Jaeger-LeCoultre réalise près de 45 % de son chiffre d’affaires avec des modèles féminins. Ce score enviable doit beaucoup à la rectangulaire et douce Reverso. Son alter ego rond s’appelle « Rendez-Vous ». Depuis plusieurs années, cette collection grandit, en particulier par l’adjonction de complications exigeantes et de décors de plus en plus riches et précieux. Pour Janek Deleskiewicz, qui dirige la création de la marque, le succès des modèles féminins repose sur plusieurs critères liés tant au produit qu’au discours qui l’accompagne. Il constate en particulier que les femmes font preuve d’un réel pragmatisme dans leurs choix. Si le créateur ne peut donc éluder l’esprit de l’époque, le rôle et la place de la femme, il doit surtout penser à créer désir et émerveillement.
Janek Deleskiewicz, Directeur artistique et du Design de Jaeger-LeCoultre : Il n’y a pas de recette à proprement parler. De plus, notre époque se distingue par le fait que les clients n’hésitent plus à s’approprier les codes de l’autre sexe. Ce qui pourrait créer une certaine confusion si on insistait dans cette voie. Enfin, suivant les régions du monde, ces codes peuvent même s’inverser. Un Indien portera par exemple volontiers une montre avec une lunette sertie. Pour être adapté, un modèle féminin doit être en relation avec une époque déterminée ou avec des moments forts de la vie de sa propriétaire, qui peuvent changer au fil du temps. Les goûts et les envies d’une jeune fille n’ont rien à voir avec ceux d’une mère ou d’une femme d’âge mûr. En comparaison, les hommes semblent mener des existences plus linéaires, prévisibles. De plus, le produit féminin s’inscrit dans un contexte global, à savoir la place de la femme dans la société à un moment précis. Il s’agit d’un travail très subjectif et subtil. Les influences viennent de la philosophie comme de films, de livres. Il faut développer une vraie force créatrice pour détecter ces facteurs et les traduire en idées.
Historiquement, la montre-bracelet peut être vue comme un symbole d’émancipation et de pouvoir. Cela remonte à la première moitié du XXe siècle lorsque les femmes ont dû assumer des rôles jusqu’alors tenus par des hommes pour remplacer ceux partis au front ou revenus blessés. Des femmes d’affaires, des banquières ont alors fait leur apparition. Aujourd’hui toujours, la distinction entre les rôles masculins et féminins reste en perpétuelle mutation et le phénomène s’étend. Par exemple, le fameux chronographe Daytona de Rolex, symbole masculin par excellence, est porté par de nombreuses femmes. Toutefois, il ne faudrait pas imaginer que les femmes recherchent forcément des symboles masculins pour s’affirmer. La Reverso, à la fois classique, unique et authentique, est très demandée, et depuis plusieurs années. La montre représente aussi la culture européenne avec tout ce qu’elle véhicule en termes d’histoire et d’imaginaire. Elle est un symbole de cette civilisation, un aspect qui trouve un écho auprès de certaines femmes affirmées et issues de cultures non occidentales.
Elles semblent faire preuve d’un vrai pragmatisme et souhaitent des fonctions réellement utiles. Ainsi, le chronographe n’en fait pas directement partie. Preuve de cet esprit pratique, de jeunes clientes asiatiques ont exprimé le besoin d’avoir un second fuseau horaire. Cette génération voyage en effet plus que la précédente. La clientèle féminine fait également très attention à la qualité perçue et n’hésite pas à dépenser plus pour l’obtenir. La montre doit être facile à porter et intégrer des détails à la fois intéressants et valorisants. Les femmes sont aussi sensibles aux multiples métiers artistiques qui servent à décorer une montre. Un cadran finement ouvragé, éventuellement serti, compte pour beaucoup. Tout semble commencer par un premier regard qui provoque une petite étincelle. Enfin, les femmes aiment personnaliser leurs montres, surtout le bracelet. De nombreux ateliers indépendants vivent d’ailleurs de cette demande.
La Rendez-Vous est donc une excellente représentation contemporaine de l’histoire de la marque.
La première, et alors unique, montre Rendez-Vous est née dans le courant des années 1990. Elle devait son nom à une fonctionnalité permettant d’afficher librement une heure de la journée, indiquée à l’époque par un diamant. En 2012, une nouvelle collection qui reprenait seulement le nom et ce clin d’œil du moment choisi a été lancée. Elle peut être vue désormais comme l’équivalent de la collection Master pour femme, et c’est l’une des raisons qui expliquent son extension vers des modèles particulièrement techniques. De plus, son esthétique conjugue à la fois des éléments Art nouveau, comme la décoration des cadrans, et Art déco, à l’instar de la forme du boîtier ou des cornes, deux piliers stylistiques de Jaeger-LeCoultre. Enfin, le recours à des technologies innovantes permet d’intégrer de nouvelles matières comme le verre aventurine, par exemple. La Rendez-Vous est donc une excellente représentation contemporaine de l’histoire de la marque.
En effet, le lancement est une opération cruciale pour une montre féminine. L’écho auprès des journalistes, en particulier féminins, compte pour beaucoup. Des efforts particuliers sont faits pour personnaliser les contacts avec les représentantes de la presse, car ils sont irremplaçables. En cela Internet ne peut pas tout. Le travail s’effectue réellement en aval. Nous travaillons pour le futur, ce qui nous oblige à faire très attention aux goûts des jeunes filles d’aujourd’hui.