A-t-on déjà vu une personne portant un chronographe au poignet utiliser cette fonction indispensable à son quotidien ? Inutile de réfléchir bien longtemps, si l’observateur a pu repérer ce geste fugace consistant à démarrer la trotteuse d’un chrono, c’est pour ensuite se frotter les yeux tant cette « action » est rare, presque irréelle. Et pourtant, la montre chronographe fait l’objet d’une offre pléthorique et son histoire fascine car intimement liée à l’avènement du sport moderne et de ses compétitions spectacles. Les chicanes à propos de son inventeur ont défrayé la chronique, les prouesses liées à l’apparition d’un premier puis d’un second bouton-poussoir disséquées sont à l’envi et ses modèles mythiques au cadencement de plus en plus rapide sont érigés en symboles de performance. Alors qu’importe si l’utilité du chronographe est inversement proportionnelle aux problèmes d’obésité dans le monde, il reste un garde-temps que l’on arbore avec la fierté de celui qui peut…
Le chronographe devient un exercice de style permettant de mesurer le niveau de compétences des horlogers avant d’être recherché pour sa fonctionnalité.
Exercice de style
C’est sur cette corde sensible que joue Montblanc cette année. Dans les tiroirs de la Manufacture Minerva, aujourd’hui pleinement intégrée, la Maison est allée chercher la légitimité voulue pour donner une seconde vie à sa ligne TimeWalker. De fait, dès 1908, Minerva s’est fait un nom dans les montres équipées de fonctions chronographes et de compteurs. En 1916, la manufacture est ainsi l’une des premières à fabriquer un mouvement à haute fréquence pouvant mesurer le 1/100 de seconde. C’est précisément cet esprit pionnier, allié à l’univers de la course automobile, que Montblanc met en exergue aujourd’hui avec sa ligne TimeWalker aux doux accents vintage. La cible : « les vainqueurs modernes qui aiment que la montre choisie exprime leurs réussites, leurs ambitions, leur virilité, leur style et leur personnalité » (sic!). Au menu de ces héros : un Chronograph Rally Timer Counter, garde-temps inspiré d’un calibre manufacture des années 1930 qui se convertit en montre de poche, une version à double fuseau horaire avec la TimeWalker Chronographe UTC, une autre automatique et, clou de la collection pour super héro, le Chronograph 1000. Inutile d’ergoter longtemps, cette montre à double chaîne cinétique, celle du chronographe battant à 360 000 alternances/heure (50 Hz) pour mesurer mécaniquement le 1/1 000 de seconde, est assurément « un prodige d’ingénierie horlogère », pour reprendre les termes de Montblanc.
Point n’est besoin d’autres confirmations pour comprendre qu’à ce stade de précision le chronographe devient un exercice de style permettant de mesurer le niveau de compétences des horlogers avant d’être recherché pour sa fonctionnalité. On pourrait presque faire le même constat lorsqu’il s’agit des montres de régate. Non que ce sport soit dénué des attraits nécessaires à en faire le théâtre de compétitions dantesques. Il suffit pour s’en convaincre de voir le succès grandissant de la Coupe de l’America. Mais hors le cercle fort restreint des amateurs qui peuvent effectivement trouver quelque utilité à lire un compte à rebours au poignet en suant sur un winch, la montre de régate reste d’un intérêt tout hypothétique. Qu’à cela ne tienne. Comme les Maisons horlogères sont de plus en plus nombreuses à faire les yeux doux aux régatiers de la prestigieuse 35e America’s Cup, quoi de mieux qu’une montre de régate pour les séduire ?
Admirable inutilité
En tant que partenaire de la Coupe et de deux équipes en lice – Oracle Team USA et Softbank Team Japan –, Panerai livrait au SIHH une nouvelle version de sa Luminor 1950 Regatta. Plus hardie, Ulysse Nardin, qui parraine Artemis Racing, arrivait avec sa propre Regatta dotée d’une astuce technique inédite : le compte à rebours et le chronométrage de la course se font à l’aide de la même trotteuse bidirectionnelle qui tourne dans le sens antihoraire pour la première fonction et horaire pour la deuxième, qui prend le relais sans aucune manipulation dès que le premier décompte arrive à son terme. Encore dans la zone de départ, Zenith fait également partie des papables. Récente partenaire de Land Rover, lui-même sponsor de Ben Ainslie Racing, la Maison au célèbre chrono El Primero pourrait se jeter à l’eau.
Reste que c’est essentiellement sur la terre ferme que le chronographe a fait ses preuves. Encore faut-il le considérer comme un « outil » pratique, ce qui n’est pas vraiment le cas lorsque l’on aborde la thématique des grandes complications. Dans le vocabulaire classique, tout garde-temps pouvant se réclamer d’une telle appellation, aussi recherchée que galvaudée, doit intégrer un chronographe. C’est dire si la maîtrise de cette technique horlogère fait partie des grands défis de la profession. Défi qui, encore une fois, relève davantage de la démonstration que de la pure fonctionnalité.
Mais comme le dit Cyrano de Bergerac, « c’est bien plus beau lorsque c’est inutile ». Et cette inutilité-là force l’admiration, notamment chez Vacheron Constantin avec sa Traditionnelle Chronographe Quantième Perpétuel ou chez IWC et son modèle Da Vinci Tourbillon Rétrograde Chronographe. Quintessence du genre : l’A. Lange & Söhne Tourbograph Perpetual Pour le Mérite, qui intègre un tourbillon avec dispositif de transmission fusée-chaîne, un chronographe à rattrapante et un quantième perpétuel avec phases de lune. Avec ce type de montre, le chrono donne une petite touche ludique à des modèles qui en imposent par la rigueur indispensable dont ils sont issus. Un peu de douceur dans un monde de… cames et de roues dentées.