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« Je ne crois pas à la crise des marques de luxe »
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« Je ne crois pas à la crise des marques de luxe »

vendredi, 27 novembre 2009
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Christophe Roulet
Rédacteur en chef, HH Journal

“Vouloir est la clé du savoir.”

« Une trentaine d’années passées dans les travées du journalisme, voilà un puissant stimulant pour en découvrir toujours davantage. »

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8 min de lecture

Le sociologue et philosophe français Gilles Lipovetski était de passage dans la cité de Calvin pour tenir une conférence devant les étudiants du Master of Advanced Studies en management du luxe, une formation que vient de lancer la Haute Ecole de Gestion de Genève. Rencontre.

Quelle est votre analyse des revers enregistrés dans l’univers du luxe alors que l’on pensait cette industrie immunisée aux aléas conjoncturels ?

Gilles Lipovetski : Une récente enquête menée auprès des Français conclut à une crise de la consommation. Un grand pourcentage des sondés ont en effet exprimé leur défiance par rapport aux marques et leur manque d’attrait pour leurs produits. Comme si le moteur de la consommation était cassé du fait que les gens seraient devenus plus raisonnables dans leurs actes d’achat. En ce sens, le recul enregistré dans le secteur de luxe en serait une parfaite illustration, annonçant de futurs bouleversements dans l’univers commercial au sens large. Personnellement, je n’y crois pas une minute, pas plus que je n’attends cette révolution annoncée. N’oublions pas que l’acte d’achat est principalement influencé par des facteurs psychologiques. Or le climat actuel est tout sauf propice. Les gens ont peur, peur pour leur emploi, peur de l’avenir conjoncturel immédiat. Si l’horlogerie en pâtit actuellement, c’est donc à l’instar des autres acteurs du luxe. Quant à moi, je ne vois pas de changements culturels profonds se manifester.

Les ingrédients du dynamisme qu’a connu l’industrie du luxe n’ont pas disparu. Loin de là. Cette quête du rêve, ces envies de se faire plaisir, de collectionner des produits d’exception sont toujours bien présentes. La crise est donc avant tout liée à une situation économique qui influence les gens au niveau psychologique. En d’autres termes, les fondamentaux qui ont engendré la société d’hyperconsommation sont toujours à l’œuvre. Rien ne les a remplacés. Pour la plupart d’entre nous, se faire plaisir revient à consommer.

La réponse à apporter à cette situation est-elle de démocratiser le luxe ou, au contraire, de jouer la carte de l’exclusivité ?

Je pense que les deux vont continuer de cohabiter. Globalement, le marché du luxe est certainement devenu un marché de masse. Que l’on songe à la parfumerie, à la maroquinerie, à la bijouterie, voire même à l’horlogerie. Ainsi, Mauboussin a récemment lancé une grande campagne d’affichage dans le métro parisien. Une première pour la marque qui, de plus, n’a pas hésité à afficher les prix de ses articles : une bague sertie de diamant à 500 euros, par exemple. Et cette campagne a pleinement porté ses fruits. Ce type de démarche n’empêche toutefois pas la marque de mener en parallèle une politique de produits beaucoup plus exclusifs. A la démocratisation du luxe répond le désir d’objets exceptionnels. C’est pourquoi je pense qu’il y a un marché pour les deux approches.

A votre avis, quels sont donc les principaux défis de la branche ?

L’industrie du luxe doit impérativement faire preuve d’une parfaite maîtrise de tendances contraires. Elle doit servir de référence à la tradition et au savoir-faire hérité du passé tout en faisant preuve d’innovation, une des caractéristiques essentielles de la branche. Cela vaut évidemment aussi pour l’horlogerie. Le défi est donc celui de la créativité, du design, alliés à la recherche et à la technologie. L’exemple de la Swatch est suffisamment parlant. Cette montre est immédiatement devenue un accessoire de mode. Les consommateurs ont alors commencé à intégrer le fait que l’on pouvait changer de montre comme de vêtements. Une évolution extrêmement porteuse qui a donné une seconde vie à l’horlogerie. Mais sans innovation, tout cela aurait été impossible.

N’avez-vous pas l’impression que ce type de discours sans cesse ressassé pourrait un jour commencer à lasser le consommateur ?

Lorsqu’on achète un produit de luxe, il ne faut pas oublier que l’on achète en même temps une part de rêve. Sinon, pourquoi serait-il si cher ? Raison pour laquelle les différents acteurs de cette industrie doivent se construire une image de qualité, de pérennité, de créativité et d’innovation technologique. A l’heure actuelle, on ne produit certes plus une montre comme autrefois mais la communication de ces Maisons suggère que le même soin est apporté aujourd’hui à la réalisation de ces garde-temps que celui avec lequel l’artisan les confectionnait à l’époque. Cette démarche est essentielle vis-à-vis d’un consommateur qui n’est pas en priorité intéressé à acquérir un objet utilitaire mais plutôt un produit qui incarne une certaine perfection, un produit susceptible de le faire rêver. En ce sens, je ne pense pas que la communication qui véhicule ces valeurs soit en passe de lasser.

La géographie de la richesse mondiale est en train de basculer vers l’Est. Qu’est-ce que cela signifie pour l’industrie du luxe ?

Cela veut dire de nouveaux territoires à conquérir, un impératif et une magnifique opportunité pour les marques, d’autant que ces pays sont fortement demandeurs de produits de luxe considérés comme des symboles de statut social. Ce n’est donc pas un hasard si les ouvertures de boutiques se sont poursuivies dans ces régions, en Chine notamment, et ce, malgré la crise. En d’autres termes, si l’Europe a fait le plein, là-bas, ce n’est pas le cas. Des milliers de gens vont potentiellement prendre pied sur le marché du luxe. Et là, on ne parle pas d’imaginaire. L’horlogerie est d’ailleurs très bien positionnée pour en tirer profit car dans ces pays, la montre est clairement un signe de richesse. Mais pour y parvenir, il est indispensable d’investir. Toutes les marques de luxe qui ont de l’ambition se doivent d’investir, notamment dans la communication comprise aujourd’hui comme un outil indispensable permettant de se distinguer de la concurrence. Autrefois, dans le monde du luxe, le produit parlait pour lui-même à un public de fidèles consommateurs. A l’heure actuelle, cette fidélité est devenue toute relative. Avec la mondialisation, le consommateur change, devient versatile. D’où l’importance croissante du marketing. A ce stade, la seule question qui se pose est de savoir si le marketing est susceptible de tuer la créativité…

Dans ces conditions, l’hyperconsommation a encore de beaux jours devant elle ?

Les marques sont partout ; elles sont désormais globalisées. Conséquence : il n’y a jamais eu autant de diversité dans l’offre de produits. Nous vivons dans une économie de la variété même si l’hyperconsommation aurait tendance à engendrer un sentiment d’uniformisation. En fait, c’est tout le contraire : il y a trop de choix, trop de produits. Le consommateur a donc besoin de références et c’est précisément là que les marques ont toutes leurs chances. L’hyperconsommation a engendré le « low cost ». Comme le consommateur d’aujourd’hui ne veut plus se priver, il regarde simplement là où il est possible d’économiser dans ses dépenses. Ce n’est pas parce qu’il est dénué de moyens financiers mais bien plutôt parce qu’il a trop de besoins. Il tombe ainsi dans la spirale de la consommation facile, renouvelable à l’infini. Or dans cet univers, le luxe apporte ce petit « plus » qui est d’offrir une part de rêve accessible. Et je ne vois pas ce qui pourrait le remplacer. C’est pourquoi je ne crois pas à la crise des marques de luxe. D’une manière générale, les gens ne sont pas désenchantés par la consommation car elle ne crée pratiquement pas de déception, à l’inverse de la vie professionnelle ou affective. Les produits continuent au contraire d’apporter satisfaction pour autant qu’ils soient de qualité. Et c’est cette stimulation qui nourrit et continuera de nourrir les marques de luxe !

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