Antonio Calce: Nous n’avons pas repris toute la masse en faillite des Artisans horlogers. Nous avons engagé Laurent Besse, son créateur, et racheté un certain nombre de dossiers, de plans et d’outils qui nous concernaient. Avec ça, nous avons commencé à construire un bureau technique. Cela a été une opportunité de marché qui nous a permis de faire un grand pas en avant, d’aller plus vite que prévu dans la verticalisation.
J’avais fait un plan sur cinq ans il y a six mois. Il me paraissait bien ficelé. Aujourd’hui, avec les derniers développements concernant la volonté de Swatch Group de concentrer son outil industriel sur ses propres marques – volonté que je respecte d’ailleurs –, nous devons revoir nos choix. Tout va tellement vite ! En cessant les livraisons de la partie réglante, Swatch Group nous impose un nouveau métier…
Oui, clairement, je suis d’accord. Mais il y a aussi une réalité historique du marché : dans les années 1990, personne – à part Swatch Group – n’était intégré ! Richemont n’était qu’embryonnaire, Cartier ne faisait que du quartz… Pas grand monde ne mesurait l’importance de ce qui est devenu une priorité ! Il y a encore dix ans, les fabricants de montres faisaient des Lego ! Vous vous rendez compte comme c’est allé vite ? Je demande un peu d’indulgence, car nous nous trouvons face à un challenge où l’argent seul n’est pas suffisant.
Non, l’un de nos piliers, Corum Bridges, n’est pas du tout exposé.
Nous allons être obligés de trouver des associations, des alliances pour des solutions communes, dans un esprit de patriotisme horloger. Des réflexions sur un approvisionnement en Europe sont dans le pipeline. Nous allons également engager du personnel supplémentaire pour coller les spiraux, fabriquer des balanciers. Le but n’est pas de maîtriser la fabrication des ressorts-spiraux mais de devenir maître d’œuvre de la partie réglante, comme de tout le mouvement d’ailleurs.
On trouve des fournisseurs de spiraux en Allemagne. Mais cela induit un degré de management différent : il faut pouvoir réceptionner, contrôler, etc.
Oui, mais pas forcément. Cela passe aussi par des commandes communes ou la mise en place commune de ressources.
Et les lapins sont plutôt rares, donc d’autant plus visibles ! Mais Corum ne peut certainement pas intégrer seule un acteur qui serait sur le marché. Il y a des questions de volumes et de rentabilité. Et ce n’est pas forcément un objectif que de doubler la production. Nous devons plutôt sécuriser, avec des partenaires, les segments qui nous préoccupent. Cela me pousse à penser que le business model des motoristes – comme des bureaux de création externes – a une durée de vie limitée. Parce que toutes les marques, dès qu’elles ont atteint une certaine dimension, se mettent à intégrer. Et pas seulement pour assurer leur production mais aussi par souci de crédibilité. Avec le temps, on ne peut plus déléguer la paternité d’un produit. Vous ne pouvez pas pérenniser une marque sans personnalisation.
Il est toujours là, les plans sont prêts. Même si Corum se porte bien, je ne vous cache pas que nous ne pouvons pas nous lancer dans une telle aventure avec cette situation macroéconomique tout sauf sereine. En tant que patron et actionnaire minoritaire, je ne peux pas prendre ce risque. Pour l’instant, les employés se serrent. Mais il est aussi clair que je ne peux pas attendre encore deux ans avant de passer à une intégration plus rapide.
Nous voyons 2012 avec un certain optimisme, vu l’important potentiel de croissance de certains de nos marchés. En Italie, par exemple, nous avons doublé notre chiffre d’affaires en 2011 !
Nous venons de déménager notre filiale américaine d’Irvine – près de Los Angeles – à Miami. Elle ouvrira dès novembre, avec un nouveau management. C’est un peu une filiale « new generation », un très bon moteur. Une quinzaine de personnes y travaillent.
En termes de chiffre d’affaires, pas tellement : nous y avons environ 50 points de vente. Mais nous sommes très contents des résultats obtenus depuis cinq ans et de l’accueil fait à nos produits. Nous venons de recevoir le Best of the Best Award du Robb Report Magazine pour la Golden Bridge : c’est génial, cet engouement ! Nous faisons un vrai travail millimétré de reconstruction de la marque avec nos deux piliers que sont Admiral’s Cup et Corum Bridges. Nous avons créé un réseau de détaillants très ciblés pour cette deuxième collection : quinze d’entre eux ne vendent que des Ti-Bridge et des Golden Bridge.
Nous avons ouvert ce marché il y a deux ans. Nous y avons une quinzaine de points de vente actuellement et voulons atteindre idéalement 40 détaillants. Ce marché est très important, non pas pour y gagner de l’argent – les marges n’y sont pas bonnes –, mais pour s’y faire connaître. Il est indispensable d’y avoir une bonne image. Il faut savoir que certains points de vente en Italie ou aux États-Unis ne vivent que grâce à la notoriété de la marque en Chine. À Rome, 80 % des ventes sont touristiques.
En Chine toute seule, ce n’est pas énorme, mais l’Extrême-Orient représente plus de 50 % de nos ventes.
Je reste confiante. Corum n’est pas arrivée à maturité sur ce marché : sa croissance ne s’appuie pas uniquement sur celle de l’économie mais également sur la hausse de sa notoriété. Avec la Golden Bridge, par exemple, nous sommes uniques ! Je n’arrive pas à suivre…
Article paru dans le BIPH