Au cours des années 1980, l’industrie horlogère suisse, mise en péril par l’invention des mouvements à quartz au cours de la décennie précédente, parvient miraculeusement à renaître de ses cendres grâce à la création de la « montre de mode » par Swatch. Fiables et tendances, ces modèles constituaient une alternative bon marché aux montres mécaniques et ce nouveau segment de marché s’est révélé une véritable aubaine pour l’industrie horlogère.
« Montres de mode », un terme ambigu par excellence
Les autres montres « de mode » n’ont pas tardé à apparaître et on a assisté à l’apparition de modèles Guess, Fossil, Nina Ricci, DKNY, Burberry, etc. etc. En parfaite logique, les montres produites sous licence de maisons de luxe ont rapidement été désignées comme montres « de mode » et cette appellation s’est rapidement élargie à l’ensemble des modèles dont le nom intégrait celui d’une marque de luxe. Ceci nuit bien évidemment à des maisons telles que Chanel, qui refuse catégoriquement de voir sa J12 Tourbillon sertie de baguettes de diamants reléguée dans la même catégorie qu’une Nina Ricci à quartz vendue 250 USD (sans vouloir décrier le modèle Nina Ricci, qui reste une excellente montre !). Même au sein de la profession, l’appellation munichoise de « montre de mode » reste collée à tous les noms évoquant celui d’une marque de couture. Ce terme est donc devenu extrêmement ambigu, puisqu’il fait tout autant référence à une DKNY à 150 USD qu’à une Gucci de 2’000 USD ou une Chanel de 130’000 USD, selon la personne qui utilise le terme et les connotations qu’elle y associe. Cette confusion entraîne un rejet en masse de la part des marques.
Nous avons approché Chanel pour préparer cet article, et avons reçu la réponse suivante : « Nous ne souhaitons pas être inclus dans un article traitant des montres de mode ». « Nous sommes des horlogers ». De même, Hermès, dont les montres sont fabriquées en Suisse par Vaucher Manufacture Fleurier, l’une des horlogeries les plus respectées au monde, a déclaré : « Qu’il s’agisse de prêt-à-porter, de maroquinerie ou de montres, nous avons pour politique d’unir nos forces avec les experts du secteur. Nous ne sommes pas des fabricants de montres de mode ».
Inutile d’en dire plus, le message est passé. Une montre de mode ne doit pas donc son appellation à son affiliation (par licence ou autre) à une maison de couture, même si certaines montres de mode peuvent présenter ce type d’affiliation. En outre, une montre peut être à la mode, même si elle ne répond pas à l’appellation « montre de mode », tant qu’elle correspond à une certaine fourchette de prix. Laquelle ?
L’heure a sonné de résoudre la crise de l’appellation
Il est peut-être temps de régler cette crise d’appellation, qui, il faut le noter, affecte également l’industrie bijoutière : le terme « de mode » faisait auparavant référence aux bijoux fantaisie, fabriqués à base de métaux et de pierres fines plutôt qu’en métaux nobles et en diamants. Mais aujourd’hui, ce terme désigne tous les bijoux en-dehors des alliances, et dérive de la notion que ces objets sont influencés par les critères de la mode.
Dans le cas de montres, je propose humblement de segmenter les désignations comme suit : pour les montres haut de gamme – c’est-à-dire, dotées de mouvements mécaniques, de complications et /ou ornées de bijoux, ET portant le nom d’une marque fabriquant de marchandises de luxe, je propose le terme de « montres couture » (seraient incluses dans cette catégorie les montres Chanel, Hermès, Dior et Gucci). Les marques correspondant aux mêmes attributs, mais dont la désignation ne comprend pas le nom d’une maison de couture, seraient appelées « montres de luxe » (comme les montres Cartier, Piaget, Boucheron). Et enfin, les marques produisant principalement des modèles à quartz, d’une valeur inférieure à, disons, 1’000 USD environ, que leur désignation comprenne ou pas le nom d’une maison de couture, pourraient conserver le nom de « montre de mode » (DKNY et Nina Ricci, mais aussi Fossil et Timberland).
Il pourrait demeurer une certaine ambiguïté (ou même une hostilité) à l’égard de ces catégories. Certains diront que le terme de « mode » devrait s’appliquer à tous les modèles de moins de 2’000 USD, mais on susciterait alors le mécontentement des fabricants de modèles vendus entre 1’000 et 2’000 dollars. D’autres réfuteront le titre de « couture », qui pourrait évoquer l’idée que ces produits ne sont pas suffisamment accessibles pour s’appliquer à une marque de luxe de masse. J’anticipe tous types d’objections. Mais il faut bien commencer par quelque chose.