Il va falloir nous y habituer. »

Prédire l’avenir

« L’Europe est en voie de désoccidentalisation ! » Enfonçant le couteau dans la plaie, Virginie Raisson enchaîne sans transition. Auteure de l’ouvrage 2033, Atlas des futurs du monde, elle y interroge l’avenir avec les éléments d’aujourd’hui, analyse les tendances lourdes et tente d’élaborer les scénarios de possibles lendemains. À l’appui de sa thèse, la chercheuse évoque l’élection américaine, immédiatement suivie à la une des journaux par les nominations à la tête du Parti communiste chinois (PCC). « Avant, jamais un tel événement n’aurait pris autant d’importance dans nos médias, fait-elle remarquer. Il existe bel et bien un nouvel ordre mondial et l’Europe n’est plus au centre de l’échiquier. » La Chine a donc pris une importance considérable, mais pas seulement. Le Qatar, ce minuscule État de la péninsule arabique, n’a cessé d’étendre sa zone d’influence en investissant des milliards de dollars partout dans le monde, et particulièrement en Europe.

L’Europe continentale, qui représentait en 1950 17,6 % de l’humanité, n’en abritera plus que 7 % dans 20 ans.

Et ce processus de désoccidentalisation ne fait que commencer. L’un de ses moteurs est la répartition de la population mondiale qui va basculer du Nord vers le Sud d’ici à 2030. L’Europe continentale, qui représentait en 1950 17,6 % de l’humanité, n’en abritera plus que 7 % dans 20 ans. Idem pour l’Amérique du Nord et la Russie, qui passeront, respectivement, de 6,8 % à 4,9 % et de 4,1 % à 1,5 %. De l’autre côté de la balance, l’Afrique, l’Amérique du Sud ainsi que l’Asie centrale, du Sud et du Sud-Est vont croître, à eux tous, de 21,4 points.

Des réserves épuisées

Autre outil prospectif : le redéploiement de la richesse mondiale. Si, en 2010, le trio de tête des régions les plus riches en termes de produit intérieur brut (PIB) est composé des États-Unis, de la Chine et de l’UE, en 2050, la Chine sera sur la première marche, suivie de l’Inde et des États-Unis. Clairement, les bassins de main-d’œuvre sont en train de se convertir en bassins de consommation. Si, aujourd’hui, la moitié de la population appartenant à la classe moyenne se trouve aux États-Unis et en Europe, cette même moitié se retrouvera, en 2050, en Chine et en Inde.

 

Le prix de l’énergie promet ainsi d’augmenter de 33 % en 20 ans !

Conséquence de ce changement de paradigme : l’énergie primaire va devenir le nerf de la guerre. À elle seule, la Chine, qui absorbe déjà 40 % de la croissance de la demande en énergie, consommera d’ici à 2030 23 % des disponibilités mondiales, suivie des États-Unis (16,8 %) et de l’Europe (13,6 %). Le prix de l’énergie promet ainsi d’augmenter de 33 % en 20 ans ! L’approvisionnement en pétrole et en gaz, mais aussi en matières premières, va ainsi engendrer de plus en plus de tensions. Selon l’état des réserves au 31 décembre 2011, le diamant sera épuisé en 2020, l’or en 2030, le fer en 2040 et le cuivre en 2053.

« L’environnement n’y survivra pas, conclut Virginie Raisson. Il faut impérativement repenser notre mode de vie et notre développement économique. Il ne s’agit pas d’un discours écologiste mais d’une tentative de promouvoir le principe d’adaptation ! »

Un peu de philosophie

Après les discours très consistants de l’homme d’État et de l’analyste, Francesca Rigotti, philosophe et experte en communication sociale, a amené un peu de légèreté durant cette première session du 4e Forum de la Haute Horlogerie. Les éléments les plus précieux de notre vie ont en commun une métaphore, suggère-t-elle : celle de la fluidité. La philosophe, professeure à l’université de Suisse italienne et à Göttingen, en Allemagne, s’est donc amusée à répertorier les termes de la langue française qui, très souvent, s’utilisent avec différentes références aux liquides.

À commencer, bien sûr, par l’argent : le compte est courant, les capitaux sont gelés, la monnaie circule, l’argent est liquide. Le temps également, bien précieux s’il en est : le fleuve du temps, la mer de l’histoire. Quant à la parole, qui est d’or, elle est un flux sans fin et les adjectifs la qualifiant peuvent se déverser par torrents. Le pouvoir, enfin, conquis de haute lutte, est un océan. Ces quatre mots – « temps », « argent », « pouvoir » et « parole » – ont ainsi en commun d’utiliser des métaphores sur la fluidité. Ils sont également liés entre eux par leur valeur intrinsèque : le temps de parole, le pouvoir de la parole, le temps c’est de l’argent, le pouvoir du temps, l’argent du pouvoir…

« Les métaphores ne sont pas des coquilles vides, souligne Francesca Rigotti. Elles participent à la création de concepts, de structures intelligibles. Elles ne sont pas remplaçables ni interchangeables ! » Et de terminer sur la notion de « luxe » : dérivé de l’adjectif luxus, il signifie « oblique », « de travers ». La définition du mot « luxation » est, en ce sens, beaucoup plus claire. Péjoratif, distorsion de l’âme et désir de vanité jusque vers 1700, le luxe devient le ressort de la demande à l’apparition du commerce au XVIIIe siècle. Jusqu’à devenir… superflu, cette quantité de liquide qui déborde et, se faisant, profite à toute la société.

Article paru dans le WtheJournal.com

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