L’atelier d’Hajime Asaoka se rapproche d’une tanière bondée de posters futuristes, de mobilier contemporain où se cache aussi d’un nid de cannes à pêche. En plus s’y trouvent des machines-outils et une CNC, celles qu’il a utilisées pour fabriquer en toute discrétion et par lui-même ses premiers calibres et montres. Aujourd’hui, il compte à son actif un tourbillon et un chronomètre réalisés essentiellement à l’aide du livre Watchmaking, de Georges Daniels, et de vidéos vues sur Youtube.
Sensible aux vibrations de la mécanique dès l’âge de 10 ans, époque à laquelle il désosse et remonte un réveil, Hajime Asaoka s’est ainsi mis en tête, au passage de l’an 2000, d’inventer des calibres uniques et inédits. C’est chose faite, et ces derniers deviendront certainement son sésame pour entrer dans le club restreint de l’Académie horlogère des créateurs indépendants – l’AHCI.
Hors circuit
Derrière l’allure juvénile et la présence tranquille d’Hajime Asaoka se devinent une force et une détermination exceptionnelles. Son parcours le confirme. Diplômé de la Tokyo National University of Fine Arts and Music en 1990 – il a alors 25 ans -, le jeune créateur refuse de subir la loi des firmes japonaises « où l’on n’apprécie guère ceux qui sortent du rang ». Il se met à son compte. « La conjoncture économique le permettait ; j’ai dessiné des meubles, des appareils électroniques et aussi des montres avant de réaliser, entre autres, des mises en pages pour des magazines de luxe et de mode. » Il scénarise avec goût et finesse des Rolex, des Bulgari, ou encore des Dunhill. Sa connaissance du style horloger se renforce. Surtout, cette activité finance ses premiers essais.
Pas à pas
Hajime Asaoka a choisi la voie la plus difficile pour apprendre le métier puisqu’il lit l’anglais sans le parler et qu’aucun maître horloger n’est directement accessible. Dès 2002, il s’équipe en outils et machines dans des centres de bricolage. Au besoin, il fabrique lui-même des appareils et profite d’enchères sur le Web pour obtenir, par exemple, un lot de glaces. En 2005, il emboîte un calibre chronographe Citizen dans son premier boîtier maison, « l’occasion d’apprendre la précision et d’opérer à très petite échelle ». En 2007, un premier tourbillon expérimental avec cage à 9 heures et double barillet requiert huit mois de labeur. Il en produira trois « pour faire mes propres recherches ». Déjà les finitions sont maîtrisées, le poli-bloqué du pont de tourbillon étincelant, l’équilibre de la pièce respecté. Le « Tourbillon 1 », destiné, lui, à la vente, suivra en mars 2011. Un second est déjà en préparation, « mais il nécessite des études de forces et de physique spéciales ». Entre-temps, il développe un chronomètre avec roue de balancier en titane, bientôt disponible.
Rythme nocturne
Perfectionniste et solitaire, l’horloger vit la nuit. Sa journée débute vers 15 heures pour se finir à 7 heures du matin. La semaine, il retrouve sa femme et sa fille au petit déjeuner. Ses idées lui viennent souvent à l’occasion de – rares – parties de pêche dans la région de Yokohama, où il a grandi. « Cela me permet de me vider l’esprit et de trouver l’inspiration nécessaire. » D’ailleurs, déçu par la qualité ou la forme de certaines pièces de ses moulinets, il les a refaites.
Le Tourbillon 1 est un reflet de l’esprit flamboyant propre aux coupés français des années 1930 comme les Delage ou les Delahaye.
Hajime Asaoka détonne d’autant plus qu’il vient du graphisme et de la création d’objets. Ce passé créatif lui confère un goût sûr, quasi visionnaire et parfaitement maîtrisé. « Le style Arts déco m’inspire beaucoup pour l’élégance qu’il véhicule, commente-t-il. Le Tourbillon 1 est un reflet de l’esprit flamboyant propre aux coupés français des années 1930 comme les Delage ou les Delahaye. » En horlogerie, le travail d’Albert Potter (1836-1908), horloger américain émigré à Genève, lui sert de modèle au niveau des concepts et de l’esprit d’une montre. Pour les questions techniques et pratiques, il se réfère à Georges Daniels. Un maître anglais qui aurait certainement été très flatté d’apprendre que son manuel aura permis à une vocation d’éclore. Un guide dont Hajime Asaoka est proche puisqu’il entend aussi prouver que « l’horlogerie peut s’apprendre en dehors des écoles ». Une nouvelle horlogerie buissonnière, donc, à ne pas perdre de vue, même au Japon.