Des siècles de lent développement, des trésors d’imagination et d’ingénierie, puis un succès à la hauteur de l’innovation proposée, pour finir par un sacrifice – ou presque – sur l’autel de l’obsolescence en raison d’une brindille. Littéralement. C’est la petite histoire de la complication considérée comme l’un des plus grands défis de l’art horloger : la montre à répétition. Apparue en 1685, elle a permis à des générations d’individus de prendre connaissance de l’heure la nuit, à une époque où l’éclairage, public comme domestique, était quasi inexistant. Une invention très utile et unanimement saluée comme une avancée technologique, pourtant condamnée un siècle et demi plus tard par une autre invention, dans un tout autre domaine celle-là : l’allumette.
La matière luminescente coaccusée
Le pouvoir intrinsèque d’une technologie d’en remplacer une autre est parfois étonnant. Dans l’imaginaire collectif, c’est plutôt la matière luminescente – du sulfate de calcium –, qui apparaît sur les cadrans et les aiguilles des pendules et des réveils dès la fin des années 1870, qui est responsable du déclin de la répétition minutes telle qu’elle était utilisée. Cette innovation a bien sûr joué un rôle, mais le destin de ce chef-d’œuvre mécanique a été scellé bien des années avant.
De toute l’histoire de l’horlogerie, aucune invention n’est née ex nihilo. C’est ainsi que, les travaux des uns faisant avancer ceux des autres, on est passé, en sept siècles, de l’horloge monumentale de clocher à la montre-bracelet extra-plate. Dans la même logique, la répétition découle de deux innovations majeures : le balancier-spiral et l’aiguille des minutes – les deux étant d’ailleurs liés. En 1675, le Néerlandais Christiaan Huygens présente à la Société Royale de France un nouveau dispositif de régulation qui va révolutionner l’art de segmenter le temps. Son petit ressort spiralé, associé à un volant d’inertie, va en effet non seulement permettre de considérablement miniaturiser le mouvement de montres, mais également d’augmenter drastiquement leur précision avec un écart journalier qui passe alors de 40 minutes à 4 minutes environ.
À l’époque, les garde-temps les plus sophistiqués n’affichent que les heures. Mais cette fiabilité soudainement accrue va bientôt justifier l’introduction d’une deuxième aiguille, dévolue au décompte des minutes. L’Anglais Daniel Quare passe pour être le premier à l’avoir utilisée. C’est encore lui, mais cette fois en concurrence avec ses compatriotes Edward Booth (dit Barlow) et Thomas Tompion, qui réfléchit le premier à une solution pour lire l’heure dans l’obscurité. En 1685, les trois horlogers présentent à Londres le principe de la montre à répétition. Cependant, celle-ci ne sonne encore que les quarts. Jugée la plus pratique des trois par le roi James II d’Angleterre, c’est l’invention de Daniel Quare qui est finalement couronnée d’un brevet, délivré en 1687 par le Privy Council.
Une construction géniale
Il faudra attendre plusieurs dizaines d’années pour que naisse la répétition minutes. Les premiers exemplaires ne sont pas clairement attribués mais apparaissent au sud de l’Allemagne vers 1700. Le mouvement fait déjà preuve d’un certain génie : le dispositif de sonnerie se compose d’une mémoire mécanique à cames, de marteaux et de clochettes miniatures. Une fois activé, le système vient prendre l’information sur les cames grâce à des palpeurs, lesquels commandent les marteaux. Par convention, une note grave annonce les heures, une double note aiguë-grave, les quarts d’heure et une note aiguë, les minutes. Cette architecture est améliorée en 1787, lorsqu’Abraham-Louis Breguet met au point ses timbres circulaires. Plus mélodieux, ceux-ci permettront également de gagner en épaisseur.
Les répétitions ont connu un énorme succès pendant plus de 160 ans. Cette mécanique somptueuse, dont la complexité n’a d’égale que les décennies nécessaires à la mettre au point, va cependant se heurter à un événement a priori anodin pour l’horlogerie. En 1831, le jeune chimiste français Charles Sauria invente, presque par hasard, l’allumette phosphorique à friction. Désintéressé, il laissera toutefois à d’autres le soin de la commercialiser, notamment à l’Allemand Anton Schrötter, qui trouva le moyen d’industrialiser le phosphore rouge. Ses allumettes dites « de sureté » vont dès lors permettre d’allumer sans risque et facilement bougies, lampes à huile et, plus tard, lampes à gaz.
Les montres à sonnerie ont alors lentement perdu leur raison d’être. Un tel témoignage de virtuosité horlogère ne pouvait toutefois complètement disparaître. La complication a ainsi été associée à des montres de poche de prestige, puis, au XXe siècle, à des montres-bracelets de luxe. Mais très rares, sans doute, sont ceux à la faire encore sonner la nuit.