Un tutti frutti joaillier réussi exige un goût esthétique très sûr. La recette authentique, typique de l’audace Art déco, combine des rubis (rouges), des émeraudes (vertes), ainsi que des saphirs (bleus) ! À l’image de vrais fruits, les gemmes sont retenues pour leurs teintes éclatantes et gourmandes. Ces pierres sont taillées selon le style typique de l’Inde des maharadjahs : rubis et émeraudes côtelés ou sculptés, diamants de taille briollette ou rose. Sculptées avec « naturel », les gemmes prennent ainsi des formes variées de fruits, fleurs et feuilles dans des arrangements sophistiqués. Pourtant, ces pierres chatoyantes s’insèrent dans une grande rigueur formelle et géométrique. Eh oui, l’Art déco s’inspire notamment du cubisme ! Enfin, dans une composition tutti frutti originale, des diamants viennent coiffer les baies et saupoudrer l’ensemble. Le tout est servi en serti invisible sur une monture de platine ou d’or blanc, équipé au besoin d’un mouvement mécanique de dimensions réduites, pour mettre les pierres bien à leur aise.
Cartier, la mise en bouche
En matière de tutti frutti, Cartier fait figure de « top chef » incontournable. En 1910, Jacques Cartier séjourne en terres indiennes pour développer des filiales. Il succombe aux charmes de cette culture flamboyante et à ses pierres caractéristiques, telles ces émeraudes sculptées en forme de feuilles. En 1913, à New York, la Maison Cartier expose 20 pièces classées « d’après l’art indien ». La mode du style « hindou » est lancée en Occident… et inversement ! Les maharadjahs aussi sont séduits par le style parisien et font remettre au goût du jour leurs parures, quand ils n’acquièrent pas montres et bijoux. Parmi eux, le maharadjah de Kapurthala possède 250 pièces d’horlogerie (!) dont la plupart proviennent de Cartier. Un serviteur est même entièrement dévolu au remontage des mécanismes.
Dès les années 1920, comme le précise l’article « Montres précieuses » du site hautehorlogerie.org, « les créateurs s’inspirent de thèmes ornementaux venus d’Inde et d’Orient qu’ils adaptent aux montres broches, pendentifs et de poche. Le style appelé “tutti frutti” évoque le souvenir du culte islamique ou les styles dits “hindous” ou “indiens” ». En 1925, l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes à Paris consacre la tendance Art déco dont ce style « hindou » fait partie. Cartier crée des pièces maîtresses, tel que le fameux collier de Daisy Fellowes, élégante de l’époque. Mauboussin, Van Cleef & Arpels, Arnold Ostertag ou encore Henri Picqu – également fournisseur de grandes Maisons – excellent aussi dans ces compositions. En 1927, Audemars Piguet présente, en collaboration avec le joaillier parisien Egouvillon Lafon & Cie, une montre de Haute Joaillerie tutti frutti. Cette pièce unique est pourvue du plus petit mouvement alors produit par la Manufacture, bien plus petit qu’un timbre-poste !
Le goût du bon mot
Ce n’est que dans les années 1970 que le style « hindou » est rebaptisé « tutti frutti ». « Un nom qui vient certainement d’Italie pour parler d’un style hautement coloré », précise le département du Patrimoine de la Maison Cartier. À l’origine, « tutti frutti » désigne une crème garnie de petits morceaux de fruits variés. Une recette italienne fort ancienne, car Catherine de Médicis l’aurait rapportée de Florence vers la France en 1533 déjà ! Le nom « tutti frutti » résonne également tout particulièrement dans la culture de la seconde moitié du XXe siècle. En 1955, Little Richard chante en effet « Tutti Frutti », un classique du rock and roll repris ensuite par de nombreux artistes, dont Elvis. Depuis 1989, Cartier a déposé « Tutti Frutti » comme nom de marque dans le secteur de l’horlogerie et de la joaillerie.
Aujourd’hui, certaines montres joaillières baptisées Tutti Frutti interprètent le style d’origine en reprenant en particulier son esprit haut en couleur. L’Arlequino Tutti Frutti de Jacob and Co associe ainsi des gemmes aux teintes variées selon des accords audacieux, mais de formes et de tailles régulières, « calibrées ». Les Big Bang Tutti Frutti de Hublot adoptent, elles, un parti davantage monochrome ainsi qu’une lunette sertie, tout en se déclinant selon différentes couleurs. Et s’il y en a ainsi pour tous les goûts, depuis les années 1920 jusqu’à aujourd’hui, c’est probablement que tutti i frutti sont dans la nature !