« 15 dollars le carat aujourd’hui, contre 60 dollars il y a deux ans, assène Wuyi Wang, Director Research and Development au Gemmological Institute of America (GIA). En ce moment, en Chine, 1 000 presses produisent 200 000 carats de diamants synthétiques chaque mois. Et les producteurs ne voient aucune limite à cette croissance ! » En novembre dernier, les laboratoires tiraient la sonnette d’alarme. Des diamants artificiels incolores, de petite taille et de grande qualité, se retrouvaient de plus en plus dans des lots de diamants naturels. Ce constat a poussé l’Association romande des métiers de la bijouterie (Asmebi) à réunir, début avril, plusieurs acteurs du domaine pour en débattre. « On parle aujourd’hui d’environ 2 millions de carats, produits en Chine, à Singapour, mais aussi en Inde et en Russie. Ce qui représente 2 % de la production mondiale de diamants », soulignait Jean-Marc Lieberherr, CEO de la Diamond Producers Association. Pourquoi une telle explosion ? Les moyens de production des diamants synthétiques se sont envolés vers de nouveaux sommets, très qualitatifs et peu coûteux. Sur Alibaba.com, les presses s’acquièrent pour des prix quasi « raisonnables », soit environ 100 000 francs.
Si les diamants synthétiques existent depuis 1952, au fil des ans, les techniques de production ont vécu une véritable révolution.
Une doublure presque parfaite
Le diamant synthétique partage les propriétés physico-chimiques du diamant : dureté exceptionnelle (10 sur 10 sur l’échelle de Mohs) ou encore excellent indice de réfraction de la lumière. Des qualités fort convoitées dans de nombreuses industries, par ailleurs peu intéressées par sa beauté ou son authenticité. En revanche, pour l’horlogerie et la joaillerie, impossible d’égaler un diamant naturel. Même à composition identique – du carbone pur cristallisé –, un diamant artificiel n’a rien de rare ni de précieux. L’un naît à volonté d’une machine, l’autre est d’un âge canonique qui se compte en milliards d’années… Formée au cœur de la Terre, l’activité volcanique l’a ensuite repoussé vers la surface. Tout un symbole au cœur de la campagne « Real is Rare ».
Deux techniques permettent de créer un diamant de synthèse : la version « micro-ondes » (CDV – déposition par voie gazeuse) ou celle plus proche des conditions naturelles (HPHT – haute pression, haute température). Si les diamants synthétiques existent depuis 1952, au fil des ans, les techniques de production ont vécu une véritable révolution. Ainsi, pour les diamants jaunes, des lots de diamants naturels « pollués » de gemmes artificielles se trouvent depuis 2010. Pour cette raison, tous les diamants jaunes sont systématiquement contrôlés. Jusqu’en 2015, les diamants de synthèse blancs restaient chers, plus qu’un diamant véritable ! Depuis, grâce aux méthodes dernier cri, les tarifs ont baissé. Beaucoup. « À petit marché, comme celui des diamants jaunes, petit problème. Mais à marché gigantesque, comme celui des petits diamants blancs, problème gigantesque ! » explique le Dr Thomas Hainschwang, de GGTL Laboratories Liechtenstein.
Naturel « pollué » d’artificiel
Les diamants naturels de petite taille se vendent généralement « mêlés », en lots souvent issus d’une même mine. Avant de parvenir au consommateur final, ceux-ci passent par différentes mains, du tailleur aux commerçants. À chaque maillon de la chaîne, des pierres synthétiques peuvent se glisser dans un lot, surtout par ignorance du problème. D’autant que, « parmi les 31 bourses de diamants, toutes n’interdisent pas la vente de diamants synthétiques. Et souvent les producteurs de diamants de synthèse côtoient les centres de taille », commente Jean-Pierre Chalain, Head of Diamond Department and Deputy Director à l’Institut suisse de gemmologie.
« L’échantillonnage ne suffit plus ! » s’exclament de concert les experts. Auparavant, les lots de diamants mêlés obtenaient un certificat d’authenticité à la suite d’une analyse de quelques-unes des pierres prises au hasard. Désormais, l’arrivée en masse de ces petits diamants synthétiques de grande qualité impose l’analyse complète par des spécialistes correctement équipés. « C’est la course permanente entre les gens qui produisent des diamants synthétiques et ceux qui les détectent », relève Charles Chaussepied, Vice-Chairman du Responsible Jewelry Council. Et cela représente des quantités monumentales de diamants à expertiser !
Idéalement, il aurait fallu baptiser le diamant synthétique d’un autre nom, “carbonite”, par exemple.
Le consommateur final devrait aussi obtenir systématiquement un papier certifiant le parcours de chaque diamant, naturel autant que synthétique. « La Chine a lancé le contrôle des flux de diamants synthétiques, un point très positif, explique Jean-Pierre Chalain. Et la World Federation of Diamond Bourses demande que les diamants synthétiques soient gradués de façon différente par rapport aux diamants naturels. » Le GIA établit d’ailleurs des certificats spécifiques pour les diamants de synthèse.
De la poudre aux yeux des consommateurs
La sensibilisation du public reste centrale. Car, à propriétés et esthétique identiques, les deux produits sont totalement différents. « Idéalement, il aurait fallu baptiser le diamant synthétique d’un autre nom, “carbonite”, par exemple. Mais la réaction a été trop tardive », admet Jean-Marc Lieberherr. Laurence Chevillon, Directrice Développement et Qualité de l’Union française de la bijouterie, joaillerie, orfèvrerie des pierres et des perles, souligne combien il est difficile pour un consommateur de comprendre ce qu’il achète. D’une part, les vendeurs de diamants artificiels détournent de nombreux arguments à leur avantage, sans fondement avéré, comme l’écologie ou le respect des droits humains. De plus, si la vente d’un diamant synthétique est parfaitement légale, le vendeur doit éviter toute confusion. Par exemple, interdiction de le qualifier de diamant véritable, naturel ou pur ! Par ailleurs, comme tout marché juteux et mal contrôlé, un diamant synthétique, injecté frauduleusement dans le réseau, a bien peu de chances de provenir d’une production légale, écologique et respectueuse de bonnes conditions de travail. Une dérive qui rappelle la problématique de la contrefaçon, coupable d’alimenter des réseaux criminels parallèles.
Producteur de diamants synthétiques en Suisse, Franck Ziemer, Président et CEO de Ziemer Swiss Diamond SA, interroge : « Pourquoi voir une menace là où se trouve une opportunité ? Arrivera-t-on à dépasser ce que la nature a fait ? » Car même si, faute de contrôle, les diamants artificiels ressemblent pour l’instant à un éléphant dans un magasin de porcelaine, ils ouvrent pourtant de belles perspectives. Les industries de pointe et le secteur des bijoux fantaisie sautent bien sûr et à bon escient sur l’aubaine. Pour le haut de gamme, la question devient plus épineuse. Dans un contexte économique tendu, la tendance va vers un luxe « accessible » et des produits d’entrée de gamme. Ces diamants artificiels moins chers sont-ils la solution pour sensibiliser les Millenials, les consommateurs de demain que tout le monde convoite ? Alors, une occasion à saisir ou pas ? Aux marques de voir où se situe le curseur de leur identité, entre style et authenticité. Sans se casser les dents sur du (faux) diamant.