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Quand l’État a sauvé l’horlogerie suisse – Partie 2
Economie

Quand l’État a sauvé l’horlogerie suisse – Partie 2

lundi, 13 avril 2020
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Christophe Roulet
Rédacteur en chef, HH Journal

“Vouloir est la clé du savoir.”

« Une trentaine d’années passées dans les travées du journalisme, voilà un puissant stimulant pour en découvrir toujours davantage. »

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7 min de lecture

Dès la fin du premier conflit mondial, l’horlogerie suisse a connu une période de crise majeure, marquée par une profonde réorganisation sous l’égide de l’État. Ce sauvetage national a notamment pris forme lors d’ententes cartellaires, suivies par des mesures de certification territoriale. Seconde partie : naissance du Swiss made.

Si le sauvetage de l’horlogerie suisse au lendemain du premier conflit mondial a coûté des millions à la Confédération helvétique, il n’en a pas moins fait merveille. Durant la période de l’entre-deux-guerres, grâce aux ententes cartellaires garantissant les prix et un approvisionnement rigoureusement helvétique afin de préserver la division du travail propre à l’établissage, l’horlogerie suisse n’a cessé de se renforcer sur le plan mondial. Non seulement cette double structure protectionniste empêchait les acteurs étrangers de produire des montres à partir de composants suisses, mais elle réservait également les principales innovations de la branche aux seuls acteurs du pays. Innovations au rang desquelles le spiral en Elinvar puis le spiral Nivarox, le porte-échappement ou le système de pare-chocs, pour citer quelques exemples.

La défense de la territorialité de l’établissage était donc achevée à partir de la seconde moitié des années 1930.
Johann Boillat

Et pour bien cimenter cette hégémonie au niveau commercial, dès 1924, deux des principaux groupements patronaux ont eu recours au principe du poinçon de qualité, contrôlé par des bureaux officiels agréés par les autorités fédérales. Ces dispositions protégeaient ainsi la bonne facture helvétique sur les marchés étrangers dans la mesure où le Bureau fédéral de la propriété intellectuelle à Berne était chargé de les faire respecter au niveau international. « La défense de la territorialité de l’établissage était donc achevée à partir de la seconde moitié des années 1930 grâce au renforcement économique, commercial et technologique du tissu industriel, précise l’historien Johann Boillat dans un article sur la question. Lucratif, le système fut dès lors protégé, jusque dans les années 1950, par le Département fédéral de l’économie publique et par les associations patronales. »

Attaque par la base

Cet état de grâce ne pouvait toutefois durer éternellement, d’autant que les structures industrielles suisses semblaient avoir trouvé leurs limites face à la concurrence étrangère. Dès les années 1950, Américains et Japonais entament une conquête des marchés avec des produits de masse bon marché. Alors que le fameux « Statut horloger » interdisait aux fabricants suisses de délocaliser à l’étranger leurs activités à faible valeur ajoutée, notamment la fabrication des pièces d’habillage, c’est précisément ce modèle d’affaires qui allait propulser l’Américain Timex, rompu à la production de munitions durant la guerre, au rang de premier horloger mondial. L’entreprise, qui voit sa production passer de 1 million à 22 millions de pièces entre 1949 1969, est d’ailleurs talonnée par Seiko et ses montres à remontage automatique assemblées à la chaîne dès 1959. En parallèle, les États-Unis commencent à faire pression en matière d’échanges commerciaux, mettant en avant « la nécessité de limiter les transactions avec des pays dont l’industrie est réglementée par voie de cartel », selon les mots du président d’Elgin National Watch Co., autre grande manufacture américaine. Une menace à ne pas prendre à la légère, vu que les États-Unis, premier marché horloger mondial, absorbaient 35 % des volumes d’exportations de montres suisses durant les années 1950.

Il y a une véritable bipolarisation entre des montres de qualité dont la production n’est pas rationalisée et des montres bas de gamme fabriquées en masse.
Pierre-Yves Donzé

Comme le résume l’historien Pierre-Yves Donzé, la production de masse n’avait été adoptée que partiellement par l’horlogerie helvétique, tandis que les montres haut de gamme restaient confinées dans un mode de production largement fragmenté, et ce jusque dans la fabrication des composants toujours répartie entre une multiplicité des petites unités indépendantes : « Il y a une véritable bipolarisation entre des montres de qualité dont la production n’est pas rationalisée et des montres bas de gamme fabriquées en masse, explique-t-il. Or, c’est précisément la fusion de ces deux modèles, soit la production en masse de montres de qualité, qui permet aux fabricants japonais de s’imposer sur le marché mondial comme les véritables challengers de la Suisse. »

Du contrôle technique au Swiss made

Face à cette concurrence, synonyme de perte de parts de marché pour les grandes Maisons helvétiques, la profession va commencer à faire pression sur les autorités fédérales en vue d’une libéralisation de leurs activités leur permettant notamment d’internationaliser leur production. Il va sans dire que cet abandon des ententes cartellaires ne pouvait satisfaire tout le monde, notamment les fournisseurs de mouvements et de composants réunis au sein de l’Asuag (Société générale des industries de l’horlogerie suisse) alors en situation de monopole. Malgré tout, l’ouverture est en marche. Elle se fera en trois temps. Dès 1952, le diktat des prix établis par les organisations patronales est aboli. Dix ans plus tard, les dernières entraves sautent en matière d’accès au marché et d’échanges commerciaux sur les composants avec une période transitoire permettant aux différents acteurs de s’adapter à la nouvelle donne. Tout protectionnisme n’est cependant pas abandonné. Pour éviter le danger d’une prolifération de montres de basse qualité en raison du mouvement de délocalisation de la production, la Confédération suisse va mettre en place le Contrôle technique des montres (CTM). Cette mesure soumettait les garde-temps suisses à un ensemble de normes techniques minimales « en vue d’empêcher l’exportation de produits horlogers propres à porter gravement atteinte au renom de l’industrie horlogère suisse », selon l’arrêté fédéral adopté en 1961.

Les producteurs de pièces d’habillage craignaient d’être sacrifiés sur l’autel de la compétitivité.

C’était le premier pas en vue de l’adoption du « Swiss made » qui se fera dix ans plus tard, en 1971, à la suite d’âpres tractations entre les principaux acteurs de la branche et l’État. Les producteurs de pièces d’habillage, notamment, craignaient d’être sacrifiés sur l’autel de la compétitivité, tandis que les fabricants de mouvements semblaient mobiliser toute l’attention en ces temps où seule la précision importait pour définir une montre de qualité. Finalement, la crainte des premiers face à la suprématie des seconds s’est trouvée parfaitement justifiée. Dès lors était considéré comme « suisse l’instrument à mesurer le temps dont le mouvement est assemblé, mis en marche, réglé et contrôlé en Suisse, et dont les 50 % au moins de la valeur de toutes les pièces proviennent d’une fabrication suisse », selon l’ordonnance fédérale qui sera entérinée trois ans plus tard. Conclusion de Pierre-Yves Donzé : « La législation sur l’usage du “Swiss made” pour les montres doit ainsi être considérée comme un instrument pragmatique, dont l’objectif est de protéger la réputation des montres suisses sur les marchés mondiaux tout en améliorant la compétitivité des entreprises en termes de coûts de production – grâce à l’usage de pièces étrangères. » Quelque 40 ans plus tard et après de nouvelles âpres tractations qui auront duré quelques lustres, le Swiss made est devenu Swiness portant à 60 % les exigences minimales en termes de valeur. Faut-il y voir une nouvelle victoire du pragmatisme helvétique ?

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