Ralentissement de la croissance en Chine, baisse du prix du pétrole, turbulences monétaires en Russie, Europe convalescente, places boursières dans la tourmente… L’industrie horlogère suisse n’est pas épargnée par les difficultés que traversent ses principaux marchés. Elle relève le défi avec l’aide de grands patrons avisés et expérimentés qui organisent la résistance.
Alors que le ralentissement de la croissance en Chine se confirme, comment faire face aux ajustements structurels d’un marché où l’industrie horlogère a beaucoup investi cette année ? Comment parer à l’impact de la baisse du prix du pétrole sur les ventes horlogères au Moyen-Orient ? Comment gérer la chute du rouble et les variations de change ? Comment générer de la croissance sur un marché mature tel que les États-Unis ? Et, enfin, tandis que Londres résiste, que l’Allemagne marque le pas et que l’Espagne surprend, sur quel pays européen miser ces prochaines années ? À toutes ces questions et malgré une actualité chargée, quatre patrons horlogers ont pris le temps de répondre : Philippe Léopold-Metzger, CEO de Piaget, Marc-Pierre Gaudreault, COO de Parmigiani Fleurier, Christophe Claret et François-Henry Bennahmias, CEO d’Audemars Piguet.
Il en ressort qu’investir dans les grandes métropoles touristiques reste le meilleur moyen de toucher la clientèle chinoise, au contraire des Russes, qui achètent de plus en plus localement, que les États-Unis, bien que marché mature, gardent tout leur potentiel de croissance, que les grands pays européens demeurent une priorité sur le long terme et que le développement de nouveaux produits représente la clé du succès.
Philippe Léopold-Metzger – Piaget
CEO emblématique de Piaget depuis 1999, Philippe Léopold-Metzger est à la base du rajeunissement de la marque à travers le lancement de nouveaux modèles, de son développement dans la Haute Joaillerie et du renforcement de la production sur les sites de Plan-les-Ouates (Genève) et La Côte-aux-Fées (Neuchâtel).
Chine
En Chine, notre objectif est double : consolider notre réseau de boutiques locales et augmenter de façon significative nos ventes en joaillerie. Nous nous efforçons également de renforcer nos ventes auprès des clients chinois partout ailleurs dans le monde. L’ouverture récente d’une boutique rue de la Paix à Paris et Via Verri à Milan va clairement dans ce sens. Mais au-delà de la Chine, il faut explorer de nouveaux territoires en Asie tels que la Corée du Sud, la Thaïlande et le Sud-Est asiatique, qui ont beaucoup de potentiel.
Moyen-Orient
Nous augmentons actuellement nos investissements au Moyen-Orient afin que Piaget retrouve sa place historiquement forte sur ce marché. Nous avons d’ailleurs organisé un événement VIP très important il y a quelques mois et nous serons le sponsor principal d’Art Dubai en mars.
Russie
Comme toutes les marques, nous sommes tenus d’ajuster nos prix régulièrement. Ce qui est certain, c’est que les marques de luxe se portent bien dès qu’elles offrent des prix avantageux. J’ajoute que les Russes achètent de plus en plus localement.
États-Unis
Nous avons une marge de progression en Amérique du Nord. Nous allons ouvrir deux nouvelles boutiques à Toronto et Houston durant les trois prochains mois. Nous développons d’ailleurs de nouveaux produits, qui nous semblent très prometteurs pour ce marché.
Europe
Notre stratégie à long terme se concentre sur les six principaux pays européens : France, Italie, Suisse, Royaume-Uni, Espagne et Allemagne. La Suisse en particulier reste le pays d’Europe où les étrangers en général, et les Asiatiques en particulier, aiment acheter leurs montres.
Marc-Pierre Gaudreault – Parmigiani Fleurier
Ancien entraîneur professionnel de hockey sur glace en France et en Suisse, Marc-Pierre Gaudreault débute sa carrière dans l’horlogerie en 2002. Après avoir fait ses classes au sein du Swatch Group, il rejoint Parmigiani Fleurier en 2015, où il occupe la fonction de COO depuis octobre.
Chine
L’Asie en général et la Chine en particulier sont deux marchés importants pour Parmigiani Fleurier. Cependant, nous privilégions depuis plusieurs années une stratégie de développement global qui nous permet de résister aux évolutions locales. J’ajoute que la clientèle chinoise est de plus en plus mobile. Il est donc indispensable de pouvoir l’accueillir partout dans le monde.
Moyen-Orient
Je suis convaincu que le Moyen-Orient reste un marché à fort potentiel. Il faut être patient et semer aujourd’hui les fruits d’une croissance future. Les cycles ont toujours un début et une fin.
Russie
De nouveau, attention à ne pas réagir à court terme. Les Russes ont certes perdu du pouvoir d’achat, mais nous continuons à développer la marque en Russie pour renforcer la confiance de nos partenaires locaux et de leurs clients. Je suis certain que les ventes retrouveront un volume normal dès la fin de la crise.
États-Unis
L’Amérique du Nord demeure une valeur sûre. La qualité des produits, le marketing et l’image sont essentiels pour percer et réussir sur ce marché, qui est un excellent test pour s’attaquer au reste du monde. Parmigiani Fleurier y est présente depuis les origines de la marque. Nous renforçons actuellement notre présence en misant sur la qualité de nos produits et de nos services comme le service après-vente et la restauration des pièces anciennes.
Europe
L’Europe est un ensemble de 28 nations en pleine construction géopolitique. Il faut avoir une vision globale, renforcer les forces de la marque et améliorer les points faibles s’il y a lieu. Se contenter de parler à une population, c’est risquer de perdre les autres.
Nous allons tout mettre en œuvre pour ouvrir des points de vente à Londres, en Allemagne, en Italie et en Espagne.
Christophe Claret
Christophe Claret est l’un des rares patrons horlogers indépendants du secteur. Il gère de front la manufacture qu’il a créée il y a plus de 20 ans et la marque qu’il a fondée en 2009 en appliquant la même recette aux deux : l’innovation.
Chine
Nous produisons une centaine de pièces par an, vendues aux amateurs et collectionneurs en quête d’investissement. Nous n’avons pas de points de vente en Asie continentale. Si le ralentissement de la croissance a effectivement ralenti nos ventes, nous continuons cependant de vendre de nos produits à la clientèle chinoise dans nos points de vente hors Asie.
Moyen-Orient
En février, nous avons participé à la Doha Jewellery & Watches Exhibition, où nous avons vendu plusieurs pièces malgré la conjoncture difficile. Probablement parce que nous avons réalisé deux produits particulièrement adaptés à ce marché : la Mecca et la Layla. Cette dernière est inspirée du modèle Margot, dont l’esthétique a été modifiée pour correspondre aux codes moyen-orientaux, l’utilisation de l’écriture en arabe notamment.
Russie
Nous ne vendons plus sur ce marché. Nous ne sommes donc pas impactés par les variations de change.
États-Unis
Nous avons pris un nouvel agent et organisons régulièrement des événements avec les collectionneurs et les détaillants pour l’aider à développer les ventes.
Europe
Hormis en France, où nous travaillons avec Chronopassion à Paris et Le Salon Horloger à Courchevel, nous sommes peu représentés en Europe. Mais nous allons tout mettre en œuvre ces prochains mois pour ouvrir des points de vente à Londres, en Allemagne, en Italie et en Espagne.
Aux États-Unis, nous avons bâti notre succès sur une stratégie simple et efficace : un client à la fois, une montre à la fois.
François-Henry Bennahmias – Audemars Piguet
Ancien golfeur professionnel, François-Henry Bennahmias rejoint Audemars Piguet en 1994. Après avoir occupé d’importantes responsabilités à l’international au sein du Groupe, il en devient CEO en 2012.
Chine
Nous veillons depuis plusieurs années à la bonne répartition de nos ventes à l’international. Cette stratégie commence à porter ses fruits. N’ayant pas mis tous nos œufs dans le même panier, nous sommes probablement moins sensibles que d’autres aux fluctuations du marché chinois.
Moyen-Orient
L’an dernier, Audemars Piguet a connu une croissance à deux chiffres au Moyen-Orient.
Russie
Nous nous sommes adaptés aux fluctuations des devises, mais la clientèle russe achète de plus en plus localement.
États-Unis
Les États-Unis sont l’un de nos deux principaux marchés depuis 15 ans. Nous avons bâti notre succès sur une stratégie simple et efficace : un client à la fois, une montre à la fois.
Europe
L’Allemagne et le Royaume-Uni sont deux pays européens à fort potentiel. Y ouvrir des boutiques est une étape incontournable de notre stratégie de développement. Ce qui ne veut pas dire que nous ne misions pas sur les autres : la Suisse, la France, l’Italie et l’Espagne sont également des marchés importants sur lesquels nous comptons impérativement.