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Grandeur et décadence du chronographe à minutes centrales
Histoire & Pièces d'exception

Grandeur et décadence du chronographe à minutes centrales

mardi, 16 août 2016
Par Ilias Yiannopoulos
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Ilias Yiannopoulos

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11 min de lecture

L’apogée du chronographe « pur et simple » en termes de lisibilité et de fonctionnalité a été atteint avec une complication étonnamment rare, les minutes centrales, au début des années 1970. Mais pourquoi les fabricants de premier plan n’ont-ils pas produit plus de merveilles de ce genre ?

Dans les années 1960, la production de l’industrie suisse dépendait essentiellement des calibres manuels de haute qualité conçus et fabriqués par Valjoux, Lémania, Venus, Martel et d’autres. Cependant, les ventes connaissaient un fort déclin, face au succès toujours croissant des montres automatiques et étanches. Les deux principaux concurrents (Valjoux et Lémania) décidèrent de créer des calibres moins chers à fabriquer et donc plus faciles à produire en série. La décision émanait d’un groupe créé en 1960 par la Fédération de l’industrie horlogère suisse. Intitulé « Chronographes et chronomètres », le groupe de travail présidé par Willy Breitling lança, en 1962, une vaste campagne de promotion du chronographe dans la plupart des pays européens. Elle fut relayée par les fabricants qui proposèrent de nouveaux modèles, et le résultat fut impressionnant : en Europe, les exportations suisses de chronographes passèrent de 52 000 unités en 1964 à plus de 173 000 en 1969. Ce ne fut néanmoins pas suffisant. Il fallait donner un coup de pouce supplémentaire et la solution, c’était le chronographe automatique.

Un chronographe à aiguilles centrales pour l’enregistrement des minutes et des secondes rend la lecture du temps écoulé particulièrement intuitive.
Un procédé particulièrement intuitif

La recherche avait été lancée par Lémania à la fin des années 1940. En 1947, le génial Albert Piguet avait créé des prototypes du calibre CH27 animé par un mouvement automatique à pare-chocs, mais le projet, jugé superflu, avait été abandonné. D’après les écrits, le vote décisif en faveur de l’abandon a été celui du président d’Omega. Le vide créé fut rempli en 1969, une année mémorable pour l’industrie horlogère. C’est au cours de cette année-là que Breitling, Heuer, Seiko et Zénith lancèrent les premiers calibres chronographes automatiques : Heuer/Breitling/Büren avec le Cal. 11, Zénith avec l’El-Primero Cal. 3019 et Seiko avec le Cal. 6139. La réponse de Lémania, avec le Cal. 1340, date de 1970.

Ce dernier, doté d’une fréquence de 28 800 A/h, de 22 rubis et de 44 heures de réserve de marche, figurait à la pointe du progrès. Omega introduisit une variante avec indicateur 24 heures placé à 9 h dans le sous-cadran de la petite seconde, le Cal. 1040. C’était un calibre rhodié pourvu d’un système came/levier et d’autres constructions héritées de ses ancêtres (Lémania 2310). Il disposait d’un levier de blocage en Delrin, d’une date à réglage rapide et d’une invention de Marius Meylan-Piguet, un rotor monté sur roulement à billes pour que le remontage du mouvement s’effectue dans les deux sens. Le calibre a été introduit par Omega dans les chronographes Seamaster (réf. 176.001) fin 1971 et Speedmaster MkIII (réf. 176.002) en 1972. Lémania utilisa le 1340 et une variante plus simple, le 1341, dans un grand nombre de modèles destinés à des entreprises comme Tissot, Nivada, Walkman, Hamilton, Bucherer, etc.

La configuration offrait de précieux avantages. Un chronographe à aiguilles centrales pour l’enregistrement des minutes et des secondes rend la lecture du temps écoulé particulièrement intuitive. Avec une aiguille centrale, on suit le décompte des minutes plus facilement que sur un sous-cadran limité à 30 minutes. D’une manière générale, les chronographes de ce type comportaient une aiguille des minutes caractérisée par une extrémité « avion » pour la distinguer de l’aiguille des secondes. Autre grand avantage de la configuration, on libérait de l’espace sur le cadran relativement restreint pour afficher d’autres complications utiles comme l’indicateur 24 heures ou le jour et la date. Nous parlons donc d’un calibre mécanique qui, associé à un cadran particulièrement bien conçu, donne à son utilisateur pléthore d’informations.

Omega Seamaster
Omega Seamaster

Par exemple, sur une Omega Speedmaster Mark IV équipée du Cal. 1040, on avait un chronographe avec compteur 60 minutes central, compteur 12 heures à 6 h, petite seconde et indicateur 24 heures à 9 h, guichet dateur à 3 h et, de surcroît, une échelle tachymétrique. Précision importante, le tout était affiché d’une manière plutôt claire. L’apogée de cette famille de calibres fut atteint avec l’Omega 1041, un mouvement modifié de telle manière qu’il pouvait atteindre la qualité de chronomètre. Il était ajusté dans cinq positions et il fut utilisé dans la Speedmaster 125, la première montre chronographe certifiée COSC au monde.

Valjoux contre Lémania

Cependant, il y avait des raisons pour que la qualité supérieure de cette famille de calibres chronographes, avec complication minutes centrales incomparable, perde de son sens. Chers à construire et délicats à entretenir, ces mouvements posaient problème aux entreprises qui devaient affronter la dure réalité engendrée par l’avènement du quartz. En 1972, Valjoux répliqua avec le Cal. 7750, un mouvement de haute qualité, plus traditionnel dans sa configuration, plus facile à produire et à réviser et, enfin et surtout, simple à modifier et à utiliser. La réplique de Lémania fut le Cal. 5100, qui présentait une configuration légèrement différente du Cal. 1340 et comportait des éléments en nylon pour réduire les coûts. En 1974, l’Omega Speedmaster Mark 4,5 (réf. 176.012) fut le premier modèle à en être équipé. Rapidement, tout le monde adopta le 5100, d’Orfina Porsche Design, Sinn et Tutima à Fortis et Heuer. Compte tenu de sa solidité et de sa résistance aux chocs, il devint le chronographe mécanique incontournable à des fins militaires.

Les appels en faveur d’un mouvement chronographe à minutes centrales sont tombés dans l’oreille d’un sourd.

Laissons de côté un moment l’innovation horlogère pour signaler que, au début des années 1980, la situation était extrêmement difficile pour l’industrie horlogère suisse. Vers 1983, les autorités encouragèrent la fusion du groupe de Lémania, SSIH, avec celui de Valjoux, ASUAG, pour créer la SMH (Société de microélectronique et d’horlogerie), qui allait devenir le Swatch Group, sous le contrôle de feu Nicolas Hayek, en 1998.

Le SIHH apporta sur la table le portefeuille des calibres Lémania et l’ASUAG celui des Valjoux. Le 7750 se révéla clairement gagnant. Il était moins cher à l’achat pour des sociétés tierces, plus simple à modifier et plus facile à entretenir. Face à la décision de réinvestir dans l’outillage et la fabrication du Lémania 1340 et des ébauches 5100, le Swatch Group arriva probablement à la conclusion que, comparativement au Valjoux 7750, ce n’était pas suffisamment rentable. Parallèlement, les ateliers Lémania cessèrent leurs activités jusqu’en 1991, avant d’intégrer finalement le groupe horloger Breguet. À la consternation de tous, le 5100 fut condamné à disparaître, malgré ses qualités techniques. Le calibre 1340 eut un peu plus de chance : bien qu’à petite échelle, la production est toujours effective, en exclusivité pour Breguet. Malheureusement cependant, le compteur de minutes central a été remplacé par un sous-cadran de 30 minutes.

Depuis lors, les appels en faveur d’un mouvement chronographe à minutes centrales sont tombés dans l’oreille d’un sourd. Il y a eu quelques tentatives sporadiques, notamment avec le calibre 60 de TAG Heuer, en réalité une base ETA 2892 avec module Dubois-Dupraz. La construction modulaire a été également utilisée par Girard-Perregaux, pour la Laureato evo3, et surtout par Omega et Breitling. Parallèlement au 1340, Breguet a eu recours à un descendant direct, le calibre 584Q, pour sa Transatlantique Type XXI. Sinn a récemment développé le SZ-01, un 7750 largement modifié pour reproduire la fonctionnalité et l’apparence du Lémania 5100, et elle a été suivie par une autre marque allemande, Damasko. L’autrichienne Harbring figure aussi parmi celles qui ont modifié le 7750 pour produire une ligne de chronographes à minutes centrales. À l’évidence néanmoins, on manque d’un chronographe à minutes centrales qui soit à proprement parler intégré.

Omega Seamaster cal.1040
Omega Seamaster cal.1040
Pourquoi ne pas être romantique

Ainsi, la disparition du chronographe à minutes centrales et le regrettable refus opposé de nos jours à sa relance, malgré sa fonctionnalité et son importance horlogère, relèvent d’un ensemble de facteurs. Premièrement et pour l’instant, il faut composer avec l’utilisation très convaincante du Valjoux 7750, un calibre facile à modifier et à utiliser, dans presque tous les chronographes suisses non développés en interne. Deuxièmement, le fait que le Swatch détient ETA et, via Breguet, Lémania rend le groupe extrêmement puissant. Ne plus vendre de composants ETA à des tiers à compter du 31 décembre 2019 est une décision colossale qui, au cours des dernières années, a amené plusieurs marques de haut de gamme à se concentrer sur le développement de leurs propres mouvements ou à créer des mouvements alternatifs basés sur des ébauches ETA. Un simple calibre développé en interne coûte extrêmement cher. Imaginez la difficulté pour un chronographe, d’autant plus avec une complication minutes centrales. Des entreprises comme Soprod ou Sellita doivent travailler énormément et renouveler la technique pour être à même de faire ce que Lémania a fait dans les années 1970. Troisièmement, qu’est-ce qui a amené l’industrie suisse à créer le chronographe automatique ? Tout simplement, la quête d’une nouvelle part de marché à la suite du déclin du chronographe manuel. Lémania et Omega ont proposé des calibres automatiques à minutes centrales, mais, une fois de plus, l’économie a entraîné leur disparition. Comme ils coûtaient cher, le choix n’était pas du tout rentable. Promouvoir des alternatives abordables n’a pas non plus facilité les choses. Tout repose sur l’économie.

Omega Seamaster
Omega Seamaster

Enfin et surtout, notre perception du chronographe a changé. Le chronographe mécanique est-il un instrument utile ou une complication peu sollicitée dont le seul but est de fournir un bon sujet de conversation ? Depuis que l’apparence prend le pas sur la fonction et que le design d’un produit dépend des départements marketing et non des ingénieurs, on voit bien que la symétrie offerte par un chronographe à trois sous-cadrans est beaucoup plus importante que la lisibilité et la fonctionnalité d’un chronographe à minutes centrales. La forme qui suit la fonction est un diktat qui, dans ce cas, semble perdre de son sens. La manière dont on perçoit quelque chose est déterminée par la seule apparence, plus par la raison d’être.

Malheureusement, je ne vois pas d’avenir pour cette excellente complication/configuration de sitôt, si ce n’est au sein du Swatch Group. Pour l’écrasante majorité des entreprises suisses, il serait improductif et risqué de créer de zéro un calibre qui ne toucherait probablement qu’un marché de niche. Pour les aficionados du chronographe, le seul espoir est d’attendre que le Swatch Group s’exécute. Comme il a acquis le savoir-faire, c’est le seul qui puisse produire un mouvement chronographe à minutes centrales relativement abordable, sur la base des calibres 1340/1040-1. Espérons que, pour une fois de nos jours, l’émotion et l’amour de la mécanique l’emporteront sur la recherche excessive de profit. Il est bon d’être romantique, n’est-ce pas ?

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