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Le présent, notre prison !
Points de vue

Le présent, notre prison !

mercredi, 20 mai 2009
Par Natalia Signoroni
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Natalia Signoroni

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9 min de lecture

C’est avec une rare disponibilité et générosité qu’Etienne Klein*, spécialiste de la question du temps en physique, a accepté de partager ses réflexions sur cette question universelle. Le compte rendu de cette rencontre est publié en trois parties. Seconde partie.

Quelle est la définition du concept temps pour Etienne Klein ?

Etienne Klein : Le temps n’est pas la durée, mais ce par quoi la durée advient. Sa fonction est de ne pas cesser de renouveler l’instant présent de sorte qu’il y ait toujours un instant qui soit… présent, et c’est cette succession ininterrompue qu’on appelle une durée. A mes yeux, le temps est une prison mobile, une prison à roulettes si vous préférez : il nous emprisonne au sens où, à la différence de ce qui se passe pour l’espace, nous ne choisissons pas notre position dans le temps, ni la façon qu’a cette position de glisser le long du cours du temps. On peut certes s’échapper de ce cours du temps par la pensée, se projeter, anticiper avec notre imaginaire mais cela ne s’effectue jamais que depuis notre position présente. Par exemple, lorsque nous rêvons du passé, nous demeurons dans le présent, nous ne rêvons qu’à partir du présent.

Emprisonnés dans un temps linéaire ou cyclique ?

Dans un temps linéaire, c’est-à-dire dans un temps où chaque instant ne se présente jamais qu’une seule fois, un temps mobile au sein duquel on ne peut pas voyager autrement qu’en épousant la dynamique qui est la sienne.

Pouvez-vous nous donner quelques indications sur vos recherches?

Les recherches sur le temps portent essentiellement sur la question de savoir si le temps est une substance, une entité qui existe en propre, indépendamment des phénomènes, ou si, au contraire, le temps émane des objets physiques. En d’autres termes, le temps a-t-il besoin que les choses existent pour exister lui-même ? Cette question s’était déjà posée au XVIIe siècle, avec Newton et Leibniz. Newton était substantialiste : selon lui, il y a d’abord un espace et un temps, et ensuite des objets physiques qui viennent y prendre place. Thèse à laquelle Leibniz objectait qu’il n’y a dans l’univers, qu’une seule sorte de chose : les objets physiques, desquels émergent secondairement l’espace et le temps.

Ces vieilles questions se posent aujourd’hui sous un jour nouveau, car les physiciens essaient de construire de nouvelles théories au sein desquelles on puisse parler en même temps de l’infiniment petit et de l’infiniment grand. Et cela les confronte à la question de la nature de l’espace et du temps, et aussi à celle du lien entre temps et phénomènes temporels, plus précisément entre temps et causalité, le principe voulant que la cause précède l’effet et non l’inverse. Comme d’autres physiciens, j’essaie de résoudre la question suivante : le principe de causalité est-il une contrainte qui s’applique au temps depuis l’extérieur du temps ? Ou bien est-il au contraire à la source même du temps ?

Le temps et la religion ?

Les discours religieux portent davantage sur le début et la fin des temps que sur la nature même du temps. S’agissant du temps, les théories physiques n’ont donc guère de points de contact avec les textes religieux….

Le LHC au Cern répondra-t-il à la question de l’origine du temps ?

Non. Je sais bien que les physiciens disent parfois que les collisions réalisées à haute énergie, comme celles du LHC, permettront de comprendre « l’origine de l’univers ». La physique la plus contemporaine serait-elle vraiment devenue capable d’envisager la façon dont les choses ont effectivement accédé à l’existence ? En réalité, lorsqu’on écoute les scientifiques qui dissertent sur l’origine de tel ou tel système, on découvre vite qu’il s’agit plutôt d’un discours sur ses métamorphoses, parfois de sa généalogie. Les « origines » dont parle la science apparaissent toujours comme relatives : ce sont des processus qui évoquent la structuration de constituants, particules, nuages de gaz…, en systèmes plus complexes : atomes, étoiles…. Autrement dit, il s’agit toujours d’une transition d’un état à un autre que nous interprétons comme l’apparition d’un nouvel objet, le commencement de son histoire.

La science ne semble donc pas pouvoir aborder la notion d’origine dans un sens absolu, car ce qu’elle décrit n’est jamais une création ex nihilo, un passage du non-être où rien, absolument rien n’existe, à l’être, quelque chose existe. Elle ne traite donc pas de l’origine proprement dite de l’univers, ni de celle du temps, que le mot origine soit pris dans son acception chronologique ou causale.

Définition du temps n’est-elle pas très personnelle ?

Notre intuition du temps est sans doute un piège car le temps est peut être tout à fait autre chose que ce que nous en percevons. Notre façon de vivre avec lui et en lui est très personnelle mais elle est aussi culturelle, soumise à toutes sortes de contraintes, notamment sociales. Par exemple, lorsque nous sommes pressés, « pris par le temps » comme on dit, cela ne vient en général ni de nous, ni du temps lui-même, mais de notre environnement, du contexte dans lequel nous sommes placés. D’autant que le monde ressemble aujourd’hui à une sorte de vaste empressement qui nous emporte dans son sillage. Sans que nous l’ayons décidé, la vitesse est devenue un ersatz d’existence, un artifice de vitalité.

Notre rapport au temps est en outre élastique, et c’est pourquoi nous portons une montre au poignet : elle est la démonstration que notre cerveau est un mauvais chronomètre. Grâce à elle, nous pouvons resynchroniser régulièrement notre temps personnel, psychologique, avec le vrai temps, le temps physique. Leur distinction la plus évidente concerne leur fluidité. Le temps physique s’écoule de façon uniforme tandis que le rythme du temps psychologique varie : selon les circonstances, il peut donner l’impression de stagner ou au contraire d’accélérer. Nous devons donc l’imaginer doté d’une « prodigue hétérogénéité », pour parler comme Gaston Bachelard. Voilà pourquoi nous devons régulièrement remettre nos pendules à l’heure.

Content que l’on célèbre l’année de l’astronomie ?

Je suis surtout content que l’on célèbre les 400 ans des découvertes de Galilée de 1609/1610. Au-delà de ses découvertes en astronomie, c’est lui qui a inventé la notion de l’univers ! Ce n’est pas rien….

Galilée est en outre le premier à avancer que pour connaître la nature en profondeur, il faut commencer par admettre le caractère inessentiel des qualités sensibles que possèdent les choses. Le bleu du ciel, le caractère serein ou menaçant d’un paysage, la suavité des odeurs, la poésie des ciels d’avril, la beauté des formes, toutes ces qualités ne constituent en définitive qu’une apparence : elles ne sont pas dans les choses mêmes, mais seulement produites, sous forme de sensations ou d’impressions, par l’interaction que nous avons avec elles. Accidentelles, contingentes, changeantes, dépendantes des circonstances, elles ne prennent corps que dans nos subjectivités respectives, de sorte que nous ne pouvons pas former à partir d’elles des propositions scientifiques, c’est-à-dire rigoureuses et universelles. En revanche, continue Galilée, nous disposons, pour ce qui concerne l’essence des choses, d’un mode de connaissance capable de nous livrer des vérités rationnelles, susceptibles de s’imposer à tout esprit. Et ce mode de connaissance exact et idéal, ce sont les mathématiques.

C’est cette façon singulière d’envisager la nature qui va faire de la physique moderne une discipline capable de comprendre les phénomènes les plus intimes de l’univers, de conquérir des territoires qu’aucune autre démarche de connaissance n’avait même foulés. Nous savons par exemple que l’univers a 13,7 milliards d’années, mieux, nous sommes devenus capables de reconstituer l’histoire des 13,7 derniers milliards d’années de l’univers. Galilée ? Un vrai génie !

*Etienne Klein est directeur de recherches au Commissariat à l’énergie atomique (CEA – France). Professeur de philosophie des sciences, il a participé à divers grands projets, dont la conception au Cern du grand collisionneur de particules européen, le LHC. Auteur de nombreux ouvrages de vulgarisation, Officier dans l’Ordre des Palmes Académiques, il a reçu le prix Jean Perrin de popularisation de la science de la Société Française de Physique, le prix Grammaticakis-Neumann décerné par l’Académie des sciences, le « prix du Budget » décerné par l’Académie des Sciences Morales et Politiques et le prix Jean Rostand Il est également membre du Conseil d’Analyse de la Société dirigé par Luc Ferry et du conseil scientifique de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

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