Paris est la ville dans laquelle se trouve l’une des neuf boutiques F.P.Journe, les autres étant disséminées de par le monde. Et Paris est la quatrième à célébrer son 10e anniversaire, après Tokyo, Hong Kong et Genève. Tous ces points de vente et les garde-temps qui y sont exposés correspondent aux fruits d’un dur labeur, « marque de fabrique » de François-Paul Journe dès ses jeunes années turbulentes à Marseille durant lesquelles son esprit libre ne lui a pas toujours rendu service. Ses années à l’École d’horlogerie au sud de la France, suivies par le dur apprentissage de restauration de pièces anciennes dans l’atelier de son oncle Michel à Paris, puis la découverte d’Abraham-Louis Breguet grâce à son mentor et « père spirituel » George Daniels, ont su développer sa passion vers « ce qui n’existait pas encore ». Son premier garde-temps, une montre de poche tourbillon, il l’a créé de toutes pièces, à la main, « parce que j’en voulais une et qu’il n’en avait pas de disponible à l’époque », explique-t-il. Invenit et Fecit. Il avait alors la petite vingtaine et travaillait chez son oncle. La réalisation de cette pièce lui demandera cinq ans, de 1978 à 1983. Entre-temps, sa deuxième montre prend déjà forme : rien de moins qu’un Planétarium, une commande spéciale à nouveau entièrement développée par le jeune horloger. « Inventer » et « créer » étaient ses leitmotive, viendront très vite « décider » et « choisir ».
Déterminé et indépendant
Son retrait de Baselworld il y a de cela 17 ans correspond à une décision que beaucoup d’autres marques prennent aujourd’hui, pour les mêmes raisons. Sa première participation date de 1987, en tant que membre de l’Académie Horlogère des Créateurs Indépendants (AHCI). « À l’époque, explique-t-il, je faisais des pièces sur mesure, des commandes spéciales. Je suis allé à Bâle pour le plaisir. George Daniels participait au salon avec l’AHCI, et nous ne recherchions pas de clients. Nous y sommes retournés en 1990 et 1991. Puis j’ai tout stoppé, pendant sept ans. Parce que je n’avais rien à monter. J’y suis finalement retourné en 1999 avec la Tourbillon Remontoir d’Egalité, une première mondiale, puis encore en 2000 afin de présenter mon Régulateur à Résonance, la première montre de poignet qui intégrait ce mécanisme. En 2001, nous sommes revenus une nouvelle fois avec notre propre stand. Mais tout a pris fin en 2002, parce que je me suis retrouvé à un endroit qui ne me convenait pas alors que j’avais demandé un emplacement bien spécifique. De plus, le mètre carré devenait de plus en plus cher. J’ai donc proposé à mes détaillants d’investir plutôt cet argent dans des campagnes de promotion et de les faire venir à Genève une fois par année. Ils ont accepté. »
Autre décision : pas de Poinçon de Genève estampillé sur les montres F.P.Journe, chaque marque devant être son propre juge. « Et pour aller encore plus loin, poursuit-il, je ne grave pas “Swiss Made” sur mes cadrans. Le Swiss Made, c’est bon pour Swatch. Si nous devions l’utiliser, cela voudrait dire que seulement 60 % de mes montres proviennent de mon atelier. Une aberration alors que nous créons chacune de nos montres à 100 % ! »
De nobles causes et de la discrétion
F.P.Journe est tout aussi fidèle à ses amis qu’il est discret au sujet de ses activités de bienfaisance. Il faut ensuite savoir que le Japon est son pays préféré. « En 2001, je venais tout juste de terminer la pièce N°1 des Centigraphe, une commande d’un client qui désirait une montre de sport, lorsque le tsunami a frappé. À la place d’honorer cette commande, j’ai décidé d’offrir la Centigraphe à Christie’s Hong Kong pour une vente aux enchères. Les 450’000 dollars correspondant au produit de la vente ont ensuite été versés à Médecins du Monde et à un architecte chargé de construire un édifice à Sendai en aide aux victimes. »
On notera également que la F.P.Journe Chronographe Monopoussoir à rattrapante créée pour Only Watch s’est vendue pour la somme astronomique de 1,15 million de francs lors de la vente aux enchères de 2017 en faveur de l’Association Monégasque contre les Myopathies. En outre, 30 % des profits générés pour chaque vente d’une montre Centigraphe sont versés à l’Institut du Cerveau et de la Moelle Épinière à Paris. Et puis il y a la « Young Talent Competition » qui a débuté en 2015, aujourd’hui également soutenue par la Fondation de la Haute Horlogerie, qui distingue les jeunes talents horlogers via une bourse de 3’000 francs servant à acheter des outils. Quel conseil donner à un jeune horloger ? « Il faut tenir bon, résister, être déterminé, explique François-Paul Journe. Tout comme j’ai dû l’être. Cela ne sera pas facile, c’est sûr, mais ne soyez pas trop dépendant des autres de manière à développer votre propre libre arbitre. »
Chanel et l’avenir
Quid du futur ? Le 31 décembre 2018, à minuit, la marque a arrêté de prendre des commandes pour la pièce la plus compliquée qu’elle ait jamais créée : la Sonnerie Souveraine, qui déclenche 912 coups de marteau chaque jour ou 34’053 par année, comme le précise l’horloger : « J’en ai fait 50, et il est temps de passer à autre chose. Avec une production qui se limite à 900 pièces par année, nous ne pouvons pas tout faire. » Pour l’édition de 2019 d’Only Watch, François-Paul Journe travaille sur une montre astronomique. « Ce n’est pas un planétarium, mais une montre pour les astronomes avec des mesures du ciel, une équation du temps… Une telle montre demande trois à quatre ans de développement. » La nouvelle Centigraphe Sport 2, munie d’un cadran jaune qui s’inscrit dans la collection LineSport, sera disponible en or et en platine. Et bien sûr d’autres pièces sont en développement.
Connaissant le besoin d’indépendance de François-Paul Journe, la question finale devait porter sur Chanel, qui vient d’acquérir 20 % de sa compagnie. La réponse est rapide et directe : « Tout d’abord, ce sont mes amis. Ensuite, ce sont des amoureux de l’horlogerie. Troisièmement, je voulais claquer la porte au nez des prédateurs, s’il devait m’arriver quelque chose demain. Il n’y a pas de problèmes particuliers, mais un accident est toujours possible. Alors maintenant, F.P.Journe est doublement impénétrable aux compagnies horlogères cotées en bourse. De cette façon, mes enfants, qui ne sont pas des horlogers – l’un est historien et le plus jeune veut faire du basket-ball professionnel – sont tranquilles. Ils ont tout le temps de discuter avec les bonnes personnes. Bien sûr, je pense à l’avenir et je sais pertinemment que les histoires de transitions familiales malheureuses existent, comme avec Cartier. Une marque forte et bien enracinée a toutes les chances de subsister. Celles qui échouent n’ont souvent pas réussi à véhiculer une bonne image dès leurs débuts. Pour y parvenir, il faut travailler sérieusement ! »