Je ne suis pas un type qui adore offrir ou s’offrir de grosses tocantes bien voyantes et bien rutilantes. Ma femme Camilla non plus. Qu’importe que la montre soit en or, en platine, en acier, en PVC ou en matériau composite. L’important est que le mécanisme à l’intérieur soit fiable, solide et précis. Le look aussi a son importance. Personnellement, j’évite les montres trop design, trop modernes parce que ce sont elles, généralement, qui se dévaluent ou qui vous lassent le plus vite. Une montre classique, bien dessinée, bien pensée, restera intemporelle. Maintenant, je peux très bien comprendre la symbolique qui tourne autour d’une montre en or. Dans l’inconscient collectif, cela fascine les gens. C’est l’objet même qui symbolise la réussite. Moi-même, quand j’étais gamin, cela m’émerveillait. Mon premier contact avec l’or a pris la forme d’une bague offerte par mes parents quand j’ai réussi mes études. Elle tient une place à part dans mon cœur, car cette bague avait été fabriquée à partir des bagues de collège de ma mère et de mon père, de vieilles montres en métal précieux ainsi que de l’or fondu provenant d’une dent de ma mère ! Vous savez, je viens d’une famille modeste.
Effectivement ! C’était un 24 décembre vraiment pas comme les autres. J’avais alors 17 ans et nous étions à Houston. Mon père me dit : « Allez, fiston, monte dans la voiture. Allons chez Kmart acheter des rubans pour les cheveux de ta mère et des décorations pour le sapin ! » C’était une journée pluvieuse, grise et froide. Il ne devait pas faire plus de 8 degrés. Nous nous dirigeons alors vers le nord. Mon père prend la sortie 59 et passe sous le viaduc. Mais à l’évidence nous n’étions pas arrivés chez Kmart mais bien sur le parking d’un vieux centre commercial abandonné. Les fenêtres étaient cassées. Il y avait des graffitis partout, des bennes à ordures taguées, des lignes électriques déglinguées. On voit alors s’avancer une camionnette blanche les grands phares allumés. Je commence à flipper. Mon père me dit : « Pas de panique, c’est Chicago John ! » Je vois alors débarquer un type rondouillard et chauve tout droit sorti d’un film de Scorsese. Il portait une veste en cuir mais pas assez chaude visiblement. Il ouvre la porte arrière de son van pour nous montrer sa marchandise. Et j’entrevois un lave-vaisselle, un micro-ondes, un sèche-cheveux et tout un tas de trucs. Le mec sort alors une boîte à chaussures avec, à l’intérieur, quelque chose d’enveloppé dans des serviettes en papier. Comme je me tenais à quelques mètres derrière, je ne pouvais rien distinguer. Je ne savais pas ce qu’il pouvait bien y avoir dans cette boîte. Contrairement à mon père, qui, lui, le savait bien ! (Rires.) Après un haussement d’épaules, mon père tape dans la main du type et lui file une enveloppe sortie de son blouson. De retour à la voiture, mon père me dit : « Mets ça dans la boîte à gants, fiston, et assure-toi qu’elle est bien fermée. » Je ne savais toujours pas ce que contenait cette boîte. Un animal, un truc mystérieux ? Mais mon père ne moufte pas ! Au bout de cinq minutes, il stoppe la voiture sur le bas-côté et me demande de vérifier si la boîte est toujours-là. « Ouvre-la », me dit-il. Et là, je tombe sur une montre. Une superbe montre. Je vois le visage de mon père s’illuminer. Forcément, j’en reste bouche bée. Je ne m’attendais pas à un tel cadeau ! Après un instant, mon père me dit : « Tu sais ce que c’est, mon gars ? C’est une Rolex en titane qui coûte 22 000 dollars ! »
Attendez, ce n’est pas fini ! C’est même là que cela devient intéressant. Mon père me pose alors cette question : « Sais-tu combien j’ai dû lâcher pour l’avoir ? 3 000 dollars ! Maintenant, il faut que je te fasse une confidence. Cette montre ne vaut pas ça, car c’est une fausse. Elle ne vaut même pas 200 dollars. » Sur le coup, je n’ai pas trop compris. Jusqu’à ce qu’il m’explique. En fait, le plus intéressant pour lui ce n’était pas tant d’obtenir cette montre en titane. Qu’elle soit vraie ou en toc, il s’en fichait éperdument ! Non, ce qui le motivait c’était de faire affaire et de prendre plaisir à négocier. Notamment avec cet escroc ! Mon père adorait les mafieux et le cirque qu’il y avait autour d’eux. Il adorait ce folklore. Il adorait leurs codes et tout leur baratin. Même si mon père était le type le plus droit et le plus honnête au monde, il était fasciné par ces petites frappes. Il préférait faire une mauvaise affaire avec des gens amusants, comme ce mafioso à deux balles, que de dealer réglo avec des gens réglo qui manquaient de relief. Il aimait les personnages atypiques. Mon père, c’était le genre à investir dans des mines de diamants en Équateur, même s’il n’y a pas de mines de diamants là-bas. Un jour, il a même traîné ma mère dans la jungle équatorienne à coups de machette. Il n’a jamais trouvé de diamants sur place, mais au final il a vécu une super aventure avec ma mère ! Mon père vendait des tuyaux. C’était un gars bien qui nous rappelait que le plus cool ce n’était pas tant de gagner de l’argent mais la façon dont on s’y prenait pour le gagner.
Non ! Une montre ne m’aurait servi à rien à cette époque. Et pour cause, j’avais besoin de me déplacer. J’ai donc investi dans un gros « pick-up » avec de beaux chromes bien rutilants. Un camion que j’ai détruit le jour même contre un poteau électrique ! Quelques heures plus tard, c’était mon portefeuille que j’oubliais dans mon jean. Jean lui-même laissé dans la machine d’une laverie automatique. Au final, je n’ai retrouvé ni mon jean, ni le portefeuille. La seule bonne nouvelle, c’est qu’on m’avait laissé mon paquet de lessive…