Lors du dernier Salon International de la Haute Horlogerie, Baume & Mercier faisait son « petit » effet en présentant son premier mouvement maison développé en collaboration avec Valfleurier et le Centre de recherche et d’innovation Richemont basé à Neuchâtel. Baptisé Baumatic, ce calibre à l’autonomie de 5 jours dispose d’une précision stable tout au long de sa réserve de marche et offre une résistance à des champs magnétiques de 1’500 Gauss (25 fois la norme), sans besoin de révision pour une durée d’au moins 5 ans. Autant dire un calibre des plus fiables qui ne déroge pourtant pas à la philosophie de la Maison car intégré dans des modèles Clifton proposés dès CHF 2’300, soit la porte d’entrée vers le luxe. Le secret de ces remarquables performances : les recherches menées sur la tribologie des composants dont certains sont réalisés en silicium au niveau du régulateur et de l’échappement. Mais si l’on en croit la Neue Zürcher Zeitung, alors que les premiers modèles Clifton avec calibre Baumatic arrivent sur le marché, un problème de brevet aurait surgi entre Baume & Mercier et l’une des Maisons du consortium formé à l’époque par Patek Philippe, Rolex et le Swatch Group. Sans entrer dans la polémique, il n’est pas inintéressant de noter que c’est bel et bien au niveau des composants en silicium que le problème semble se poser. Et pour une raison bien simple : ils sont devenus des composants hautement stratégiques.
Ulysse Nardin ouvre la voie
Tel n’a pas toujours été le cas, tant s’en faut. Inutile ici de refaire toute la genèse de l’utilisation du silicium en horlogerie. Il faut toutefois savoir que c’est Ulysse Nardin qui a fait œuvre de pionnier en la matière en présentant sa Freak en 2001 équipée d’un calibre révolutionnaire, doté des premiers composants en silicium. À montre hors norme, construction et matériau inédits pour lesquels Ulysse Nardin s’est rapidement fait une spécialité via l’entreprise Sigatec fondée quelques années plus tard. Cette Freak était d’ailleurs à ce point innovante que la concurrence mettra du temps à réagir. Réaction qui prendra la forme d’un consortium réunissant Patek Philippe, Rolex et le Swatch Group, bien décidés à explorer les voies du silicium en collaboration avec le Centre suisse d’électronique et de microtechnique. C’est que le matériau a tout pour plaire : dur et léger, insensible aux rayonnements magnétiques et aux variations de température, inaltérable aux frictions donc sans besoin de lubrification, il peut en outre être usiné par procédé lithographique de gravure profonde (Drie) avec une précision diabolique. C’est en 2005 que Patek Philippe introduit ainsi son spiral à base de silicium monocristallin, le Spiromax. Breguet suivra un an plus tard avec son propre échappement en silicium, introduisant son spiral dans le même matériau dès 2010. Même constat au sein des autres marques du Groupe, chez Blancpain et Omega notamment, plus récemment chez Tissot et Mido. Il faudra enfin attendre 2014 pour que Rolex saute le pas avec son spiral en Syloxi intégré au calibre 2236 de l’Oyster Perpetual Datejust Pearlmaster 34.
Le silicium est devenu partie intégrante des calibres de Haute Horlogerie, offrant même de nouvelles perspectives de développement.
Vaine querelle ?
Cette liste, loin d’être exhaustive, montre à quel point le silicium est devenu partie intégrante des calibres de Haute Horlogerie, offrant même de nouvelles perspectives comme en atteste l’échappement constant que Girard-Perregaux n’aurait pas pu développer sans ce matériau. Cette prolifération, certes incitée au début des années 2000 par le besoin de trouver une alternative à l’hégémonie de Nivarox (Swatch Group) dans les spiraux en métal, n’en a pas moins suscité une vive querelle entre les anciens et les modernes. Pour les garants de la tradition, il est tout simplement impensable d’avoir recours à des matériaux non réparables, dont les propriétés ne sont pas garanties dans le temps et qui trahissent l’esprit d’artisanat vantant qu’une montre n’est jamais mieux réglée que par la main de l’homme. Quoi que l’on puisse en penser, il est évident que les composants en silicium occupent aujourd’hui une place de choix dans l’univers des constructeurs horlogers, toutes Maisons confondues. Les brevets déposés sur le spiral développé par le consortium horloger dont il est question dans ces lignes, brevets qui courent selon les pays jusque dans les années 2020 à 2022, ne laissent planer aucun doute quant à l’importance de ces découvertes faisant du silicium un argument horloger de poids.