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L’horlogerie opère sa mue scientifique
Actualités

L’horlogerie opère sa mue scientifique

mercredi, 27 octobre 2010
Par Quentin Simonet
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Quentin Simonet

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6 min de lecture

Les métiers se spécialisent, se « technologisent », avec toujours plus d’ingénieurs au sein des sociétés horlogères. Un repositionnement qui n’est toutefois pas exempt d’exagérations.

Dans sa perpétuelle quête d’excellence, l’horlogerie suisse ne cesse d’explorer de nouveaux territoires. Solliciter les meilleures compétences dans tous les corps de métiers fait partie de cette approche. Ainsi, les manufactures font de plus en plus appel, pour concevoir leurs montres, à des ingénieurs, et non plus uniquement à de purs constructeurs horlogers, quand bien même ces derniers peuvent aussi avoir la formation des premiers. Parfois, le slogan publicitaire, au-delà de son aspect purement commercial, en dit beaucoup sur cette démarche. Tudor, petite sœur de Rolex, clame par exemple « engineered for performance » tandis qu’IWC dispose d’une ligne baptisée « Ingénieur ».

Si le recours à des ingénieurs n’est pas nouveau, il s’est toutefois largement renforcé ces dernières années, comme le démontrent les statistiques de la Convention patronale de l’industrie horlogère suisse (CPIH). Les emplois qualifiés, catégorie qui inclut non seulement les ingénieurs (titre HES) mais également toutes les personnes en possession d’un diplôme universitaire, d’école polytechnique ou technique, d’une maîtrise fédérale ou d’une maturité professionnelle, ne cessent de progresser. En dix ans, ils sont passés de 9,4 % à 16 % de l’ensemble des effectifs (voir tableau).

L’appel à de nouvelles technologies s’accélère

« L’horloger à son établi est devenu une image d’Épinal. Depuis quelques années, notre branche intègre tous les outils modernes, comme les commandes numériques, la création assistée par ordinateur et j’en passe. Ce qui a changé surtout ? Auparavant, on ne demandait pas aux montres de survivre à une escapade à VTT de 20 kilomètres. Pour obtenir un tel niveau de performance et de résistance, les seules compétences de l’horloger ne sont plus suffisantes », explique Guy Sémon, vice-président Sciences & Engineering chez Tag Heuer. Ce n’est d’ailleurs pas anodin si cet ingénieur de formation œuvrait auparavant dans l’aéronautique.

« L’appel à de nouvelles technologies s’accélère dans notre secteur. Mais rappelons que, il y a 30 ans déjà, la Swatch avait recouru à de nouveaux procédés d’injection plastique », relativise Jean-Paul Girardin, vice-président de Breitling et ingénieur diplômé de l’École polytechnique fédérale de Lausanne. Selon Emmanuel Vuille, directeur général de la marque Greubel & Forsey, « l’horlogerie a développé une culture scientifique faisant appel à la chimie, à la physique et à bien d’autres branches, alors que précédemment elle s’appuyait surtout sur des compétences artisanales et techniques ». Il a donc fallu aller chercher le savoir-faire là où il se trouvait, comme l’a bien compris l’industrie automobile et ce, depuis longtemps. « L’horlogerie a peut-être vécu un peu trop en autarcie. Avec toujours les mêmes professeurs, les mêmes écoles. Cela n’aide pas à se remettre en question et à évoluer », ironise Emmanuel Vuille. Il n’en estime pas moins que ces ingénieurs ne se substitueront jamais aux horlogers, seuls à avoir une vision globale de la montre, de la création à l’assemblage final. La marque emploie ainsi 15 personnes dans son département de recherche et développement, autant de constructeurs horlogers que d’ingénieurs, de physiciens et de métallurgistes.

Greubel Forsey Quadruple Tourbillon à Différentiel Sphérique © Greubel Forsey
Greubel Forsey Quadruple Tourbillon à Différentiel Sphérique © Greubel Forsey
Connaissances pointues exigées

Tout est donc question de pluridisciplinarité. Pour Olivier Müller, consultant horloger, « l’utilisation de matériaux plus innovants, moins bien connus dans l’horlogerie, nécessite des connaissances très pointues. Cela vaut aussi bien pour le mouvement que pour l’habillage ». La plupart des marques ont d’ailleurs emprunté ce chemin. Les bureaux de recherche et développement ne jurent presque plus que par le silicium, le tantale, la céramique, le titane, le lithium, le carbone forgé, le magnésium ou encore les nanofibres. Avec, bien sûr, son lot d’excès. « On va parfois trop loin dans cette recherche. Au final, le client veut simplement plus de fiabilité et de précision », analyse Emmanuel Vuille. Pour Jean-Paul Girardin, il faut que cela fasse sens industriellement. Olivier Müller abonde dans cette direction : « C’est beaucoup de rhétorique pour dire que les horlogers sont arrivés à l’ère du high-tech. »

Reste que ces ingénieurs, venus d’horizons divers, avec leur bagage culturel et leurs références propres, obligent les horlogers à sortir de leur zone de confort. « Ils apportent des concepts plus innovants dans la construction, à la croisée des chemins entre l’aéronautique et l’automobile, qui nécessitent également des connaissances nettement plus spécifiques », résume le consultant. Ainsi, les emprunts à la mécanique automobile font florès auprès des marques. Comme chez Parmigiani, Tag Heuer ou encore Richard Mille, qui a poussé le concept à l’extrême.

Source : CPIH
Source : CPIH
Collaborations avec les hautes écoles

« Nous avons aussi beaucoup de frontaliers souvent au bénéfice de formations qui, sur le papier, sont celles d’ingénieurs plus qualifiés que des microtechniciens sortant des écoles d’horlogerie traditionnelles en Suisse », indique Olivier Müller. Jean-Paul Girardin corrobore : « La formation académique apporte une façon de penser différente, plus rationnelle et plus logique. Mais nous ne nous distinguons pas d’autres secteurs comme les banques, qui font de l’ingénierie financière depuis fort longtemps. »

Autre manifestation de cette quête de scientificité : les marques font toujours davantage appel à des instituts spécialisés, comme le Centre suisse d’électronique et de microtechnique (Csem) et la Haute École Arc ingénierie. Le premier propose par exemple ses compétences pluridisciplinaires en technologie des microsystèmes, en mécanique et robotique de précision, en systèmes de vision pour des applications robotiques, métrologiques ou pour des solutions adaptées au problème de contrefaçon. Quant à la Haute École Arc ingénierie, elle a par exemple développé récemment des outils de conception d’engrenages non circulaires, dont les formes, parfois étonnantes, ouvrent les portes à l’implémentation de nouvelles fonctionnalités. Dans le même ordre d’idées, les entreprises horlogères, à l’instar d’Audemars Piguet, multiplient les collaborations avec l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).
Si l’horlogerie reste fondamentalement de la mécanique, elle fait désormais cohabiter trois cultures : artisanale, technique et désormais scientifique. À quand une quatrième ?

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