Carlo Ceppi : Il s’agit de poser un scénario sur deux ans en ce qui concerne l’univers de la distribution qui est en pleine évolution étant donné l’internationalisation des marchés. De plus, la croissance ininterrompue de ces dix dernières années, agrémentée par le sentiment de puissance du marketing, a donné aux distributeurs l’impression qu’il était très facile d’augmenter leurs bénéfices année après année avec, comme résultat, une situation actuelle où les stocks sont pléthoriques. Avec la crise que nous vivons, les consommateurs se reportent sur les modèles emblématiques des marques disposant d’une forte légitimité, question de sécurité. Mais au niveau des détaillants, cela se traduit par de gros efforts promotionnels, donc par d’importants discounts et par une recrudescence du marché gris, pour faire diminuer les stocks.
En Europe, où la distribution est plus ancienne, nous avons affaire à de nombreuses petites structures, notamment dans le Sud, constituées de sociétés familiales finalement peu professionnelles. Au Nord, les chaînes de distribution sont plus fortes, plus importantes, avec la nécessité de couvrir leurs coûts en réalisant des chiffres d’affaires conséquents. Pour ce qui est des nouveaux marchés, l’offre est différente et se fait essentiellement dans les moles et les grands centres commerciaux.
Dans ces conditions, il serait souhaitable, en termes de marketing, à ce que les collections des Maisons horlogères tiennent davantage compte des particularismes locaux, notamment sur les marchés mûrs, via une collaboration plus étroite avec les détaillants. Sur ces marchés, il faut inévitablement s’attendre à une réduction du nombre de points de vente dans le but de rehausser la qualité de l’offre en termes de formation du personnel, de présentation des modèles et de service après vente. Dans le même ordre d’idée, les détaillants devront se concentrer sur un nombre plus restreint de marques afin d’assurer un meilleur professionnalisme. De leur côté, les Maisons vont probablement devenir plus sélectives dans leurs réseaux de points de ventes pour coller à des consommateur désireux d’être conseillés par des spécialistes, comme dans les boutiques monomarques qui vont d’ailleurs continuer à se multiplier. En un mot, de grands changements se dessinent dans les deux à trois an à venir.
En Italie, les structures de ventes sont pratiquement toutes basées sur des sociétés familiales. De plus, la crise actuelle intervient à un moment où nombreuses sont ces entités à faire face à un changement de générations. En d’autres termes, les rapports sont de plus en plus tendus entre ces petits détaillants et les grandes structures de distribution des multinationales de la branche. En parallèle, de plus en plus de marques ouvrent leurs propres boutiques, comme dernièrement Patek Philippe et Rolex Milan, alors que les points de ventes disparaissent dans les périphéries urbaines et dans les plus petites agglomérations. Sur un marché actuellement caractérisé par une baisse de la qualité de l’offre et des stocks en surabondance, c’est dire le travail qui s’annonce. Le défi consistera à vendre moins mais avec de meilleures marges et une qualité de service à la hauteur des attentes. Aujourd’hui, les consommateurs veulent des produits irréprochables en termes de qualité à des prix justifiés. Ces dernières années, les horlogers ont presque eu tendance à l’oublier.
Une légère lueur au bout du tunnel
Dans sa dernière Enquête sur les détaillants horlogers (11th Watch Retailers Survey) publiée en juin dernier, Goldman Sachs fait part sans surprise du sentiment le plus négatif jamais enregistré auprès des points de vente du secteur depuis la création de l’étude il y a onze ans. Les perspectives de ventes comme du trafic généré auprès de consommateurs n’ont jamais été aussi basses. Les détaillants escomptent également une baisse des prix payés à leurs fournisseurs dans le but de préserver leurs marges. Quant au processus de déstockage en cours, il y a de fortes chances qu’il se poursuive dans les mois à venir.
Selon les niveaux d’inventaire relevés par la banque d’affaires, il y a néanmoins tout lieu de croire que la situation est en phase de stabilisation. En d’autres termes, si le déstockage en cours en encore susceptible de mettre la pression sur les manufactures, cette phase du cycle semble à un stade relativement avancé. Si les ventes au consommateur final devaient se stabiliser durant le deuxième semestre, les détaillants pourraient reconstituer leurs stocks plus rapidement que prévu. Pour Goldman Sachs, il est donc certes encore trop tôt pour affirmer que le rebond de l’industrie est en vue mais le potentiel de baisse ultérieure est devenu aujourd’hui relativement limité avec un profil rendement/risque sur les titres du secteur désormais plus attractif.
Toujours selon l’étude, en ces temps où les consommateurs finaux recherchent des produits pour lesquels ils en ont pour leur argent (value for money), cinq Maisons se profilent comme les marques gagnantes dans cette phase de recul, synonyme de gains de parts de marché, à savoir Breitling, Cartier, Omega, Rolex et Tag Heuer. En conclusion, la banque place les actions Bulgari (un actif stratégique unique dans l’univers du luxe), Richemont et Swatch parmi ses recommandations d’achat.