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Temps et durée ne partagent pas le même cadran
Points de vue

Temps et durée ne partagent pas le même cadran

mardi, 25 avril 2017
Par Luc Debraine
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Luc Debraine

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5 min de lecture

La complication « L’heure impatiente » d’Hermès renvoie à une autre complication, plus philosophique : la distinction entre temps vécu et temps réel.

C’est l’un des gestes quotidiens que je préfère : retourner le boîtier de ma petite Reverso Jaeger-LeCoultre. La fonction, on le sait, protège le cadran de chocs éventuels. Mais je cherche une autre protection : celle qui m’affranchit du temps qui passe. Une simple rotation et me voilà sans possibilité de regarder les aiguilles. La ronde des minutes et des heures s’efface au profit d’une durée plus intérieure, plus subjective, plus conviviale aussi. C’est une politesse que je m’accorde à moi-même et aux autres. Je prends mon temps, enfin.

J’aime les montres qui donnent un air plus aimable au dieu Chronos. Hermès, il y a quelques années, a sorti un modèle Arceau doté d’une complication métaphysique, car au-dessus des lois imparables de la physique : Le temps suspendu. Un poussoir permet de figer les aiguilles de part et d’autre de midi. Une position habituellement inconnue des cadrans, aberrante autant qu’ironique, comme un pied de nez adressé au mouvement perpétuel. C’est une complication vaine, bien sûr, mais délicieuse.

Hermès - Slim d'Hermès Heure Impatiente copyright Joel Von Allmen
Hermès - Slim d'Hermès Heure Impatiente © Joel Von Allmen
Un absolu mathématique

Hermès a présenté une autre innovation singulière à la récente foire Baselworld : L’heure impatiente. Ce modèle de la collection Slim propose un sous-cadran qui permet de fixer l’heure d’un événement à venir, attendu avec impatience. Soixante minutes avant que celui-ci arrive, une petite aiguille entre en action sur un compteur-sablier. Tic-tac, tic-tac, la pression monte, l’excitation aussi. La complication offre le contraire de la précédente : au lieu de suspendre le temps, elle le surprend en pleine action et l’étend comme un élastique, lui d’habitude rigide comme un vieux démiurge sur l’Olympe. Arrivée l’heure attendue, une note au timbre discret marque la fin du compte à rebours. Elle est longue et unique.

Nous voici aux prises avec une autre complication, cette fois philosophique : la différence entre le temps et la durée. Le temps suspendu ou L’heure impatiente ont beau être décrits comme des fantaisies, ils marquent une distinction entre deux temps, l’un intérieur et subjectif, l’autre extérieur et objectif. Une distinction depuis toujours contestée, amendée ou raffinée. Il se peut même qu’elle n’existe pas ou qu’il s’agisse d’un autre phénomène, encore inconnu. Albert Einstein notait : « Placez votre main sur un poêle pendant une minute : cela vous semble durer une heure. Asseyez-vous une heure auprès d’une jeune fille : cela vous semble durer une minute. C’est cela, la relativité. » Reste que le temps d’Einstein est scientifique, divisible, irréversible, extérieur à l’être. C’est un absolu mathématique.

Il n’y aurait pas qu’un temps, mais plusieurs. Le mouvement répétitif de la montre, la durée de la conscience, d’autres temps encore. Tous coulent ensemble dans un devenir universel.
Science et conscience

Le temps du philosophe Henri Bergson, qui s’est opposé à Einstein dans de fréquentes correspondances, est vécu, indivisible, intérieur à l’être. Pourtant, Henri Bergson disait à peu près la même chose que l’inventeur de la relativité générale : « Si je veux me préparer un verre d’eau sucrée, j’ai beau faire, je dois attendre que le sucre fonde. Ce petit fait est gros d’enseignements. Car le temps que j’ai à attendre n’est plus ce temps mathématique qui s’appliquerait aussi bien le long de l’histoire entière du monde matériel, lors même qu’elle serait étalée tout d’un coup dans l’espace. Il coïncide avec mon impatience, c’est-à-dire avec une certaine portion de ma durée à moi, qui n’est pas allongeable ni rétrécissable à volonté. Ce n’est plus du pensé, c’est du vécu. »

L’intelligence contre l’intuition, la physique contre la conscience, la science contre la philosophie : tout opposait Einstein et Bergson. Chacun considérait le temps de l’autre comme une vue de l’esprit. Presque un siècle plus tard, une plus grande tolérance est de mise. Il n’y aurait pas qu’un temps, mais plusieurs. Le mouvement répétitif de la montre, la durée de la conscience, d’autres temps encore. Tous coulent ensemble dans un devenir universel. Reste que la durée définie par le philosophe Bergson séduit toujours. Elle est faite d’intuition, de mémoire, de liberté, d’élan vital. La durée peut certes se définir comme l’espace de temps qui s’écoule entre deux limites, un début et une fin. Mais il s’agit toujours d’un temps objectif, réel et mesurable. La durée de Bergson est une expérience du temps, un présent qui se contracte ou se dilate en fonction du vécu de la conscience.

Comme lorsqu’on attend l’être aimé et que les aiguilles semblent presque à l’arrêt. Ou lorsqu’elles tournent à une vitesse folle dans d’autres situations. C’est ce que suggèrent, pour mieux nous plaire, des montres qui sont en réalité loin d’être des fantaisies : le temps et la durée ne sont pas une seule et même chose. Tant mieux !

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