>SHOP

restez informés

Inscrivez-vous à notre newsletter mensuelle pour recevoir des infos et tendances exclusives

Suivez-nous sur toutes nos plateformes

Pour encore plus d'actualités, de tendances et d'inspiration

Le pape de l’horlogerie suisse est mort
Actualités

Le pape de l’horlogerie suisse est mort

mardi, 29 juin 2010
fermer
Editor Image
Christophe Roulet
Rédacteur en chef, HH Journal

“Vouloir est la clé du savoir.”

« Une trentaine d’années passées dans les travées du journalisme, voilà un puissant stimulant pour en découvrir toujours davantage. »

Lire plus

CLOSE
9 min de lecture

Nicolas G. Hayek est décédé au travail d’un arrêt du cœur à l’âge de 82 ans Nommé à juste titre le « sauveur de l’horlogerie suisse », il n’aura eu de cesse de bâtir un groupe qui, avec ses 24’000 collaborateurs, plus de 160 usines et des ventes de 5,4 milliards en 2009, domine l’horlogerie mondiale de la tête et des épaules.

Nicolas G. Hayek, 82 ans, est décédé d’un arrêt du cœur à son bureau lundi 28 juin 2010. Cet entrepreneur invétéré, grand promoteur de l’innovation, homme de marketing hors pair, connu également pour ses coups de gueule retentissants contre la Banque nationale suisse, les politiciens et les analystes financiers, laissera certainement le souvenir d’un grand industriel, digne héritier des pionniers du XIXe siècle. Celui qui se nommait lui-même « une légende vivante » ne cachait pas qu’à ses yeux « la modestie est une hypocrisie pour les gens qui ont réussi ». Or Nicolas Hayek fait assurément partie de ceux-là pour incarner le grand rédempteur de l’horlogerie helvétique. Le pari n’était pourtant pas gagné d’avance. A la fin des années septante, l’horlogerie suisse était en effet en plein marasme pour avoir complètement raté le virage du quartz. Non que les spécialistes helvétiques ne maîtrisaient pas cette technologie. Le Centre électronique de Neuchâtel avait en effet produit la première montre bracelet à quartz au monde en 1967 déjà. Mais les professionnels de la branche, pour n’y avoir pas cru, se sont retrouvés décimés par l’invasion japonaise, reléguant les belles mécaniques au rang de curiosités historiques.

A la pire époque, soit au début de la décennie 80, l’horlogerie suisse, menacée de liquidation totale, perdait un million par jour, dimanche compris. Et les deux géants de la branche, la Société Suisse pour l’Industrie Horlogère (SSIH née en 1930 de fusion entre Tissot et Omega) et la Société générale horlogère suisse (ASUAG fondée en 1931 et propriétaire de Rado, Longines et ETA Echauches) étaient en passe d’être lâchées par les banques, effarées par leurs pertes annuelles culminant à près d’un demi-milliard de francs.

Sur les ailes de la Swatch

Nicolas Hayek, suisse d’adoption né en 1928 à Beyrouth et patron de sa propre société de conseil, est alors appelé à la rescousse. Mais son diagnostic est si iconoclaste que les banquiers ne trouvent personne pour le mettre en œuvre. Au programme : fusionner les deux entreprises qui méritent encore un intérêt, à savoir SSIH et ASUAG, et surtout contre-attaquer le marché par le bas, pour barrer la route aux Japonais qui sont en passe de laminer la branche. Seulement personne n’y croyait vraiment, si ce n’est Hayek lui-même, qui accepte de mener la charge pour autant qu’il obtienne le contrôle des opérations via un pacte d’actionnaires. Nicolas Hayek : « Et dire qu’à l’époque, quelques banques voulaient vendre le patrimoine de l’ASUAG et de la SSIH, les ancêtres de Swatch Group. Or ce patrimoine est énorme. L’idée était qu’il fallait donc vendre aux Japonais parce que l’on avait intégré le fait que les Suisses ne savaient plus rien produire, que le tertiaire c’était l’avenir. J’avais mal à l’estomac quand j’entendais ça. Moi, je leur parlais de perspectives de 200 millions de francs de bénéfice… C’était difficile à croire, je ne leur en veux pas. C’est pour cela qu’elles m’ont vendu 51% de l’entreprise. »

Nicolas Hayek a réussi le tour de force de remonter une compagnie qui domine aujourd’hui l’industrie horlogère mondiale de la tête et des épaules.

Le reste de l’histoire est connu car intimement lié au succès de la Swatch, au coût de fabrication plafonnant toujours aux alentours de 8 francs après vingt-sept ans d’existence et plus de 400 millions d’exemplaires vendus. L’engouement pour ce premier garde-temps jetable, qui a tout simplement révolutionné le port de la montre, a été immédiat, entretenu au fil des ans grâce au génie marketing du maître de céans. Fort de cette percée inégalée à ce jour dans cette industrie, Nicolas Hayek a réussi le tour de force de remonter une compagnie qui domine aujourd’hui l’industrie horlogère mondiale de la tête et des épaules.

Une maîtrise complète de l’outil de production

Inutile d’ergoter plus longtemps, le Groupe Swatch, avec ses 24’000 salariés, plus de 160 usines et quelque 100 sociétés affiliées pour un chiffre d’affaires de 5,4 milliards en 2009, probablement plus de 6 milliards cette année, est certainement le seul horloger au monde à disposer de la maîtrise complète de l’outil industriel permettant de produire la totalité des composants d’un garde-temps, pour ensuite les assembler et les commercialiser sous 19 marques différentes, sans restriction aucune au niveau des volumes. En d’autres termes, la compagnie est une immense manufacture horlogère à elle toute seule et pas seulement pour la production de ses Swatch et Flik Flak, mais aussi et surtout pour ses prestigieuses Blancpain, Breguet, Glashütte Original, Jaquet Droz, Léon Hatot, et autres Omega, soit le segment haut de gamme de la compagnie qui a pris une importance croissante ces dernières années, sans oublier les Certina, Hamilton, Longines, Rado ou Tissot.

Il faut également reconnaître que Nicolas Hayek a quelques coups de maître à son actif. En rachetant successivement Blancpain et Breguet dans les années 90, le groupe biennois a non seulement acquis deux marques de prestige à des prix encore raisonnables, mais il a également fait main basse sur deux outils industriels considérés comme de véritables perles manufacturières, à savoir Frédéric Piguet et la Nouvelle Lémania, qui sont venu compléter les capacités de production de Valjoux et d’ETA, pièce centrale du puzzle avec ses quelque 75 millions de mouvements annuels, quartz et mécaniques. Selon les estimations de la branche, le Groupe Swatch représente ainsi entre 20% et 30% de la production mondiale de mouvements et de composants horlogers. En un mot, il est aujourd’hui encore quasi impossible de fabriquer une montre en Suisse sans passer par le groupe contrôlé par la famille Hayek.

Engagement dans les énergies renouvelables

N’oublions pas non plus que le Swatch Group, sous l’impulsion de Nicolas G. Hayek, s’est lancé très tôt, au début des années 90, dans la technologie des moteurs hybrides, thermiques et électriques à batteries rechargeables qui a pris la forme de la Swatchmobile, dont la Smart de Mercedes est issue mais sans son concept hybride original. La multinationale est également très présente dans le domaine des composants et systèmes électroniques destinés à des marchés comme l’automobile et l’électronique industrielle ou de consommation. Dernièrement, le Groupe Swatch, toujours sous la houlette de Nicolas Hayek, a mené sa réflexion un pas plus loin sur les systèmes d’énergies propres et renouvelables en fondant Belenos Clean Power avec comme partenaire la Deutsche Bank et George Clooney, notamment. Cette compagnie a pour but de fabriquer des composants dans le domaine des cellules solaires et de l’hydrogène permettant la décentralisation de la production d’énergie. Comme premier banc d’essai et à travers sa marque Omega, Swatch est devenu partenaire du projet Solar Impulse qui vise à faire décoller et voler de façon autonome, de jour comme de nuit, un avion propulsé exclusivement à l’énergie solaire, jusqu’à effectuer un tour du monde sans carburant ni pollution. Solar Impulse est programmé pour effectuer son premier vol de nuit aux alentours du solstice d’été.

Nicolas Hayek a donc recréé de toutes pièces un groupe horloger extrêmement sain.

Nicolas Hayek n’aura pas vécu assez longtemps pour assister à cette première tentative mais il n’en a pas moins assuré la pérennité de la compagnie. Au fil des ans, Nicolas Hayek, dont le pool d’actionnaire contrôle 41% des droits de vote du Groupe Swatch, a su intéresser les différents membres de sa famille aux destinées de la compagnie, si bien que les observateurs n’hésitent plus à parler de dynastie horlogère. On retrouve ainsi son fils Nick, 55 ans, administrateur délégué depuis début 2003, sa fille Nayla, vice-présidente du conseil d’administration et son petit-fils Marc-Alexandre, membre du conseil de direction du groupe et président de Blancpain. En moins de deux décennies, Nicolas Hayek a donc recréé de toutes pièces un groupe horloger extrêmement sain, avec des fonds propres dépassant les 78% du total de bilan et des liquidités de l’ordre de 1,1 milliard de francs. En un mot, il a façonné un véritable « empire, sur lequel le soleil ne se couche jamais », selon les propos du monarque auquel sa cour rend aujourd’hui hommage.

tags
Haut de page