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Quant l’heure disparaît du cadran des montres
Modes & Tendances

Quant l’heure disparaît du cadran des montres

vendredi, 19 septembre 2008
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Christophe Roulet
Rédacteur en chef, HH Journal

“Vouloir est la clé du savoir.”

« Une trentaine d’années passées dans les travées du journalisme, voilà un puissant stimulant pour en découvrir toujours davantage. »

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8 min de lecture

De l’apparition des premières horloges mécaniques dépourvues de cadran à la Day&Night de Romain Jérôme qui ne donne pas l’heure, l’histoire de l’affichage horloger a suivi une évolution qui fait aujourd’hui du temps écoulé une matière première dont les montres ne semblent plus avoir véritablement besoin pour s’exprimer.

En matière d’iconoclasme, Romain Jérôme a fait fort avec sa « Day&Night ». Ce garde-temps incorpore en effet la rouille, un élément que les horlogers fuient comme la peste, une rouille qui plus est non stabilisée et directement ramenée du Titanic avec les morceaux d’acier qui en constituent le boitier – certains diraient le tombeau ! De plus, la marque vieille d’à peine quatre ans indique clairement l’origine des mouvements développés en exclusivité par BNB, ce que nombre de Maisons pourtant logées à la même enseigne refusent encore de faire. Et, cerise sur le gâteau, la Day&Night est présentée comme la première montre qui n’indique pas l’heure, seulement l’alternance des jours et des nuits via ses deux tourbillons séquentiels. Que l’on soit finalement admirateur ou contempteur de la démarche, Romain Jérôme n’en a cure pour la simple raison que le coup de projecteur est immanquable dans les deux cas, voire même plus puissant dans le deuxième en termes commerciaux, selon la célèbre formule « oderint dum metuant » attribuée à Caligula (qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent…) !

Titanic-DNA Day Night © Romain Jerome
Titanic-DNA Day Night © Romain Jerome
Montres de poche avec cadran solaire

De ces multiples provocations, on ne retiendra pourtant que la dernière, l’absence d’aiguilles et de véritable cadran, qui renvoie finalement aux débuts de l’horlogerie mécanique (XIIIe siècle) où les premières horloges monumentales étaient généralement elles aussi dépourvues de cadran, donc d’aiguilles. Ces mécanismes à échappement et poids moteurs avaient pour but de déclencher automatiquement des sonneries de cloches destinées à rythmer la vie quotidienne de l’époque et dont les montres à sonnerie sont les dignes héritières. Si on se retrouve avec la Day&Night dans une autre configuration, aujourd’hui permise par la multiplication des indications horaires sur les supports les plus utiles comme les plus incongrus, il n’en demeure pas moins que la division du temps retenue par Romain Jérôme n’est pas davantage sans connotation historique, pour faire référence à celle reconnue par les Egyptiens consistant en douze heures diurnes et douze nocturnes avec minuit comme origine du jour.

L’apparition des cadrans sur les horloges monumentales va toutefois se généraliser dès le XVe siècle, selon une configuration qui faisait clairement référence aux horloges solaires avec une graduation découlant de la division du jour en vingt-quatre heures et une seule aiguille se déplaçant dans le sens « antihoraire », selon le mouvement apparent du soleil de la droite vers la gauche sur les cadrans solaires. La première division du jour et, donc du cadran, en deux cycles de douze heures représentés de manière concentrique est instituée en 1582 avec l’adoption du calendrier grégorien. Contrairement à leurs prédécesseurs, italiens notamment, où la première heure (I en chiffre romain) est située au point le plus bas du cadran – les heures italiennes de l’époque faisant débuter le jour une demi-heure après le coucher du soleil -, les cadrans répondant au calendrier grégorien vont instaurer la norme des nombres douze et vingt-quatre placés au sommet du cadran en référence à la position du soleil à son zénith. La généralisation d’une deuxième aiguille, plus grande pour représenter les minutes et disposée sur le même axe, ne se généralisera qu’au XVIIIe siècle.

Difficile introduction de la trotteuse

« Le remplacement des poids moteurs par le ressort et la miniaturisation des mécanismes conduisent à la naissance de la montre à la fin du XVe siècle, rappelle Dominique Fléchon, Directeur du centre d’études et de recherche de la Fondation de la Haute Horlogerie, dans le catalogue de l’exposition consacrée aux « Visages de la montre : cadrans et aiguilles » (2003). Celle-ci, souvent complétée d’un cadran solaire pour la mise à l’heure, emprunte son cadran en laiton, lisible et plat, aux horloges domestiques de l’époque. A l’extérieur, une série de chiffres romains, séparés de fleurettes, losanges ou autres motifs désignant les demies, marque les heures de une à douze. A l’intérieur, une suite de chiffres arabes indique celles de treize à vingt-quatre. Un soleil gravé aux rayons majestueusement dirigés vers les heures et les demies, occupe le centre. »

Peu après l’apparition de la montre de poche, les cadrans des montres astronomiques de la Renaissance marient déjà plusieurs types d’affichage: les aiguilles défilant sur les cadrans annulaires généralement attribuées aux heures et aux quantièmes, les phases de la lune et les jours étant lisibles au travers de guichets. Comme pour les cadrans des horloges monumentales, ce n’est qu’après 1700 que la deuxième aiguille se généralise sur ceux des montres de poche, menant à une conception à double échelle du cadran : à l’extérieur celle des heures en chiffres romains, à l’intérieur celle des minutes en chiffres arabes. L’histoire n’a conservé que de très rares exemples d’horloges munies d’une aiguille des secondes dans son propre cadran avant la fin du XVIIe siècle. L’invention des montres à trotteuse centrale remonte quant à elle aux alentours de 1740 et de 1760 pour celles à foudroyante. Mais leur généralisation va prendre plus de temps que pour de l’aiguille des minutes.

Cadran de montre de poche émaillé sur cuivre, Le Locle, vers 1880, collection du Musée d'Horlogerie et et de l'Emaillerie, Genève
Cadran de montre de poche émaillé sur cuivre, Le Locle, vers 1880, collection du Musée d'Horlogerie et et de l'Emaillerie, Genève
L’heure illisible

« Je ne voudrais pas avoir une montre dont l’aiguille indique les secondes ; elle vous hache la vie trop fin », écrivait Madame de Sévigné. « De fait, explique Dominique Fléchon, la trotteuse se répand à partir du XIXe siècle grâce à l’emploi de l’échappement à cylindre puis à ancre, plus précis que celui à palette des siècles antérieurs. Entre 1750 et 1775, les minutes n’apparaissent plus qu’en regard des quarts d’heure pour disparaître peu à peu. Cette évolution, témoin de l’accoutumance progressive à la mesure du temps, se poursuivra par le remplacement partiel ou total des chiffres par des index au début du XXème siècle, et par les cadrans sans repère dans les années 1960 ».

La montre-bracelet est le reflet d’un changement important dans les modes de vie, les mentalités et les habitudes avec, au programme, mutations techniques et évolution esthétique par rapport aux garde-temps de poche. Les cadrans suivent la tendance avec des recherches stylistiques qui intègrent au fil des décennies, phosphorescence, galvanoplastie, brossage, étampage dans la masse, guillochage à la main, soit autant de techniques qui viennent rehausser l’aspect des montres. Des montres qui, depuis les années 90 et le retour des garde-temps mécaniques, font la part belle aux complications horlogères et, depuis peu, aux affichages les plus ébouriffants. Comme si l’indication de l’heure était devenue beaucoup trop triviale pour être encore le centre de préoccupation majeur de certains horlogers parmi les plus talentueux comme l’équipe à la naissance de la Cabestan. Nombre de montres « fashion », à l’image Nooka ou Abacus, s’en sont d’ailleurs fait une carte de visite, alors que dans l’univers du luxe (Hublot Big Bang All Black) ou de prestige (Hamilton Belowzero), certaines Maisons s’ingénient à rendre l’heure quasi illisible. Faut-il dès lors comprendre cette disparition comme une suite logique des efforts réalisés pour rendre l’heure disponible pour tous, partout et en tout temps. Probablement. Mais comme toute démarche actuelle dans la branche, elle ne saurait se comprendre hors cette réflexion qui fait de la montre un chef d’œuvre micromécanique, quel qu’en soit l’affichage.

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