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Hommage à Nicolas George Hayek (19/2/1928 – 28/6/2010)
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Hommage à Nicolas George Hayek (19/2/1928 – 28/6/2010)

mardi, 20 juillet 2010
Par Martin Foster
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Martin Foster

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11 min de lecture

Très peu d’hommes ont atteint de leur vivant une stature aussi emblématique que Nicolas G. Hayek. Son rôle dans la reconstruction de l’horlogerie suisse sera certainement étudié, analysé et servira d’exemple. Ils seront toutefois très peu nombreux à pouvoir l’égaler.

Nicolas George Hayek, décédé le 28 juin 2010 à 82 ans, est né en Beyrouth le 19 février 1928, deuxième des trois enfants d’une mère libanaise et un père libano-américain. Son père a suivi une formation de dentiste à Chicago, sa sœur aînée Mona est la veuve de l’architecte libanais de renom Joseph Philippe Karam et son jeune frère Sam, citoyen suisse, a été directeur du groupe brassicole suisse Sibra. Sa famille a déménagé en Suisse alors que le jeune Nicolas avait sept ans. Dans sa jeune vingtaine, il a rencontré son femme Marianne. Ils ont eu deux enfants, Nayla et Nick Jr.

Le succès entrepreneurial de Nicolas G. Hayek est à comprendre comme la combinaison unique d’une excellente formation professionnelle, d’un flair avéré et d’un charme charismatique. De plus, son humour espiègle a fortement contribué à rendre son personnage public d’une humanité déconcertante. La manière dont il conduisait les conférences de presse du Groupe Swatch en est un excellent exemple tout comme la présentation sur Internet de son cabinet de conseil Hayek Engineering Inc.

On se souviendra de lui non sans humour comme Monsieur Swatch, l’homme qui portait six montres ou plus aux poignets lorsqu’il présentait les nouveaux produits de ses marques. Son visage était d’ailleurs un matériau fertile pour les caricaturistes et les dessins qui figurent sur son propre site donnent une idée de l’image qu’il avait de lui-même et de son personnage public. En fin de compte, au terme d’une vie extraordinaire, Nicolas G. Hayek comptait parmi les hommes les plus riches de la planète avec une fortune estimée à 3,9 milliards de dollars.

Nicolas G. Hayek en avait rêvé. Trois ans et demi de travail auront été nécessaires pour créer la réplique de la montre de poche de Marie-Antoinette © Montres Breguet
Nicolas G. Hayek en avait rêvé. Trois ans et demi de travail auront été nécessaires pour créer la réplique de la montre de poche de Marie-Antoinette © Montres Breguet
Seiko sonne le glas

Les prémisses de l’association entre Nicolas G. Hayek et l’industrie horlogère remontent à l’avènement des technologies de quartz dans les années 70, technologies qui, du jour au lendemain, ont rendu obsolètes les produits mécaniques qui faisaient le beurre de l’industrie suisse. La Seiko 35 SQ Astron a été la première montre à quartz à entrer en production en 1969 et c’est alors que les ennuis ont commencé. L’industrie asiatique portée par ces nouvelles technologies s’est mise à inonder les marchés internationaux de produits électroniques bon marché, submergeant au passage les fabricants suisses. En quelques mois, les vénérables marques helvétiques se sont retrouvées complètement dépassées, victimes d’une loyauté volage et de la superficialité des marchés désormais régis par les prix.

En 1980, le Japon s’est hissé à la deuxième place mondiale des producteurs de montres en termes de volume, juste derrière Hong Kong. Les Suisses ne figuraient même plus dans le segment des garde-temps bon marché et continuaient de perdre du terrain dans le milieu de gamme, un segment en totale perte de vitesse pour avoir passé en dessous de la barre des 10% du marché mondial. Paradoxalement, les équipements de production suisses, vendus pour une bouchée de pain suite à la vague de faillites intervenue dans le pays, ont pris le chemin de Hong Kong, servant de base industrielle à la fabrication asiatique de montres mécaniques bas de gamme pour la plus grande misère de l’industrie suisse. Le lien durable que Nicolas G. Hayek allait entretenir avec l’industrie horlogère suisse remonte ainsi en 1983 et se comprend comme une intervention contre ce scénario catastrophe. A cette époque, Nicolas G. Hayek, directeur général de Hayek Engineering, recevait pour mandat de la part des banques suisses, inquiètes pour l’avenir de la branche, d’élaborer une stratégie d’avenir pour ASUAG et SSIH.

Concurrencer l’Asie sur son propre terrain

Dans les récents articles de presse, on a pu lire qu’il avait été embauché pour trouver la manière la moins douloureuse de liquider l’industrie horlogère helvétique. Mais si cela est vrai, il n’y a absolument aucun élément pour étayer cette thèse. Tout au contraire, en 1983, les conclusions de l’étude menée par Nicolas G. Hayek recommandaient un certain nombre de mesures qui devaient permettre aux entreprises de la branche de survivre, voire de prospérer. Parmi les points clés, il s’agissait de fusionner ASUAG et SSIH dans la nouvelle SMH et de lancer la production de masse d’une montre high-tech et bon marché. La stratégie d’Hayek dépendait également de la revitalisation de marques phares telle qu’Omega afin de promouvoir, à l’autre bout de l’échelle, sa nouvelle montre en plastique bon marché, élaborée sous la direction d’Ernst Thomke à ASUAG et désormais appelée la Swatch.

Nous sommes tous dans des entreprises mondiales en concurrence sur les marchés mondiaux.
Nicolas G. Hayek

Hayek a réussi le tour de force de persuader les banques qu’en obligeant les fabricants suisses à concurrencer la production asiatique sur son propre terrain, il en découlerait une rationalisation des coûts indispensable à la profession. De plus, si les horlogers helvétiques ne cherchaient pas reconquérir les marchés à gros volume, cette problématique des coûts allait certainement engendrer un handicap majeur dans les segments haut de gamme. Hayek pensait également qu’ASUAG et SSIH se devaient de rester en mains suisses afin de pérenniser la tradition horlogère helvétique. « Nous sommes tous dans des entreprises mondiales en concurrence sur les marchés mondiaux, disait-il. Mais cela ne veut pas dire que nous ne devons pas allégeance à notre culture. » L’idée était qu’avec de tels objectifs stratégiques, l’industrie n’avait d’autre choix que l’innovation afin de regagner la compétitivité perdue de l’horlogerie suisse dans touts les segments de marchés et par là même lui rendre son honneur.

Une nouvelle culture

La mise en œuvre des mesures préconisées par l’étude Hayek, la prise de participation majoritaire par ce qu’on appelle « le Pool Hayek » et la nomination de Nicolas G. Hayek en tant que CEO a ouvert de nouvelles opportunités et créé une nouvelle culture. Nicolas G. Hayek a institué une structure d’entreprise plate, peu hiérarchisée, afin d’encourager l’innovation. Selon lui, la hiérarchie est un éteignoir de bonnes idées : « chaque fois qu’une idée doit remonter d’un cran le long de la hiérarchie d’une entreprise, il ya de bonnes chances pour qu’elle n’avance plus ou qu’elle se retrouve amputée », expliquait-il. Et d’ajouter : « la structure organisationnelle est la chose la plus inhumaine jamais inventée. » Il a ainsi encouragé les employés à venir directement lui faire part de leurs idées dans le but d’encourager l’esprit entrepreneurial.

Le renforcement des marques de la SMH, qui deviendra le Groupe Swatch en 1998, était pour Nicolas G. Hayek un moyen de surmonter la déshumanisation et l’absence d’individualisme que peuvent engendrer les organisations. Il a donc incité les employés à s’identifier à leur marque et à en respecter les codes culturels afin qu’ils ne sentent pas comme de simples rouages d’une machine. Et pour bien marquer son soutien aux maisons du groupe, dans cet esprit non conventionnel qui lui était propre et qu’il cherchait à insuffler au sein de la compagnie, il a pris l’habitude de porter de multiples montres aux poignets, de Swatch à Omega. Sous l’égide du Groupe Swatch, les marques doivent bien évidemment suivre les lignes directrices fixées par la direction générale, elles n’en bénéficient pas moins d’une quasi complète autonomie en termes de conception, fabrication et stratégies de communication.

Un bébé nommé Breguet

Breguet a été choisi par Nicolas Hayek comme la marque phare du Groupe Swatch, bien décidé depuis son rachat d’en élever la qualité et d’en promouvoir l’image pour en faire une concurrente de Patek Philippe. Et pour bien souligner sa volonté, il en a d’ailleurs repris la gestion en direct. Soit dit en passant, il est intéressant de noter que de temps à autre, des garde-temps historiques Breguet apparaissent lors d’importantes ventes aux enchères. Nicolas G. Hayek s’est ainsi retrouvé à la lutte avec Philippe Patek pour emporter ces lots lors d’enchères mémorables, évidemment très intéressantes pour les vendeurs et non moins amusantes pour les observateurs.

Au cours de ces trente années, Nicolas G. Hayek a redonné aux horlogers suisses leur place dans le monde avec des parts de marché incontournables dans tous les segments de produits et, surtout, une hégémonie quasi complète dans le haut de gamme au potentiel de valeur ajoutée le plus important. Au cours de cette période, le flair Hayek pour les produits non conventionnels a donné naissance au concept de la voiture Swatch, une voiture populaire, abordable et tout aussi personnalisable que les montres du même nom. Ce qui devait devenir la « Smart Car » était à l’origine une joint-venture avec Volkswagen sous la bannière Swatchmobile. Mercedes a ensuite pris le relais. Mais Nicolas G. Hayek s’est retiré du programme dès que le constructeur allemand s’est opposé à l’idée de réaliser un modèle au moteur hybride.

Cet échappement Co-axial servira Omega pendant bien des décennies après la disparition de son mentor.

Nicolas G. Hayek a joué un rôle tout aussi important dans l’introduction de l’échappement Co-axial, mis au point par George Daniel pour la marque emblématique Omega. En utilisant des impulsions radiales pour la transmission d’énergie au lieu du glissement traditionnel de l’échappement à ancre suisse sur la palette, cette invention réduit considérablement les points de friction pour une plus grande précision du mouvement et des services plus espacés du calibre. Ce fut une décision courageuse dans la mesure où l’échappement à ancre suisse ainsi supplanté est le fruit de plus de 240 ans de développement et fonctionne à satisfaction. Le remplacer par un mécanisme inconnu démontre clairement les capacités de Nicolas G. Hayek à ouvrir de nouvelles voies à l’innovation. Cet échappement Co-axial servira Omega pendant bien des décennies après la disparition de son mentor.

Un enthousiasme communicatif

ETA, la manufacture de mouvements du Groupe Swatch est entièrement dédiée à la production de calibres pour les différentes marques de la multinationale. Depuis quelques temps déjà, Nicolas G. Hayek a cherché à en restreindre l’offre aux propres sociétés du groupe. De manière concomitante, cela a également eu des effets bénéfiques sur l’industrie horlogère suisse dans la mesure où cela a incité les grands de la branche à accroître leurs dépenses en R&D pour produire leurs propres mouvements.

Jean-Daniel Pasche, président de la Fédération de l’industrie horlogère suisse, estime qu’aujourd’hui, les Maisons ont résolu une grande partie de leurs problèmes. Dans un entretien publié sur le site www.swissinfo.ch, il dit à propos de Nicolas G. Hayek: « nous avons perdu une personnalité de premier ordre et un grand entrepreneur de notre industrie mais nous sommes aujourd’hui à même de poursuivre notre développement et de renforcer notre position sur les marchés internationaux. Je demeure très confiant quant à l’avenir car l’enthousiasme de Monsieur Hayek perdurera ».

Il fait dire enfin que très peu de personnes ont atteint de leur vivant une stature aussi emblématique que Nicolas G. Hayek. Son rôle dans la reconstruction de l’horlogerie suisse, à l’agonie il y a trente ans des plus florissante aujourd’hui, sera certainement étudié, analysé et servira d’exemple. Peu nombreux toutefois seront ceux qui sauront l’égaler.

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