Contrairement à ce que l’on pourrait penser et comme le démontre très bien l’exemple de Chopard, il est plus difficile de mettre sur pied une unité dédiée à la production en gros volumes de mouvements simples conçus comme les tracteurs d’une marque que de réaliser en atelier de petites séries de montres compliquées. Dans la mesure où l’automatisation a un grand rôle à jouer sur des composants microscopiques dont dépend la précision d’une montre, on comprend à quelle quadrature du cercle les horlogers font face. Et Chopard, par la voix de son coprésident Karl-Friedrich Scheufele, sait très bien de quoi il parle pour avoir d’abord créé Chopard Manufacture, où sont produits les mouvements L.U.C haut de gamme de la Maison, pour ensuite jeter les bases de Fleurier Ebauches devant à terme couvrir la plus grande part des besoins de la Maison en calibres de base, solides et fiables.
À cette complexité industrielle s’ajoute l’importance des investissements. Si l’on prend TAG Heuer comme exemple, l’une des dernières marques à avoir inauguré une nouvelle usine de production, en l’occurrence à Chevenez, dans le Jura, en 2013, il aura fallu pas moins de cinq ans et CHF 40 millions pour que sorte le premier calibre 100 % maison de la marque, le CH80. Si ce dernier a été abandonné depuis, pour laisser la place au CH1887, datant de 2010, développé sur base Seiko, cela n’enlève en rien la somme d’efforts consentis. Or, jusqu’ici, en termes d’approvisionnement de masse disponible à des tiers, l’entreprise Sellita est la seule à offrir une alternative crédible à ETA, la machine de guerre du groupe Swatch dans la production de mouvements qui alimentait sans réserve l’horlogerie suisse. Comme cette période dorée est désormais révolue, Sellita restera-t-elle seule dans sa catégorie ?
Le groupe texan Fossil, par exemple, a déjà investi des dizaines de millions dans son outil de production en Suisse, notamment au Tessin, où sa société Swiss Technology Production, active depuis 2012, va produire cette année 130’000 calibres mécaniques, 200’000 en 2015. Selon Fossil, qui va poursuivre ses investissements dans son outil de production en Suisse comme la compagnie l’annonçait en mars dernier, ces volumes, destinés être doublés dans un proche avenir, positionnent déjà le Groupe au 3e rang des fabricants de mouvements en territoire suisse. Mais Fossil travaille bien évidemment en vase clos. Qui lui emboîtera le pas, quitte à former un pool d’horlogers pour diminuer les risques comme les investissements ? La réponse ne s’impose pas et, pourtant, il est évident que le statu quo ne suffira pas. (CR)