Dans son documentaire Une vérité qui dérange sur le réchauffement climatique, l’ancien vice-président des Etats-Unis Al Gore fait une déclaration initiale qui pourrait presque passer pour une confession : « Cela fait bien longtemps que je me suis efforcé de faire passer un message et j’ai la terrible impression d’avoir échoué » Pour Marc Frisanco, responsable des questions liées à la propriété intellectuelle auprès du groupe Richemont, le constat n’est pas tellement différent, comme il l’a récemment expliqué dans une conférence tenue à Hong Kong : « J’ai passé vingt ans de ma vie professionnelle à lutter contre la contrefaçon, explique-t-il, et j’en arrive pratiquement à la même conclusion ». Ce n’est d’ailleurs pas sans raisons que l’expert de la deuxième compagnie mondiale du luxe met les deux phénomènes en parallèle.
Une menace généralisée
Si le réchauffement climatique représente en effet une menace mondiale dont les effets sont déjà perceptibles, notamment dans la multiplication des inondations et ouragans dévastateurs qui engendrent l’exode des populations, l’univers de la contrefaçon représente également une crise aux incidences internationales. « Il faut certes reconnaître que la Chine représente le principal pays producteur d’articles contrefaits, poursuit Marc Frisanco. Selon les statistiques de l’an dernier émanant des douanes américaines, les saisies de produits piratés en provenance de Chine on augmenté de 40% pour totaliser 221,7 millions de dollars par rapport à 2007, soit 81% de toutes les saisies portant sur des marchandises en infraction avec les droits sur la propriété intellectuelle. Il n’empêche, en dehors de la Chine, d’autres points du globe comme la région dite des « Triples frontières » qui unit l’Argentine, le Brésil et le Paraguay, ou encore les Emirats arabes unis, et notamment Dubaï, servent de plaque tournante sans risque pour ce type de produits qui se déversent ensuite sur l’ensemble des marchés mondiaux. Sans parler d’Internet qui a joué un rôle crucial dans cette globalisation. »
En d’autres termes, de la même manière que les émissions de CO2 ont dramatiquement augmenté ces dernières années selon une courbe quasi exponentielle, les contrefaçons n’ont cessé de proliférer suivant exactement le même schéma. Autre parallèle à tirer : tout comme le réchauffement climatique affecte l’ensemble des espèces vivant sur terre, la contrefaçon représente une menace pesant sur la quasi-totalité des secteurs économiques, de l’électronique de loisirs à l’industrie du luxe, en passant par les médicaments, les produits alimentaires et même les composants destinés à l’aéronautique. Une grande majorité de pays a pourtant ratifié le Protocole de Kyoto, sans grand effet jusqu’ici. Idem pour la contrefaçon avec un grand nombre d’Etats, dont la Chine, membres à la fois de l’OMC et signataires de l’Accord sur les aspects des droits de la propriété intellectuelle qui touchent au commerce (TRIPS), soit autant de signes de bonne volonté qui tendent toutefois à démontrer que lois et traités sont clairement insuffisants pour s’attaquer au fléau : selon les estimations, les frontières restent perméables à 98% des produits contrefaits.
Le déni comme réaction immédiate
Marc Frisanco n’en tient pas moins à enfoncer le clou : « les avertissements concernant le réchauffement climatique ont été et continuent d’être largement ignorés parce qu’ils dérangent le modèle économique du profit immédiat appliqué dans de nombreuses industries. Dans son documentaire, Al Gore cite Upton Sinclair, romancier et observateur avisé de la société américaine, selon qui il est difficile de faire comprendre quelque chose à un homme dont le salaire dépend précisément du fait qu’il ne le comprend pas ! Le déni est ainsi souvent le principal obstacle au message à faire passer, surtout lorsqu’il est dérangeant. Une vérité similaire s’applique au monde de la contrefaçon, même si l’on veut nous faire croire cyniquement que la piraterie est source d’emplois et de revenus pour des populations entières, comme l’affirme l’homme d’affaires David Tang qui va même jusqu’à prétendre que les produits contrefaits sont des produits « tendances ».
Et Marc Frisanco de conclure : « Certains nouveaux venus dans le monde de la mode surfent d’ailleurs sur cette notion et contribuent à entretenir le mythe selon lequel la contrefaçon est un acte gentiment subversif et totalement inoffensif. C’est exactement ce genre d’idées que véhiculent les contrefacteurs en commercialisant des produits soit disant sans risques et gages de bonnes affaires. Ils vont mêmes jusqu’à fournir aux consommateurs des tableaux comparatifs afin de leur permettre de faire le bon choix en achetant un produit contrefait. Des consommateurs par trop désireux d’être convaincus que ce qui est moins cher est encore trop cher ! »