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Le luxe horloger genevois, une invention récente (I)
Histoire & Pièces d'exception

Le luxe horloger genevois, une invention récente (I)

mercredi, 25 octobre 2017
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Christophe Roulet
Rédacteur en chef, HH Journal

“Vouloir est la clé du savoir.”

« Une trentaine d’années passées dans les travées du journalisme, voilà un puissant stimulant pour en découvrir toujours davantage. »

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6 min de lecture

Dans son ouvrage L’Invention du luxe*, publié en septembre dernier, l’historien Pierre-Yves Donzé retrace deux siècles d’histoire horlogère afin de montrer comment Genève s’est imposée comme la capitale mondiale de l’horlogerie de luxe. Première partie : avant 1945.

Le propos de l’auteur est de répondre à la question « D’où vient l’industrie contemporaine des montres de luxe à Genève ? » et de mettre en évidence une réalité méconnue, qui ne s’inscrit pas vraiment dans la continuité depuis le XVIe siècle. Précisant que « Genève est restée relativement en marge de l’attention des historiens et [qu’] il est difficile de se faire une idée correcte de l’évolution de ce secteur d’activité au cours des deux derniers siècles », il se réfère à une multitude de sources pour arguer que le luxe horloger genevois est une « invention » plutôt récente. Selon une approche chronologique, il distingue cinq périodes durant lesquelles les faits contredisent l’idée communément admise d’une tradition héritée des fameux cabinotiers.

« L’horlogerie à Genève de la fin du régime français à 1870 »

Sous l’Ancien Régime, en particulier depuis la fin du XVIIe siècle, Genève avait connu une longue période de croissance et s’était imposée comme l’un des principaux centres horlogers d’Europe, dans le cadre d’une organisation en corporations appelée la « Fabrique ». L’épisode révolutionnaire y a mis fin. « Le XIXe siècle s’ouvre sur une période de crise et d’incertitudes », précise Pierre-Yves Donzé. Il met en lumière les difficultés liées à la réorganisation du système de production, avec la nécessité de recourir à des fournisseurs extérieurs, à l’émergence de la mécanisation et à l’essor de centres horlogers concurrents dans les régions de Neuchâtel et du Jura bernois. Il en ressort une lutte intestine entre les tenants de la modernité et ceux de la tradition : « Les modernes, favorables à une transformation des structures, affrontent les anciens, défenseurs d’une horlogerie artisanale de qualité. » En un mot, « les causes réelles de la crise sont l’objet de débats passionnés ». L’auteur examine notamment le rôle joué par les différentes institutions qui tentent de favoriser le développement d’une horlogerie « de luxe », sans vraiment y parvenir. Et de relever qu’entre 1815 et 1870 Genève ne bénéficie pas de l’essor que connaît l’horlogerie suisse dans son ensemble, en précisant qu’« il serait faux de voir dans l’essor continu des cantons de Neuchâtel et de Berne et dans la stagnation de celui de Genève l’expression d’une spécialisation régionale, les horlogers genevois restant positionnés dans la fabrication des montres de luxe ». Il souligne l’importance du débat sur l’attitude à adopter face à la concurrence et le fait qu’il n’y ait pas de consensus sur la solution.

L’invention du luxe : Histoire de l’industrie horlogère à Genève de 1815 à nos jours, Pierre-Yves Donzé, Editions Alphil. 2017
L’invention du luxe : Histoire de l’industrie horlogère à Genève de 1815 à nos jours, Pierre-Yves Donzé, Editions Alphil. 2017
« Le défi de l’industrialisation (1870-1914) »

L’horlogerie suisse est confrontée à l’essor des fabriques américaines et aux conséquences désastreuses de la production de masse, ce dont elle prend réellement conscience lors de l’Exposition universelle de Philadelphie en 1876. Face à cette concurrence, l’horlogerie helvétique « est l’objet d’une profonde restructuration, marquée par la mécanisation des activités et la concentration des travailleurs en fabrique », permettant un retour de la compétitivité. Cependant, Genève constitue un cas à part. Pierre-Yves Donzé annonce que si « Genève est souvent présentée comme réticente face au bouleversement des structures productives », avec pour conséquence « une bipolarisation entre Genève et le reste de la Suisse », la réalité est différente : « Il convient de revenir aux sources » pour « apporter une meilleure compréhension de la transformation de l’industrie horlogère à Genève entre 1870 et l’éclatement de la Première Guerre mondiale. »

Cette démarche amène Pierre-Yves Donzé aux conclusions suivantes : « Certes, le mouvement de concentration des ouvriers en fabrique est limité, en regard de ce que l’on peut observer ailleurs en Suisse, mais l’industrialisation est indéniable, avec notamment le grand essor d’une production domestique de montres simples et bon marché. » On retrouve une confrontation vive. D’une part, il y a ceux qui « militent en faveur d’une modernisation limitée » et « comprennent que le recours aux machines peut améliorer la qualité du travail horloger et renforcer la compétitivité des artisans genevois ». D’autre part, il y a les gardiens d’une tradition qu’il qualifie de « largement idéalisée » par des institutions qui mènent une action « extrêmement visible », soutenue par des discours qui ne tiennent pas compte de la réalité. Sur la période, Pierre-Yves Donzé réfute la thèse de « l’existence d’une exception genevoise, qui serait restée spécialisée dans l’horlogerie de luxe ».

Genève, Place St-Gervais vers 1825
Genève, Place St-Gervais vers 1825
« Les restructurations de l’entre-deux-guerres »

Durant cette période, l’horlogerie genevoise connaît un bouleversement que l’auteur résume en trois points. Premièrement, les petits ateliers s’effondrent face à l’essor des fabriques et les montres de qualité standard enregistrent une forte progression. Précisons que l’évolution s’effectue dans le cadre de la cartellisation mise en place en Suisse et du passage de la montre de poche à la montre-bracelet avec, à nouveau, des distinctions à faire dans le cas de Genève. Deuxièmement, « l’école d’horlogerie de la ville, qui était largement un lieu de résistance à la modernité jusqu’au début du XXe siècle, est réorganisée » et devient « un établissement de soutien aux entreprises industrielles ». Pour autant, les élites conservatrices continuent à refuser le changement et leur réaction se fait à travers des publications, expositions et autres manifestations qui font clairement ressortir une « permanence historique de l’excellence horlogère dans la cité lémanique ». Troisièmement, on constate un développement important de la fonction commerciale de Genève qui devient de moins en moins un centre de production et de plus en plus un centre de vente, avec l’installation de nombreux fabricants et négociants suisses ou étrangers. L’auteur en donne divers exemples. Après la Deuxième Guerre mondiale, c’est essentiellement la fonction commerciale qui va assurer « l’entrée de Genève dans une nouvelle phase de formidable croissance ».

*L’Invention du luxe : Histoire de l’industrie horlogère à Genève de 1815 à nos jours, Pierre-Yves Donzé, Éditions Alphil. 2017, 224 p.
ISBN : 978-2-88930-122-5

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