Tank : et Cartier créa la montre de forme

Au début du XXe siècle, la montre-bracelet entame son ascension sur le marché horloger et commence à grignoter les parts de la montre de poche, qu’elle n’égalera cependant qu’en 1930 (chiffres des exportations suisses). Le passage de la poche au poignet implique une recherche esthétique fondamentale qui mènera à de multiples solutions plus ou moins heureuses. Il s’agit essentiellement d’associer une montre, à la base ronde, à un bracelet qui se présente avec un segment droit, pour créer un ensemble harmonieux, ce qui n’a rien d’évident à l’époque. Les attaches, qui doivent assurer la continuité, sont au cœur du problème. Conscient du fait qu’une révolution est en marche, Louis Cartier (1875-1942) s’y attelle avec des atouts maîtres. Non seulement sa qualité de joaillier lui permet d’appréhender la montre-bracelet comme le bijou qu’elle deviendra, mais son flair l’amène à s’associer avec Edmond Jaeger, horloger de talent particulièrement impliqué dans le développement de mouvements miniaturisés.

Un design inédit

C’est en 1917 que naît la Tank, sous la forme d’un prototype qui sera offert, après la guerre, au général John Pershing, commandant du corps expéditionnaire américain en Europe. Il se dit dans la Maison que c’est Louis Cartier en personne qui a fait le parallèle avec le tank Renault sorti la même année. Commercialisée en 1919, elle présente un boîtier carré – l’habitacle du tank – avec, de part et d’autre, des brancards – les chenilles – judicieusement dessinés pour accueillir le bracelet. « Les deux brancards verticaux identiques et disposés en parallèle sont destinés à mettre en valeur la représentation d’un mouvement continu qui ne connaît aucune interruption et se termine naturellement par des angles. Leurs arrondis permettent d’absorber en douceur l’accroche du bracelet », écrit Franco Cologni dans son ouvrage La Montre Tank, paru à la fin des années 1990. Louis Cartier signe alors une création totalement inédite qui contient d’emblée les caractéristiques que l’on retrouvera dans la plupart des modèles jusqu’à aujourd’hui : chiffres romains pour les heures, chemin de fer pour les minutes, aiguilles en acier bleui et cabochon saphir sur la couronne.

Au début des années 1920, la Tank évolue vers le rectangle, notamment à travers la Tank Cintrée à boîtier cambré (1921), la Tank L.C. ou Louis Cartier (1922) et la Tank Allongée (1922), qui engendrera nombre de déclinaisons féminines. Dès lors, la montre va se multiplier sous diverses appellations en oscillant entre le carré et le rectangle. « Les variations de dimensions démontrent de manière irréfutable que la Tank accepte, avec une remarquable souplesse, l’agrandissement comme la diminution, confirmant ainsi la perfection de son équilibre originel », précise Franco Cologni.

Montres d’époque

En outre, tout au long du XXe siècle, la montre Tank répondra à des attentes particulières, dictées par le marché ou la tendance. À titre d’exemples :
• La Tank Chinoise voit le jour dès 1922 alors que le monde occidental se passionne pour l’Orient et en particulier la Chine. Inspirée par les portiques de temple, elle se caractérise par des bords transversaux prolongés qui font écho aux attaches du bracelet. Elle connaîtra une nouvelle interprétation masculine en 1978 et une interprétation féminine en 1979.
• La Tank à Guichets voit le jour en 1928 alors que le marché manifeste de l’intérêt pour les montres à affichage numérique, jugées plus modernes.
• La Tank Réversible voit le jour en 1932 alors que certains clients réclament une montre que l’on peut retourner pour protéger le cadran ou pour afficher une gravure personnalisée. Le modèle repose sur un brevet Cartier-Jaeger. Il servira d’inspiration à la Tank Basculante présentée en 1992, pièce rare – seulement 416 exemplaires seront produits – très recherchée par les collectionneurs.
• Quant à la Tank Must, qui voit le jour en 1977, elle s’inscrit dans la collection délibérément abordable des Must de Cartier. Dotée d’un boîtier en vermeil – argent plaqué or – et de cadrans en laque de différentes couleurs, elle sera particulièrement plébiscitée par les jeunes.

Collection contemporaine

Aujourd’hui, la collection Tank se décline en cinq modèles, à commencer par la Tank Louis Cartier, très fidèle au modèle historique de 1922 qui relevait clairement du style appelé plus tard « Art déco ». La Cintrée, lancée un an plus tôt, a donné naissance, en 1989, à la Tank Américaine, cambrée comme l’originale mais plus carrée, plus massive. C’est la première montre Cartier dotée d’un boîtier à la fois cambré et étanche.

Avec la Tank Française de 1996, l’horloger-joaillier signe une évolution des plus novatrices. Conçue comme un tout, sur un bracelet métallique auquel elle est le plus souvent associée, elle arbore un boîtier incurvé à brancards terminés en biseau, inscrit « dans le cercle décrit par le bracelet, comme si le boîtier n’était plus qu’un des nombreux maillons qui, se connectant l’un à l’autre, contribuent à donner forme à l’objet », explique Franco Cologni. Plus que jamais, on peut parler de «   bracelet-montre » plutôt que de «  montre-bracelet ».

Plus récemment, la collection s’est enrichie en 2012 de la Tank Anglaise, modèle épuré qui se distingue principalement par l’intégration de la couronne dans le brancard de droite, et en 2013 de la Tank MC, pour « Manufacture Cartier ». Pour son lancement, cette dernière a intégré le premier mouvement Manufacture de la Maison, le calibre automatique MC 1904 datant de 2010, dans un boîtier résolument masculin à fond saphir.