Le coloris détonne et joue les intrus dans la vitrine de la boutique de la rue du Rhône à Genève, dont la plupart des montres en or affichent une teinte jaune, grise ou rose. Entre les Oyster Perpetual Dayjust et autres Cosmograph Daytona, la dernière Cellini Moonphase signée Rolex a droit à une couleur particulière. Son nom de baptême : Everose. Sa composition : un alliage d’or, de cuivre et de titane. Sa particularité : inaltérable. Sa recette de fabrication : secret-défense, comme tous les autres ors réalisés par les marques horlogères ces dernières années, dont les variétés et les propriétés ont profondément modifié le pantone de l’alliage précieux.
Après les années 1980, marquées par un esprit bling-bling, le fric, la frime et les dents en or de Madonna, les années 1990 entament une nouvelle ère, celle du mix or jaune-acier, le fameux bicolore. L’or rose fait son apparition en 2000 et offre au client, avec un peu d’imagination, l’illusion de se croire dans un petit port de la côte Est des États-Unis, où le luxe discret est légion. Il fallait donc s’attendre à un nouvel alliage pour célébrer la décennie suivante. Après inventaire, celle-ci, moins ringarde que ses aînées, se révèle tournée vers l’environnement, et Internet, marquée par une certaine rupture avec le conformisme. Une citation de Roland Barthes est particulièrement représentative de l’époque et des objets qui voient le jour dans ces années-là : « À la fois une perfection et une absence d’origine, une clôture et une brillance. »
Que d’or, que d’or !
Si on devait comprendre pourquoi les horlogers ont décidé de créer leurs ors à ce moment-là, c’est sans doute parce qu’il fallait créer la différence avec ce qui existait déjà. D’abord, se départir des connotations subjectives : l’or jaune est vulgaire, l’or blanc peut paraître fade, l’or rose a un côté tiède. Ensuite, bousculer les conventions. Il y a 40 ans, toute maison respectable se serait damnée plutôt que de jouer à l’apprentie chimiste avec des alliages précieux. Aujourd’hui, les sociétés se révèlent à travers eux. Rolex, qui possède sa propre fonderie, est l’un des précurseurs en la matière. Elle reçoit de l’or 24 carats, puis le transforme en or Everose via l’adjonction de cuivre (22 %) et de titane (2 %). Avantage de la formule ? Une couleur inaltérable, donnée vraisemblablement par le titane, élément chimiquement très stable.
De son côté, Hublot, en partenariat avec l’École polytechnique fédérale de Lausanne, fusionne les éléments pour obtenir le Magic Gold qui accueille le calibre maison Unico. Ici, la plus-value se situe au niveau de la résistance : l’or est insensible aux rayures. Le matériau affiche une dureté proche des 1 000 Vickers, soit plus de deux fois supérieure à l’or 18 carats classique qui atteint les 400 Vickers.
Pour Omega, l’or Sedna™ 18 carats est un alliage auquel sa composition d’or (au moins 75 %), de cuivre et de palladium confère une nuance de rouge unique et particulièrement durable. Quant au Ceragold™, il repose sur un processus permettant d’incruster chiffres et échelles en or 18 carats sur un support en céramique comme une lunette de montre. Et si Chanel revendique de son côté l’exclusivité de l’or beige, on ne saura rien de sa fabrication.
La beauté du geste
Parfois, la recette du succès d’un nouvel or est ailleurs dans le livre du parfait petit sorcier. Une dose d’histoire, une louche de savoir-faire séculaire et une personnalité du monde de la joaillerie : Caroline Bucci. Derrière le succès de la nouvelle Royal Oak Frosted Gold se cachent ainsi d’autres secrets de fabrication…
La pièce doit son scintillement à un minutieux traitement de surface appliqué à l’or, lui-même inspiré d’une technique traditionnelle de martelage du métal, appelée également « technique florentine ». Concrètement, il s’agit de marteler l’or à l’aide d’un outil muni d’une pointe en diamant. Il en résulte de petites impressions sur la surface du métal et un scintillement similaire à celui des pierres précieuses ou à de la poussière de diamant. Ici, point de druide qui agite une marmite remplie d’ingrédients mystères, l’or est transformé par la main de l’homme.
Dans un autre registre, Chopard ne prétend pas modifier l’or mais intervenir en amont lors de son extraction. La marque entend contribuer à l’amélioration des conditions de vie des mineurs qui extraient sa matière première. Son projet ? « The Journey to Sustainable Luxury », qui vise à développer un luxe durable. Son label ? Fairmined. Ce dernier assure que l’or est extrait de manière responsable dans des exploitations artisanales, que les mineurs et l’environnement sont correctement traités et que les acheteurs versent une prime, en plus du prix fixé pour l’or, à réinvestir dans des projets communautaires. En quelque sorte, de l’or éthique.
Le saviez-vous?
L’or et ses alliages traditionnels
L’or étant un métal extrêmement malléable, il doit être « mélangé » à d’autres métaux pour constituer des alliages suffisamment résistants destinés à l’horlogerie et la bijouterie. C’est l’ajout de ces métaux en diverses proportions qui va faire varier la couleur de l’or. À noter que le nickel est désormais interdit dans les alliages d’or en raison des allergies qu’il provoque.
Or jaune : 75 % d’or – 12,5 % d’argent – 12,5 % de cuivre
Or rose : 75 % d’or – 5 % d’argent – 20 % de cuivre
Or gris : 75 % d’or – 15 % d’argent – 10 % de cuivre
Or blanc : or gris avec une pellicule de rhodium ou adjonction de palladium à l’alliage
En faisant varier les métaux et les répartitions, on peut obtenir de très nombreuses colorations différentes de l’or :
Or bleu : 75 % d’or – 25 % de cobalt ou de fer
Or violet : 75 % d’or – 25 % d’aluminium
Or vert : 75 % d’or – 25 % d’argent
Le carat
Le carat est une mesure de la quantité d’or par rapport à la quantité totale de métal. Le calcul se fait sur un rapport de 1 sur 24. On parle d’« or 24 carats » quand celui-ci est pur (au minimum 99,99 %). L’or 18 carats est composé d’un minimum de 75 % d’or et d’un maximum 25 % de métaux complémentaires. Les bijoutiers utilisent également de l’or 14 carats (58 % d’or) en raison de la dureté de ce type d’alliage.