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L’horlogerie organique d’Andreas Strehler
Actualités

L’horlogerie organique d’Andreas Strehler

vendredi, 16 décembre 2016
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Christophe Roulet
Rédacteur en chef, HH Journal

“Vouloir est la clé du savoir.”

« Une trentaine d’années passées dans les travées du journalisme, voilà un puissant stimulant pour en découvrir toujours davantage. »

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11 min de lecture

Installé à Sirnach, en Suisse, non loin du lac de Constance, Andreas Strehler célèbre ses vingt ans d’indépendance avec un modèle d’affaires qui a fait ses preuves. Constructeur et sous-traitant recherché pour l’industrie, il réalise sous son propre nom des pièces d’horlogerie à l’exclusivité rare.

Mettez un créateur indépendant dans un cadre de travail apaisant et vous aurez une horlogerie d’exception. Pour galvaudée que cette équation puisse paraître, elle n’en manque pas moins de pertinence. Pour preuve, l’installation d’Andreas Strehler à Sirnach, petite bourgade à une demi-heure de Zurich qui évoque les images d’Épinal de cette Suisse verte et tranquille qui ont fait le tour de la planète. En 2006, obligé de quitter le garage familial à Winterthur décidément trop exigu pour abriter des machines et un outillage en pleine expansion, l’horloger déniche une ancienne usine textile dans cette agglomération qui n’avait jamais connu d’activité horlogère. « Je voulais rester dans cette région où je suis né et où je suis revenu après mes quatre années passées chez Renaud & Papi à la suite de mon diplôme d’horloger rhabilleur, expose Andreas Strehler. À l’époque, c’est-à-dire en 1995, lorsque j’ai décidé de me mettre à montre compte, j’aurais très bien pu m’installer au Locle ou à La Chaux-de-Fonds, proche de mon premier employeur. Si je n’ai pas retenu cette solution, c’est qu’ici il n’y a aucune concurrence, notamment en termes de restauration. De plus, en gardant ses distances, on peut travailler dans une relative discrétion. Chose impossible à proximité des manufactures établies en Suisse romande, où tout se sait ! »

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Pour le créateur horloger, les montres sont des organismes vivants, fruits d’une lente évolution séculaire. © Fred Merz / Lundi 13
À bonne école

Cette discrétion dont l’horlogerie de tradition s’est fait une spécialité, souvent apparentée à un coupable mutisme, est en effet savamment cultivée dans la profession. Même aujourd’hui, alors qu’il devient de plus en plus difficile de camoufler ces gros mensonges voulant que les Maisons n’aient jamais besoin d’aides extérieures pour réaliser leurs calibres, elle reste érigée en vertu. Pour preuve, Andreas Strehler a beau travailler pour les plus « grands », il n’est généralement pas autorisé à citer leurs noms. Ainsi, rien ne filtre hormis les chronographes conçus pour Chronoswiss et Maurice Lacroix, le travail réalisé avec Kari Voutilainen sur le Chapitre 3 des Maîtres du Temps ou encore la série de mouvements développés pour H. Moser & Cie lors du renouveau de la marque orchestré dès 2002 par Jürgen Lange avec le financement de Thomas Straumann. Parmi eux, celui de l’incontournable Perpetual 1, lauréate en 2006 dans la catégorie des montres compliquées au Grand Prix d’Horlogerie de Genève (GPHG). Tout au plus apprend-on encore qu’Andreas Strehler fait actuellement partie de l’aventure Garrick Watch Company, une nouvelle marque britannique lancée par Simon Michlmayr qui crée désormais ses propres calibres. Pour le reste, tout n’est que supputations, alors que l’horloger a déjà développé tout ce que la mesure du temps compte comme complications.

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Andreas Strehler a installé son atelier dans une ancienne usine textile à Sirnach. © Fred Merz / Lundi 13

C’est qu’Andreas Strehler a été à bonne école, pourrait-on dire. Au sein de Renaud & Papi, il était déjà le tout premier horloger recruté par les membres fondateurs. Engagé comme prototypiste à sa sortie de l’école de Soleure, il fait rapidement ses premiers pas comme constructeur et designer de mouvements sous la houlette de Robert Greubel. En guise de mise en bouche, on trouve Andreas Strehler à l’œuvre sur le calibre RMA 90, un projet de mouvement à répétition minutes démarré par Audemars Piguet en 1990. En ces années marquées par le renouveau de la montre mécanique, Renaud & Papi est en passe de devenir une pépinière de talents qui vont vite former une véritable famille de « fondus » d’horlogerie. Aux côtés de Giulio Papi et Dominique Renaud, déjà secondés par leurs pères, sœurs et épouses, on voit en effet arriver Bart et Tim Grönefeld (Prix de la Montre Homme, GPHG 2016) ou encore Stephen Forsey et Christophe Claret, soit une fine équipe complétée en soirée et les week-ends par d’autres passionnés comme Kari Voutilainen, alors chez Parmigiani, ou les frères John et Stephen McGonigle, employés par Audemars Piguet. Peter Speake-Marin fera son apparition peu après.

Andreas Strehler
Sur l’écran de travail d’Andreas Strehler les plans de la montre à heures mondiales qu’il présentera à Baselworld 2017. © Fred Merz / Lundi 13
Dans le radar de l’industrie

Avec un tel aréopage d’horlogers dans son entourage, dont les destinées sont aujourd’hui bien connues, il n’est pas difficile de comprendre les raisons qui ont poussé Andreas Strehler sur les voies de l’indépendance. Celles-là mêmes qui le conduisent à regagner ses terres natales. Là, il peut toujours compter sur Robert Greubel, qui lui sous-traite l’assemblage de montres compliquées pour Renaud & Papi. Il empoigne également le travail de restauration sur des pièces historiques, question de nourrir son homme. Question de nourrir également son inspiration. Car Andreas Strehler a bien l’intention de marquer son époque. Et ce n’est certainement pas en agissant dans l’ombre qu’il va y parvenir. « Pour ma première pièce, je voulais réaliser quelque chose d’important, quelque chose de différent par rapport aux projets de Renaud & Papi, dit-il. C’est ce qui m’a amené à concevoir un calendrier de bureau entièrement mécanique. » Depuis Abraham-Louis Breguet et sa Pendule Sympathique, un ensemble composé d’une pendule destinée à recevoir une montre de poche automatiquement remontée et mise à l’heure aussitôt placée dans son berceau, rien d’aussi audacieux n’avait été réalisé. Audacieux et plus complexe, car la pendule de table d’Andreas Strehler est en fait un calendrier perpétuel doté d’une mémoire mécanique qui réajuste ses indications dès que la montre de poche en acier de Damas est insérée dans son logement.

Andreas Strehler
Andreas Strehler sait aussi « bricoler » son parc machines en y incorporant des centres d’usinage qu’il peaufine lui-même. © Fred Merz / Lundi 13

Fort de cette réalisation d’exception et conforté par sa toute récente admission au sein de l’Académie horlogère des créateurs indépendants, Andreas Strehler, son plus jeune membre âgé alors de 27 ans, décide de faire ses premiers pas au Salon mondial de l’horlogerie de Bâle. À n’en pas douter, le tapis rouge était déjà déroulé, les sentiers de la gloire entièrement balisés ! Ces espoirs seront vite douchés. Personne ne connaissait Andreas Strehler et personne ne l’attendait. Même constat un an plus tard, lorsqu’il présente sa Zwei, montre de poche à double affichage par poussoir, les aiguilles servant alternativement à indiquer les heures et minutes ou la date et le mois. Mais si le public, tout comme la presse spécialisée, boude le jeune horloger, tel n’est pas le cas de l’industrie. Entré dans le radar des marques, il se voit désormais sollicité pour le développement de nouveaux calibres. Une activité qui va pleinement l’occuper au point de fonder la société UhrTeil afin d’instaurer une séparation claire entre la sous-traitance et les montres portant son nom, dont il ne désespère pas d’agrandir la famille. Reste que les Maisons se pressent au portillon, parmi lesquelles Harry Winston, qui le mandate pour la réalisation de l’Opus 7, une montre indiquant alternativement sur disques les heures, minutes et la réserve de marche par poussoir. Elle sera déclinée en 61 exemplaires. Andreas Strehler vient de franchir une nouvelle étape. En 2006, il s’installe à Sirnach.

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Avant l’installation d’Andreas Strehler, la bourgade de Sirnach, dans le canton de Thurgovie, n’avait jamais abrité d’activités horlogères. © Fred Merz / Lundi 13
Darwinisme horloger

« Il s’est passé dix ans avant que je vende ma première montre, relève Andreas Strehler. Mes activités au service des marques m’ont permis de progresser et de constituer un parc machines que j’ai moi-même développé pour certaines d’entre elles. Aujourd’hui, cela m’apporte toute la flexibilité voulue, car dans mon atelier, à part les ressorts de barillet et les spiraux, je suis capable de tout usiner. Y compris les roues coniques, une de mes spécificités que j’ai notamment développées pour le remontoir d’égalité que l’on trouve sans la Sauterelle. Pour ce qui est de l’habillage, après avoir réalisé puis sous-traité nos boîtiers, je pense bientôt rapatrier cette production. » C’est qu’aujourd’hui Andreas Strehler peut consacrer la moitié de son temps aux montres portant son nom qu’il décline au rythme d’une dizaine par année, exclusivité oblige. « Pas question de tout mélanger, poursuit-il. En tant qu’horloger, je tiens à concevoir, réaliser et assembler moi-même mes garde-temps. C’est pourquoi j’insiste toujours sur le fait que je ne suis pas une marque. Je suis un créateur et je réalise des montres à mon nom dans une approche contemporaine avec des technologies modernes mais dans un esprit de tradition. Je veux que dans cent ans mes montres soient réparables et représentatives d’une horlogerie de qualité jusque dans le moindre détail. »

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Papillon d’Or d’Andreas Strehler avec pont en or massif côté cadran et remontoir d’égalité. © Fred Merz / Lundi 13

La première montre qui a jeté les bases de l’horlogerie Strehler a été présentée à Baselworld en 2008. Cette Papillon au mouvement ouvert indiquant mystérieusement l’heure sur les deux barillets, déjà en gestation depuis plusieurs années, a clairement été le point de départ d’une collection ayant ses propres spécificités. À un moment où la course aux complications battait son plein, Andreas Strehler a d’emblée privilégié une autre voie avec des montres d’une apparente simplicité mais dont les fonctions reposent sur des mécanismes techniquement complexes. « Je ne cherche pas la complication pour elle-même, avance l’horloger. Pour moi l’innovation consiste à trouver des solutions permettant de construire des mouvements plus simples et qui donnent de meilleurs résultats. » Deuxième credo du concepteur, ses mouvements doivent susciter la même fascination qu’un tourbillon, la complication reine au moment où Andreas Strehler conçoit sa montre Papillon, sans toutefois faire partie de cette famille de calibres. En un mot, ils doivent s’apparenter à des organismes vivants dont les composants, tous nécessaires mais limités en nombre, doivent trouver leur place non pas en fonction d’un quelconque design mais bien plutôt comme la conséquence logique d’une évolution. Ce « darwinisme horloger » va se matérialiser par un calibre à platine centrale avec un pont côté cadran en forme de papillon, des engrenages coniques, deux barillets porteurs de disques saphir pour les indications horaires et un échappement de conception maison.

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La Sauterelle à Lune Perpétuelle Exacte d’Andreas Strehler nécessite un ajustement des phases de lune tous les 2 millions d’années (!). © Fred Merz / Lundi 13

À cette première Papillon devaient succéder la Cocon en 2012 puis, un an plus tard, la Sauterelle avec un échappement à force constante doté d’un remontoir d’égalité porteur de la petite seconde. Nouvelle prouesse avec la Sauterelle à Lune Perpétuelle dont la version 2M présentée en 2014 fait preuve d’une précision inscrite au Guiness Book of Records pour nécessiter une correction d’un jour tout les… 2,045 millions d’années (!). Andreas Strehler récidivait quelques mois plus tard avec la Papillon à Lune Exacte, qui affiche l’âge de la lune à trois heures près. Après la Papillon d’or, l’horloger dévoilait encore cette année sa Time Shadow, huitième création qui affiche les heures par disque et les minutes par aiguille. Chacune de ces réalisations, qui offrent toutes des mouvements avec complications intégrées au mécanisme, relève d’un art horloger qui devrait une nouvelle fois s’exprimer à Baselworld 2017. En présentation, une montre à heures mondiales dont les plans de fonctionnement occupent tout l’espace d’un immense écran-tablette servant d’outil de travail à Andreas Strehler. À n’en pas douter, l’accueil bâlois sera cette fois à la mesure du talent…

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