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L’horlogerie britannique reprend corps
Culture

L’horlogerie britannique reprend corps

lundi, 1 juin 2020
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Christophe Roulet
Rédacteur en chef, HH Journal

“Vouloir est la clé du savoir.”

« Une trentaine d’années passées dans les travées du journalisme, voilà un puissant stimulant pour en découvrir toujours davantage. »

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9 min de lecture

Depuis le tournant du siècle, les activités horlogères sont en pleine renaissance sur le sol britannique, concentrées essentiellement dans la région de Henley-on-Thames avec Bremont, Christopher Ward, Farer et Pinion. Une liste d’ores et déjà destinée à s’allonger.

Il y a quelques années seulement, l’horlogerie britannique évoquait essentiellement quelques célèbres figures du passé qui, à l’instar d’un George Graham, d’un John Harrison ou d’un John Arnold, ont à jamais marqué l’essor de la mesure du temps aux XVIIe et XVIIIe siècles. Las, cette activité devait lentement disparaître, ne laissant, deux cents ans plus tard, que les souvenirs d’une grandeur passée. D’aucuns diront que l’industrie britannique a été réquisitionnée pour des tâches autrement plus vitales que la production de montres durant les deux conflits mondiaux, laissant le champ libre à des manufactures helvétiques à l’abri du principe de neutralité… Toujours est-il que l’horlogerie britannique est ainsi restée cantonnée à quelques noms, qui font certes référence mais pas une industrie. Les connaisseurs reconnaîtront volontiers les mérites de feu George Daniels, père du mouvement co-axial, et de son poulain Roger W. Smith, qui perpétue la tradition sur l’île de Man. Au cœur même du landerneau suisse, on notera la percée réalisée par des maîtres horlogers comme Stephen Forsey ou Peter Speake-Marin, ou encore par les frères McGonigle et Stephen McDonnell (concepteur du mouvement de la MB&F Legacy Machine Perpetual) si on élargit le cercle à l’Irlande. En résumé, pas de quoi parler de productions autres que confidentielles pour amateurs éclairés.

Nick et Giles English, fondateur de Bremont en 2002
Nick et Giles English, fondateur de Bremont en 2002

Depuis une bonne dizaine d’années toutefois, les raisons de se gausser des prétentions britanniques en matière d’horlogerie commencent sérieusement à pâlir. Et si l’on ne peut pas encore parler d’une organisation professionnelle entourant cette activité en plein essor, force est de constater que les Maisons se multiplient au pays d’Élisabeth II, avec des prétentions allant bien au-delà de la satisfaction d’une centaine de collectionneurs par an. Curiosité de cette formidable agitation, la région de Henley-on-Thames concentre les principaux acteurs de ce renouveau. Pas question toutefois de parler de localisation historique, comme c’est le cas pour Glashütte, en Allemagne. Si Henley est devenu l’épicentre horloger britannique, c’est plutôt une question de hasard et d’opportunités faisant de cette bourgade proche de Londres et sa région un site privilégié pour les Bremont, Christopher Ward, Farer, Pinion ou encore Marloe Watch, avant que cette dernière compagnie décide de déménager en Écosse il y a quelques semaines.

Les ambitions de Bremont

Mais rendons à César… C’est Bremont, fondé en 2002 par les frères English, qui a donné le signal du départ. Et avec la ferme intention d’en découdre avec les Maisons helvétiques sur leur propre terrain, celui des manufactures. Au cours des 18 dernières années, forte d’un succès qui n’a jamais cessé de se démentir, Bremont a orchestré sa lente mais sûre montée en gamme, si bien qu’aujourd’hui l’horloger est sur le point de déménager sur un site de production flambant neuf toujours situé à Henley. Cette nouvelle implantation, repoussée de quelques mois en raison du confinement voulu par le coronavirus, devrait être doublement marquée d’une pierre blanche car annonciatrice du premier calibre maison, en développement depuis plusieurs années. La Maison, qui usine déjà ses robustes boîtiers tripartites Trip-Tick et une partie des composants de ses mouvements sur base ETA, La Joux-Perret ou Sellita, ne transige ainsi pas avec la qualité. Sa production annuelle de quelque 10’000 pièces pour un chiffre d’affaires annuel qui avoisine les € 45 millions est ainsi certifiée chronomètre selon la norme ISO 3159. Question de « politesse » envers les forces armées de Sa Gracieuse Majesté, avec qui la Maison collabore étroitement pour la réalisation de modèles spécifiques.

H4 Hercules Stainless Steel Limited Edition © Bremont
H4 Hercules Stainless Steel Limited Edition © Bremont

« Bremont a la ferme intention de devenir une grande marque, expliquait récemment Giles English sur WatchTime. Et pour y parvenir, nous devons développer nos savoir-faire et nos capacités de production. Nous y avons consacré des millions si bien que nous sommes aujourd’hui 150 collaborateurs au sein de la Maison dont nombre d’horlogers et de machinistes que nous avons-nous mêmes formés. Nous savons pertinemment qu’une telle entreprise sur le sol britannique n’a pas vraiment de sens au niveau commercial. Mais c’est le chemin que nous nous sommes tracé. » Et les frères English ont la ferme intention de le poursuivre jusqu’au bout. Ce qui passe nécessairement par la construction d’une « histoire » maison, détaillant notamment les liens familiaux avec le monde de l’aviation, mais aussi par celle d’un univers de la marque avec ses ambassadeurs, partenariats et autres mécénats. Sans oublier, évidemment, la lente constitution d’un réseau de distribution qui comprend déjà des boutiques à Londres, New York, Hong Kong et Melbourne, bientôt suivies par trois nouvelles implantations projetées ces 12 prochains mois.

L’art du cadran de Farer

Chez Christopher Ward et Farer, le modèle d’affaires est fondamentalement différent mais non moins porteur. « Ce mois de mai est de loin le meilleur jamais enregistré par Farer, explique Paul Sweetenham, fondateur de la Maison en 2015, joint dans son fief de Warfield au cœur de la campagne anglaise. J’avoue que j’en suis moi-même un peu surpris, mais quelle satisfaction pour Farer, qui est complètement autofinancée ! » Pour Paul Sweetenham, pas question de venir titiller le marché avec des prétentions mécaniques propres. C’est avec l’une des incontournables firmes de « private label » helvétiques, en l’occurrence Roventa Henex, qu’il a choisi de travailler en toute transparence. Cela lui permet de se concentrer pleinement sur le design avec un soin particulier apporté à « l’art du cadran ». Les montres Farer, qui respirent l’esprit d’aventure avec une touche rétro parfaitement orchestrée, annoncent ainsi clairement la couleur sous l’intitulé « British Design x Swiss Made ».

Cobb Chronograph Automatic © Farer
Cobb Chronograph Automatic © Farer

Et la formule fonctionne parfaitement avec une production annuelle de quelque 5’000 pièces, en constante progression, notamment grâce à l’appui des communautés d’internautes et des sites spécialisés conquis par le style de la marque, grâce également à un positionnement de prix des plus agressifs. « Nous travaillons uniquement selon la formule “direct to consumer”, sans intermédiaire et donc sans marges supplémentaires sur le produit, poursuit Paul Sweetenham. Au début, j’ai tenté l’aventure avec des détaillants mais sans succès. Je n’étais pas satisfait du service entourant les montres Farer. Depuis 2017, nous avons ainsi tout rapatrié et cela fonctionne à merveille. Une commande passée des États-Unis peut être honorée dans les 24 à 48 heures sans besoin d’une logistique coûteuse. Pour une marque comme Farer, un tel positionnement en termes de qualité/prix est impératif. »

Le « nouveau luxe » de Christopher Ward

On retrouve le même credo chez Christopher Ward, Maison fondée par trois partenaires en 2004. Elle annonce d’ailleurs clairement la couleur sur son site : toute la stratégie consiste à mettre des montres de qualité à portée de tout un chacun. Par « montre de qualité », Christopher Ward entend bien évidemment des montres Swiss Made, réalisées à Bienne par Synergies Horlogères (SH) et au Tessin. En 2014, Synergies Horlogères, déjà partenaire de longue date, devait d’ailleurs fusionner avec la Maison, non sans avoir développé au préalable un calibre maison, le SH21, doté d’une fort envieuse réserve de marche de 5 jours grâce à deux barillets et conçu comme un tracteur capable d’entraîner diverses complications. Quant au deuxième énoncé de l’équation, celui consistant à offrir un prix « honnête », c’est également grâce à une discipline stricte que Christopher Ward y parvient. Depuis les origines de la Maison, tout se passe ainsi en ligne, sans intermédiaire. Pas question de dépenser inutilement pour des célébrités ou des actions de parrainage. Quant aux marges, elles sont calculées sur un strict multiple de 3 par rapport au prix de revient, contre 7 à 12 pour les marques qui passent par des réseaux de vente traditionnels.

Calibre SH21 © Christopher Ward
Calibre SH21 © Christopher Ward

Autant dire que cette formule du « nouveau luxe », celui des gens suffisamment intelligents pour savoir dépenser moins pour des produits de qualité égale, porte ses fruits. Au terme de son dernier exercice clos à fin mars, Christopher Ward a enregistré une hausse de ses ventes de 19 % à plus de € 11 millions pour une production annuelle qui tend vers les 20’000 pièces. Et la croissance se poursuit. Sur les deux premières semaines d’avril, elle explosait à plus de 70 % par rapport à la même période l’an dernier. Une progression qui ne donne que plus de relief à cette marque qui, dans l’esprit des fondateurs, est largement à même de passer les 100 millions de chiffre d’affaires.

S1 – Spitfire 1936 © Zero West
S1 – Spitfire 1936 © Zero West

La messe est-elle dite en terre britannique, occupée essentiellement par trois officiants ? Rien n’est moins sûr. Pinion, Marloe Watch ou encore Zero West et Geckota, pour ne citer que quatre compagnies créées ces dernières années, sont déjà en train de grossir les rangs des horlogers à surveiller ces prochains temps. Les conséquences du Covid-19 pourraient certes laisser des traces au sein de cette communauté, certainement pas assez nocive pour terrasser un virus horloger autrement plus tenace.

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