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L’horlogerie suisse, un monde de géants… traditionalistes...
Economie

L’horlogerie suisse, un monde de géants… traditionalistes (II)

lundi, 30 avril 2018
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Christophe Roulet
Rédacteur en chef, HH Journal

“Vouloir est la clé du savoir.”

« Une trentaine d’années passées dans les travées du journalisme, voilà un puissant stimulant pour en découvrir toujours davantage. »

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7 min de lecture

L’horlogerie suisse est représentée à plus de 75 % par seulement quatre entités économiques. Mais comme le révèle la récente étude sur le secteur réalisée par Morgan Stanley en collaboration avec LuxeConsult, les modèles d’affaires restent encore largement traditionnels. Pour combien de temps vu la révolution numérique en cours ?

Dorénavant, la banque Vontobel n’est plus la seule à se pencher de près sur l’économie horlogère helvétique. Désormais, l’Américaine Morgan Stanley fait de même avec un rapport évidemment disséqué de toutes parts, tant les informations détaillées sur la branche sont rares et largement tenues secrètes. Dans un premier temps, Morgan Stanley s’est ainsi plu à donner le poids économique et financier des principaux ténors horlogers (lire L’horlogerie suisse, un monde de géants… traditionalistes – I). Son deuxième sujet d’analyse a ensuite porté sur leurs réseaux de distribution avec un constat qui tient en peu de mots : les modèles d’affaires qui prédominent restent avant tout traditionnels, si ce n’est traditionalistes. « De nos jours, les montres haut de gamme sont plus exposées aux distributeurs tiers (wholesale channel) que n’importe quelle autre catégorie du luxe », explique Morgan Stanley. À l’exception des montres Swatch et Cartier, 13 des 15 premières marques horlogères suisses génèrent plus de la moitié de leurs ventes via les réseaux de détaillants indépendants.

Morgan Stanley estime que 90 % des ventes horlogères suisses en termes de valeurs passent par des détaillants indépendants.

Pour des marques phares comme Rolex ou Patek Philippe, la proportion grimpe même à 99 %. Et Morgan Stanley de rappeler que Patek Philippe ne gère que trois « Salons » en propre, à Genève, Paris et Londres. Les deux Maisons disposent bel et bien de points de vente à leurs enseignes dans des pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et la Chine, mais étant donné que ces dernières sont toutes en franchise, elles sont assimilables à des détaillants indépendants. Il en va de même pour les deux géants incontournables du secteur, Swatch Group et Richemont, malgré les efforts de ces 15 dernières années pour développer leurs propres réseaux de distribution. Vacheron Constantin (Richemont) a par exemple réalisé 25 % de son chiffre d’affaires 2017 via ses propres boutiques, au nombre de 63 à fin mars 2017. Si l’on retranche toutefois les 32 d’entre elles qui sont en franchise, la quote-part des ventes réalisées par le réseau Richemont tombe à 15 %. Et ce qui est vrai de ces grandes Maisons l’est a fortiori pour les plus petites marques, qui n’ont pas les volumes nécessaires pour avoir pignon sur rue dans les mégalopoles les plus en vue. Au final, Morgan Stanley estime que 90 % des ventes horlogères suisses en termes de valeurs passent par des détaillants tiers. Fait unique dans l’univers du luxe, où, par exemple, cette proportion tombe à 40 % dans la maroquinerie et à 30 % dans la joaillerie.

Inéluctable e-commerce

Pour Morgan Stanley, cette situation devrait, en théorie, encourager les horlogers à développer leur offre en ligne. Et ce, pour deux raisons principales. La première, la plus évidente, tient au niveau très élevé des marges brutes dans le secteur. En termes absolsu, cela veut dire que sur une montre vendue EUR 10’000, EUR 4’000 vont dans la poche du détaillant étant donné qu’il s’agit là d’une activité gourmande en capital, qui fonctionne avec peu d’inventaires – la moyenne de rotation des stocks est de 250 jours contre 30 jours pour un supermarché – et dont les frais immobiliers sont importants, pour ne pas dire prohibitifs. Seconde raison : les détaillants indépendants ne peuvent offrir qu’une part limitée de l’assortiment des marques. Si l’on songe qu’Omega dispose de 1’600 références au total, impossible pour un point de vente multimarque d’en présenter beaucoup plus qu’une cinquantaine, soit à peine 3 % de l’offre globale de la Maison.

Dans ce contexte, la banque américaine ne voit pas pourquoi l’horlogerie suisse devrait rester durablement en marge de l’e-commerce. D’autant que ce canal de distribution n’a cessé de gagner des parts de marché dans tous les segments de la consommation. Jusqu’ici, les barrières ont certes été largement dissuasives, que l’on songe au problème des contrefaçons ou encore au besoin viscéral éprouvé par les Maisons d’agir dans l’univers physique – le fameux touch and feel –, si bien que les ventes en ligne de montres neuves n’ont pour l’instant pas dépassé la barre des 5 %. Mais pour la banque d’affaires américaine, le barrage est en passe de céder. Des changements importants sont ainsi à l’œuvre, notamment grâce à l’envol de plates-formes horlogères de l’e-commerce, qui ont su gagner la confiance du client en matière d’authenticité des pièces proposées. Et Morgan Stanley de citer Chrono24 en exemple, un site alimenté également par les détaillants, qui répertorie pas moins de 400 marques pour un assortiment de plus de 335’000 montres. Aucune boutique ne peut s’aligner.

Le spectre du marché gris

Autre phénomène à prendre en considération : les taux de change, comme on a d’ailleurs pu s’en rendre compte avec la chute de la livre sterling à la suite du Brexit qui propulsé le marché britannique au rang de meilleure destination européenne pour les exportations horlogères suisses en termes de croissance tant en 2016 qu’en 2017. Pour Morgan Stanley, la nature même de l’industrie horlogère suisse est telle qu’elle a toujours eu le marché gris comme corollaire. Marché gris devenu global, précisément grâce à ces nouvelles plates-formes de vente sur Internet, et tributaire des effets monétaires à travers les cinq continents. Un exemple ? Si les exportations horlogères suisses vers le marché américain ont connu une baisse significative ces dernières années, soit un recul cumulé jamais observé au cours du siècle dernier de 28 % en unités et 14 % en valeurs entre 2014 et début 2018, pour Morgan Stanley, cela tient essentiellement à l’effet dollar, qui a connu une forte appréciation face à l’euro et au yuan. Résultat : les détaillants chinois et européens qui croulaient sous les piles d’inventaires ont cherché à déstocker via ces plates-formes de vente en ligne actives aux États-Unis. C’est uniquement en février 2018 que le vent a tourné au pays de Donald, avec des exportations en hausse de 28 %, la plus forte progression mensuelle depuis 2012, alors que le dollar est justement entré depuis quelques mois dans une phase de correction contre les principales devises de la planète.

Les marques, dont la présence en ligne est inexistante, abandonnent de fait ce canal de distribution aux acteurs du marché gris.
Morgan Stanley

Pour Morgan Stanley, la conclusion s’impose : « Les marques horlogères suisses dont la présence en ligne est inexistante abandonnent de fait ce canal de distribution aux acteurs du marché gris. Avec les millions de clients potentiels au niveau mondial qui s’informent en ligne sur les garde-temps helvétiques, on peut parier avec une grande certitude que ces mêmes clients potentiels, prêts à acquérir une montre, vont regarder si elle est disponible sur le Net et à quel prix. » Raison pour laquelle les choses commencent à bouger. Depuis un an, les partenariats des marques se multiplient avec les sites marchands, avec les sites d’information qui se muent en revendeurs, avec les blogs, quand ce ne sont pas les Maisons elles-mêmes qui se jettent à l’eau, pour l’instant majoritairement aux États-Unis. Cette effusion n’est toutefois pas du goût de tous les acteurs horlogers. Une chance pour les autres ?

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