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Rousseau : l’horlogerie, un symbole politique ?
Histoire & Pièces d'exception

Rousseau : l’horlogerie, un symbole politique ?

mardi, 29 mai 2012
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Christophe Roulet
Rédacteur en chef, HH Journal

“Vouloir est la clé du savoir.”

« Une trentaine d’années passées dans les travées du journalisme, voilà un puissant stimulant pour en découvrir toujours davantage. »

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6 min de lecture

Le 300e anniversaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau, célébré cette année à Genève, incite à l’introspection historique. Le XVIIIe siècle est en effet synonyme d’un formidable essor de l’horlogerie genevoise, offrant quelques clés de compréhension quant à la pensée du philosophe. Explications.

En 2009, Genève commémorait les 500 ans de la naissance de Jean Calvin (1509-1564), théologien français à la base de la Réforme dont les préceptes sont largement à l’origine du développement horloger dans sa cité d’accueil. Trois ans plus tard, c’est une autre grande figure historique de la ville qui donne l’occasion aux Genevois de célébrer. En l’occurrence, la naissance de Jean-Jacques Rousseau en 1712 permet à la cité du bout du lac Léman d’honorer 12 mois durant les multiples talents de cet écrivain, philosophe et musicien qui a marqué de son empreinte les fondements de la République.

Une longue lignée d’horlogers

Mais si Calvin a eu une incidence directe sur l’horlogerie genevoise vu son interdiction faite à la fabrication de « croix, calices et autres instruments servant à la papauté et à l’idolâtrie », obligeant les orfèvres à se reconvertir, tel n’est pas le cas de Jean-Jacques Rousseau. On ne saurait toutefois gommer l’influence sur son schéma de pensée d’une famille peuplée d’horlogers et d’un environnement où la mesure du temps représentait l’essentiel de l’activité. Non que les références horlogères dans les écrits de Rousseau soient des plus explicites, cette source d’inspiration est néanmoins suffisamment palpable pour que certains auteurs se soient risqués à des comparaisons audacieuses.

Né donc à Genève en 1712, Jean-Jacques Rousseau est le fils d’Isaac Rousseau (1672-1747), maître horloger comme son père, David Rousseau (1641-1738), et son grand-père, Jean Rousseau (1606-1684). Eut-il embrassé la profession, Jean-Jacques aurait donc représenté la quatrième génération d’une véritable dynastie de gardiens du temps. La mère du futur penseur, Suzanne Bernard (1673-1712), morte quelques jours après la naissance de son fils, était d’ailleurs elle-même fille d’horloger. Durant les dix premières années de son existence, Jean-Jacques aura donc pour cadre familier l’atelier de son père, revenu en terres genevoises après six ans passés à Constantinople, notamment comme « horloger du sérail » au service du Sultan au palais de Topkapi, fonction de haut rang étant donné l’importance accordée à l’heure des prières. Dix années de bonheur qui seront suivies de nombreuses errances à la suite de la fuite de son père pour échapper à la justice genevoise, un père qu’il ne reverra presque plus.

Atelier d’horloger au XVIIIe siècle à Genève, 1886. Christophe François von Ziegler © Musée d’art et d’histoire, Ville de Genève, inv. no HM 26 / Photo : Maurice Aeschimann
Une « fabrique » en pleine effervescence

L’enfance de Jean-Jacques Rousseau, bercée par la lecture des anciens comme des modernes – Plutarque, Ovide, Molière… – et par le son du violon d’un père bon musicien, a eu pour cadre également une cité en pleine effervescence. La Fabrique genevoise, du nom d’une vaste corporation qui réunissait une multitude d’horlogers, orfèvres, bijoutiers et artisans de tous les métiers annexes, a en effet connu au XVIIIe siècle un essor sans précédent sur la rive droite du Rhône, dans une cité devenue l’un des premiers pôles horlogers au niveau international. Genève était alors un immense atelier où se multiplient les « cabinets » et leurs occupants, les cabinotiers, sorte d’aristocratie ouvrière. En un siècle, la production annuelle de garde-temps sur le territoire passe ainsi de quelque 5’000 pièces à 40’000 montres en or et 45’000 en argent à la veille de la Révolution française.

« La fabrique qui fleurit le plus à Genève est celle de l’horlogerie, précise en 1757 l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Elle occupe plus de 5’000 personnes, c’est-à-dire plus de la cinquième partie des citoyens. » L’Encyclopédie inclut par ailleurs de nombreux articles techniques sur la mesure du temps dont l’auteur n’est autre que Jean Romilly (1714-1796), auteur également de plusieurs perfectionnements en horlogerie et d’un mémoire sur l’échappement des montres présenté à l’Académie des Sciences en 1754. Ami intime de Rousseau, il a entretenu une correspondance avec lui sa vie durant.

Rousseau vend sa montre

Comment faut-il comprendre que Rousseau, fort de cette « culture horlogère », quitte en 1751 « la dorure et les bas blancs », pose son épée et vend sa montre, comme il l’explique dans les Confessions. Aucune antinomie avec sa pensée, selon Frédéric Lefebvre, grand connaisseur du philosophe. « Rousseau ne s’intéresse pas à la fonction de la montre mais il en apprécie le principe, cette régularité qui est pour lui l’image de la sagesse, du bonheur, du gouvernement de soi, développe-t-il dans un article écrit pour La Revue du musée des Arts et Métiers de Paris. Il y a encore la métaphore, très populaire à l’époque, qui compare l’univers, l’homme, la société à une montre, parce que tous sont faits d’éléments qui dépendent les uns des autres. L’aventure de la montre est une des grandes aventures du XVIIIe siècle, et pas seulement un fait de technique. La montre appartient à l’histoire des idées politiques, à l’histoire du Contrat social. »

Pour Frédéric Lefebvre, la théorie du gouvernement dans cette œuvre majeure de Rousseau est la mise en modèle, la synthèse de deux objets historiques et datés : les institutions de Genève, patrie de Rousseau, et une montre à spiral réglant, invention de la fin du XVIIe siècle. La volonté générale du peuple souverain agit comme le régulateur ; le gouvernement, « ministre » du souverain et concentration de la force publique, a la fonction de rouage ; quant à l’État, c’est le ressort moteur. Frédéric Lefebvre : « Comme l’échappement de la montre est à la fois “retardateur” et “régulateur”, frein et rythme, c’est de l’effet combiné du “conflit” et du “concours” de la volonté générale et du gouvernement que “résulte le jeu de toute la machine” politique. Il ne reste plus qu’à reconnaître dans le “législateur” la figure du maître horloger, celui qui fait les plans des montres et des pendules. » Les aléas de l’histoire, enfin, s’expliquent par les frottements qui, à l’époque, n’étaient que très imparfaitement maîtrisés dans les mécanismes horlogers, comme le reconnaissait volontiers Jean Romilly. Rousseau, une nouvelle légende horlogère ?

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