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L’autre versant du marché horloger
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L’autre versant du marché horloger

vendredi, 11 décembre 2015
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Fabrice Eschmann
Journaliste indépendant

“Il faut se méfier des citations sur Internet !”

« Une grande histoire aux multiples auteurs : ainsi en est-il de la vie. Ainsi en va-t-il aussi de l’horlogerie. Sans rencontres, point d’histoire. »

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8 min de lecture

Sous le titre « Les vies multiples d’une montre », la récente Journée internationale du marketing horloger a mis le doigt sur deux mondes qui s’ignorent : le marché du neuf et ses boutiques de luxe face aux réseaux de « deuxième main », très largement présents sur Internet.

À l’instar de Patek Philippe et son fameux slogan « Jamais vous ne posséderez complètement une Patek Philippe. Vous en serez juste le gardien, pour les générations futures », nombreuses sont les Maisons horlogères à souligner la qualité intrinsèque et le caractère durable de leurs produits. Des propriétés qui, en toute logique, devraient les inciter à suivre les différentes étapes de vie de leurs montres. Or, l’énorme commerce de la montre d’occasion, plus pudiquement appelée « pre-owned watch », reste un univers largement ignoré des marques. Cet océan mystérieux, sur lequel naviguent passablement d’acteurs, a été – en partie – exploré lors de la 19e Journée internationale du marketing horloger, le 3 décembre dernier à La Chaux-de-Fonds. Sur le thème « Les vies multiples d’une montre », les différents orateurs ont mis en évidence les paradoxes et les ambiguïtés de deux mondes qui s’ignorent : le marché du neuf et ses boutiques de luxe d’un côté et, de l’autre, les réseaux de « deuxième main », très largement présents sur Internet.

La vente de produits de luxe d’occasion a littéralement explosé ces dernières années.
Les marques ne s’impliquent pas

La vente de produits de luxe d’occasion a littéralement explosé ces dernières années. En ne considérant que le seul secteur de l’horlogerie, ce sont plusieurs milliards de dollars par an qui sont aujourd’hui dépensés pour des montres de deuxième main à travers le monde. Une situation qui doit beaucoup à trois facteurs essentiels : le développement du marché du luxe en général durant ces 20 dernières années, l’arrivée des nouvelles technologies et l’évolution des modes de consommation. Ventes de gré à gré, enchères, prêts, échanges ou locations ont en effet fortement augmenté grâce à la formidable capacité de mise en relation offerte par Internet. Un marché alimenté chaque année par la masse de produits neufs qui sortent des manufactures : en 2014 uniquement, ce sont nettement plus de 5 millions de montres d’une valeur de plus de CHF 500 qui ont été exportées hors de Suisse.

Or, ce pan du business horloger « n’a pas été pris en main par les marques », explique Catherine Bourdin-Mougel, de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) du Doubs. Un désintérêt, ou une impuissance, qui s’explique en grande partie par les logiques fondamentalement différentes qui régissent ces deux versants du même commerce : une politique de prix très stricte qui bannit toute possibilité de remise dans un cas, la loi très aléatoire de l’offre et de la demande dans l’autre. Et Catherine Bourdin-Mougel de conclure : « D’autres acteurs ont donc émergé dans ce domaine. »

Pour acheter une montre, le client vit aujourd’hui un véritable parcours initiatique.
Christian Odin
Jouer sur les mots

L’un d’eux est Cresus. Numéro 1 français de la montre d’occasion avec 9 boutiques, 43 collaborateurs, 50’000 pièces vendues depuis sa création en 1993 et EUR 15 millions de chiffre d’affaires en 2015, ce revendeur basé à Lyon a autant pignon sur rue qu’il est présent sur le Web. « Pour acheter une montre, le client vit aujourd’hui un véritable parcours initiatique, analyse Christian Odin, fondateur de Cresus. Il se renseigne autour de lui, puis va sur Internet pour enfin pousser la porte d’une boutique. Nous faisons en sorte d’être présent tout au long de ce cheminement, sur des blogs, sur Facebook et avec notre site, qui accueille quelque 10’000 visiteurs par jour. » Avec pour credo « ce qui devient inutile à l’un peut être recherché par l’autre », le commerçant s’évertue à préserver l’image des marques ainsi qu’à protéger leurs réseaux de vente. Comment ? En jouant sur les mots !

Car Cresus, pourtant parfaitement légitime dans une économie de marché, marche sur des œufs. D’abord parce qu’en dehors du réseau officiel des marques le revendeur échappe à leur contrôle. Une situation qui déplaît fortement à une grande majorité d’entre elles, qui préfèrent dès lors l’ignorer. « On ne parle pas avec toutes les marques, précise prudemment Christian Odin. On en est à ouvrir des portes. » Conséquences ubuesques : les horlogers de Cresus ne sont pas formés par les Maisons horlogères, ne reçoivent pas les pièces détachées et n’ont pas accès à leurs services après-ventes. Ensuite, et c’est ici que l’ambiguïté surgit, le commerçant ne se fournit pas uniquement auprès de particuliers désirant se séparer de leur montre mais acquiert aussi des fins de stocks de détaillants, voire de fabricants. « Mais il ne faut surtout pas dire que c’est du neuf ! s’exclame l’homme d’affaires. Je n’accorde ni ristourne ni rabais. La montre est moins chère parce qu’elle est de seconde main. C’est tout. »

Autres acteurs importants de ce marché « pre-owned » : les maisons de ventes aux enchères.
Les enchères comme révélateur

Autres acteurs importants de ce marché « pre-owned » : les maisons de ventes aux enchères. Apparues dans l’Antiquité pour écouler des biens confisqués lors des conquêtes, les mises à l’encan ont adopté leur forme moderne avec la création de Sotheby’s en 1744 et de Christie’s en 1766. Mais il faudra attendre 1974 et la fondation d’Antiquorum à Genève pour découvrir une maison entièrement dédiée à l’horlogerie.

Depuis, ce canal a passablement évolué, jusqu’à constituer aujourd’hui une référence sérieuse, de nature à influencer le marché des produits neufs. Si, pendant longtemps, les garde-temps proposés étaient des pièces historiques – pendules ou montres de poche –, les lots sont de nos jours constitués à 95 % de montres-bracelets récentes, voire très récentes. L’exemple le plus spectaculaire est celui de Patek Philippe, dont les performances aux enchères atteignent régulièrement des sommets. Mais cette notoriété n’est pas venue seule. Le 14 novembre 1989, Antiquorum inaugurait la première vente thématique de l’histoire consacrée à une seule marque. Au programme du jour : 231 montres-bracelets Patek Philippe, dont celle que Fernandel s’était offerte en 1945. Les prix décollent rapidement. La manufacture a ainsi été la première à encourager la vente de ses propres montres d’occasion pour y glaner des lettres de noblesse exceptionnelles. Elle détient d’ailleurs le record toutes catégories avec la vente d’une montre de poche pour USD 24 millions en novembre 2014 à Genève.

Le plus gros volume des ventes aux enchères est échangé.
Une incidence sur le neuf

Pour Kim Claes, de la Graduate School of Business de Séoul, et Ryan Raffaelli, de la Harvard Business School de Boston, « il y a moyen, pour les marques, de s’attribuer une partie de la valeur qu’atteignent leurs montres lors des ventes aux enchères ». Dans leur étude intitulée « Analysis of the pre-owned watches market through the Antiquorum database », les deux étudiants ont passé en revue 174 sessions organisées par Antiquorum entre 1984 et 2012. Il en ressort notamment que 95 % des adjudications sont au-dessus de l’estimation basse, alors que 5 % sont en dessous de l’estimation haute. Pour cette frange-là, « les marques pourraient augmenter les prix de leurs produits neufs de 4 à 25 % sans perdre de clients ». Si ces événements saisonniers dans les grands hôtels sont le rendez-vous de richissimes collectionneurs, voire de spéculateurs en tout genre, le plus gros volume des ventes aux enchères est échangé, là aussi, sur Internet. Des plateformes en ligne, bientôt rejointes par les maisons traditionnelles, qui offrent tout au long de l’année des dizaines de milliers de pièces récentes ou vintage.

Ce marché grandissant de la montre d’occasion est-il dommageable pour les marques ? Non, mais il faut que tout le monde joue le jeu et que les marques s’impliquent davantage, insiste Christian Odin. Jean-Marie Schaller, CEO de la petite marque Louis Moinet, invité à une table ronde lors de la journée, résume bien la situation : « Les ventes aux enchères m’ont permis d’acquérir des pièces exceptionnelles que Louis Moinet avait réalisées de son vivant, notamment le premier chronographe de l’histoire de l’horlogerie. Ce qui a incontestablement contribué à la notoriété de la marque. Mais j’ai également retrouvé en ligne certaines de mes montres, volées ou revendues après avoir été offertes, proposées à un quart ou un cinquième de leur valeur à neuf. Dans ce cas, inutile de dire que cela me cause du tort. »

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