À la veille de la Dubai Watch Week, le départ immédiat d’Albert Bensoussan, à la tête de la division Horlogerie et Joaillerie de Kering depuis 2014, prenait tout le monde par surprise. Rencontré à Dubai, Patrick Pruniaux, CEO de Girard-Perregaux et Ulysse Nardin, les deux marques horlogères du Groupe, refusait toutefois de commenter la nouvelle, considérée comme « un changement d’organisation hiérarchique, sans plus, expliquait-il. L’important, finalement, c’est la continuité des deux marques ». Entretien.
Patrick Pruniaux : Avec Ulysse Nardin et Girard-Perregaux, nous avons deux manufactures fantastiques, situées toutes deux dans la même vallée et qui partagent de nombreux points, à savoir beaucoup d’héritage, d’histoire et d’expertise horlogère. À partir de là, il nous revient d’expliquer le pourquoi de chacune des deux marques, qui ne se résument pas à leurs produits iconiques : la Freak pour Ulysse Nardin et les Trois Points pour Girard-Perregaux. Nous devons faire ressortir leur authenticité, et cela passe bien évidemment par une démarche marketing plus intense. Ulysse Nardin a par exemple gardé un petit côté secret sur lequel nous devons encore travailler. J’en veux pour exemple notre Hourstriker Phantom présentée il y a quelques semaines. Cette montre à sonnerie puissantissime, produite en une édition limitée et développée avec Devialet, entreprise française à la pointe des systèmes de haute-fidélité audio, est passée quasi inaperçue malgré tout le développement qu’il y a derrière. Là, on est au-delà de l’understatement.
Je n’aime pas vraiment le terme « synergie », qui implique généralement des suppressions de poste ou de capacité de production. Rien de tel chez nous, les deux marques disposent toutes deux d’un bel outil industriel qui garde son autonomie. Tout au plus mettons-nous à contribution tel ou tel atelier de l’une en faveur de l’autre si le besoin s’en fait sentir. La gestion des deux marques se fait d’ailleurs de manière totalement séparée. Le seul « schizophrène » dans cette histoire, c’est moi, qui partage mon temps entre les deux marques.
Nous cherchons toujours à travailler avec des partenaires forts, d’accord pour investir dans nos marques, car nous avons un modèle d’affaires un peu atypique dans l’industrie. Même si nous avons quelques boutiques en propre ou sous franchise, question de véhiculer l’âme et le message de la marque dans quelques endroits clés, nous voulons travailler exclusivement avec des détaillants multimarques. Personnellement, je crois en ce modèle d’affaires. À une époque où l’univers de la distribution connaît des bouleversements importants et où l’industrie elle-même adopte de nouveaux paradigmes, il y a les marques qui sont excitantes et celles qui ne le sont pas, indépendamment de toute question de taille. Or celles qui sont excitantes comme Ulysse Nardin ont assurément une vie en boutique. Pour ce qui est de l’e-commerce, qui, pour l’instant, ne représente pas même 5 % des ventes horlogères en général, il est à considérer mais dans une stratégie multicanale. En fait, il s’agit surtout d’assurer une présence en ligne pour entretenir la conversation avec le client final et ne pas laisser toute la place à des acteurs non légitimes.
En fait, nos trois piliers s’adressent à des publics certes différents mais qui partagent des valeurs communes. La ligne Marine représente l’héritage de la marque, sa forte personnalité ; les Diver nous positionnent dans la montre sport mais avec un côté « manufacture » très marqué ; quant aux Freak et Executive, soit déjà 19 ans d’histoire pour la Freak, elles font entrer Ulysse Nardin dans l’univers contemporain. Je pense que nous avons réussi un bon équilibre entre les trois et une bonne complémentarité.