Dans le monde des « wearables », jargon qui recouvre tout objet high-tech que l’on emmène avec soi, les montres connectées représentent un vecteur de fantasmes quasi inépuisable. Non seulement il est presque impossible de se baser sur des statistiques fiables, d’autant qu’Apple, première compagnie du secteur, ne donne pas de chiffres, mais on assiste également à une guerre de tranchées entre anciens et modernes. Les seconds, ouverts sur le monde et ses innovations dont les smartwatches font partie, promettant une lente agonie des premiers, retranchés dans le dernier bastion de la montre mécanique, une technologie obsolète forcément vouée à disparaître. Dans ce contexte pour le moins caricatural, inutile de vouloir trancher un nœud gordien fait d’acier trempé. Quel que soit le côté où l’on se positionne, aucune assertion ne trouve suffisamment d’arguments vérifiés pour l’étayer. Mais faute de vérité, il est néanmoins possible de poser quelques jalons.
"En 2016, TAG Heuer a vendu 56 000 unités de sa Carrera Connected. Cela représente près de 10 % du volume total de la marque."
Si, en parlant de montres connectées, on les inclut dans l’univers horloger, force est de constater qu’en très peu de temps elles se sont fait une place au soleil. Alors que l’on dénombrait une petite dizaine de smartwatches il y a trois ans, à la naissance de ce marché, l’offre a passé en 2017 à plus de 200 modèles. Et ceux-ci sont aujourd’hui proposés aussi bien par les géants de l’électronique – Apple, Samsung, Fitbit et Fossil en tête – que par des ténors du monde horloger comme TAG Heuer et Louis Vuitton (LVMH), Montblanc (Richemont) ou Frédérique Constant (Citizen). Pour l’instant, une réponse musclée du groupe Swatch se fait toujours attendre. Mais après les Swatch Touch Zero One et Swatch Bellamy, la multinationale travaille en collaboration avec le Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CSEM) à un système d’exploitation propriétaire « Swiss Made », signe qu’elle commence à prendre véritablement les choses au sérieux. Car cette place au soleil vaut bien évidemment son pesant d’or, soit un marché qui devrait atteindre les CHF 10 milliards en fin d’année, représentant 28,5 millions d’unités vendues, en hausse de 18 % par rapport à 2016 (source : Canalys). Pour Vontobel, c’est en tout cas un atout dans la manche de TAG Heuer. « En 2016, la Maison a vendu 56 000 unités de sa Carrera Connected, modèle lancé en novembre 2015, précise l’établissement financier. Cela représente près de 10 % du volume total de la marque et l’une des raisons pour lesquelles elle a gagné des parts de marché en 2016. »
Succès programmé
Pour l’exercice en cours, les objectifs sont nettement plus ambitieux. Lors de la présentation en début d’année de la TAG Heuer Connected 45, la deuxième génération des montres connectées de la Maison qui dispose de sa propre chaîne de production dans le pays pour disposer du label « Swiss Made », Jean-Claude Biver, patron de la division horlogère de LVMH et CEO de TAG Heuer, annonçait en effet vouloir tripler les ventes de smartwatches à 150 000 pièces en 2017. Quelques mois plus tard, alors que la question revient sur le tapis, Jean-Claude Biver a pourtant décidé d’observer le même mutisme qu’Apple, précisant simplement que depuis sa commercialisation fin mars dernier cette montre enregistre les meilleures ventes de la Maison. Un tel revirement dans le discours d’un homme plutôt enclin à l’ouverture masque en fait un nouvel enjeu, et de taille, dans le monde des montres connectées. Selon les informations qui circulent déjà à toute allure sur la toile, la prochaine Apple Watch serait en effet dotée d’une technologie lui permettant d’offrir, en toute indépendance, les fonctionnalités voulues. À n’en pas douter, cet affranchissement du téléphone portable représente un pas de géant dans l’industrie. Celui que tout le monde attend pour déterminer si cet « assistant » électronique a un véritable avenir.
Dans ce contexte, une chose est sûre : Jean-Claude Biver a bien l’intention d’être de la partie, d’autant que TAG Heuer dispose aujourd’hui de son propre bureau à Palo Alto avec une douzaine d’ingénieurs. « Quand Apple ou nous-mêmes chez TAG Heuer allons présenter ces prochains mois une montre avec une fonction LTE (4G), à n’en pas douter cette montre aura un bien meilleur succès que les modèles connectés actuels, exposait récemment Jean-Claude Biver dans le magazine Bilanz. Le succès dépend toutefois de divers facteurs. Quelle est l’autonomie de la batterie et quelles sont les dimensions de la montre ? Comment fonctionnent les communications ? Toutes ces questions demandent une réponse pour que l’on puisse parler de succès. Mais à moyen terme il est vrai que la solution passe inévitablement par l’indépendance du téléphone portable. » Pour l’instant, le CEO de TAG Heuer n’entend pas être plus précis quant au calendrier. « Nous n’allons certainement pas dévoiler notre modèle longtemps après Apple. Peut-être sortira-t-il en même temps, voire quelques semaines avant. Mais pour l’instant je ne peux pas dire exactement quand, dans la mesure où nous ne le savons pas encore. » Dans l’univers de la montre connectée, la partie de poker continue.