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Economie

Temps occidental ou temps japonais : la ligne ou le point ?

mercredi, 20 mai 2009
Par Cyrille Vigneron
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Cyrille Vigneron

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6 min de lecture

Avant d’habiter au Japon, je ne m’étais jamais questionné sur le temps en tant que concept culturel. Le temps était une évidence: il passait, inexorablement. Trop lent les jours de pluie, trop rapide les jours de bonheur, il passait. Nous menant de la Création du Monde jusqu’à l’Apocalypse, il passait. Que nous ayons besoin de le tuer pour échapper à l’ennui ou qu’il nous tue à petit feu, il passait. Comme nous le rappellent les devises des cadrans solaires : « Vulnerant omnes, ultima necat », elles blessent toutes, la dernière tue ! Il passait, et nous aussi.

Cette évidence a été remise en cause au pays du Soleil levant. Là, on ne le vit pas de la même manière qu’en Occident ; on ne le pense pas de la même manière. Car la perception du temps est aussi et avant tout une construction intellectuelle qui dépend de la culture qui l’exprime. Si le temps occidental est objectif, linéaire et continu, le temps japonais est subjectif, périodique, cyclique et surtout instantané. On y vit l’instant présent, inscrit dans un cycle fait de perpétuels recommencements. Le temps n’y est pas une ligne droite mais un point inscrit dans un cercle. Différence subtile qui change la lecture du monde.

Au Japon, tout coexiste

Ce rythme cyclique est ponctué par une multitude de rituels laïcs ou religieux qui aident à le ressentir intensément. Le plus spectaculaire d’entre eux est certainement la célébration des cerisiers en fleurs, début avril (précisément à l’heure où j’écris ce texte), période de ferveur collective où l’on pique-nique sous les arbres (Hanami) en appréciant la beauté fugitive des pétales emportés par la brise dans la douce ivresse des bières bues sans modération. On célèbre également les feuilles rouges, le nouvel an, le jour des filles, le jour des garçons… Autant d’occasions de ressentir ce rythme, même dans une civilisation hyperurbaine qui s’est affranchie des saisons, chauffée en hiver et rafraîchie en été, éclairée la nuit comme le jour, alimentée quotidiennement en mangues et nouvelles fraîches, en statistiques elles-mêmes corrigées des variations saisonnières.

 

Apprécier l’instant présent tout en sachant que rien ne dure.

Cette perception de l’instant et des cycles imprimée dès le plus jeune âge donne aux Japonais la conscience intime de l’impermanence, de la fragilité de la vie, de sa constante destruction et de sa régénération. Apprécier l’instant présent tout en sachant que rien ne dure. Préparer et réparer. Détruire et reconstruire. Puisque tout est périssable, puisqu’il faut tout réinventer en permanence, l’attention est portée à la conservation de l’esprit plus qu’à celle des pierres. On détruit des temples tous les trente ans pour les rebâtir dans l’esprit de ses fondateurs. Tokyo est en chantier permanent. On y rase des quartiers entiers pour les refaire à neuf. Mais les tours ultramodernes continuent d’abriter des restaurants survivant d’une autre époque, avec portes coulissantes et tatamis, froufrous de kimonos et microjardins aux délicieuses douceurs de mousse délicatement posée sur une dalle de béton armé jusqu’aux dents. On y est hors la ville et hors du temps mais bien à Tokyo. Au Japon tout coexiste, tout cohabite.

Ce temps japonais, et de manière générale extrême-oriental, est bien adapté aux défis du XXIe siècle, dont le centre de gravité se construit entre Tokyo, Seoul, Shanghai et Hong Kong. Le soleil du nouveau monde se lève à l’est, entre l’Empire du milieu, le pays du Matin calme et celui du Soleil levant. Il s’y lève très tôt et va très vite.

Oublier la certitude de la ligne droite

Plus ce monde va vite et plus il nous impose, à nous aussi, de vivre dans l’instant et l’impermanence. Les mutations permises par les outils de communication et générées par la technologie deviennent tellement rapides que même la prospective devient difficile. Plus on vit avec son temps et moins on sait imaginer l’avenir. Paradoxe qui fait peser une nouvelle responsabilité sur les gouvernements qui ont pour mission d’éviter la faillite généralisée, le réchauffement de la planète et l’épuisement des ressources (même James Bond a des missions plus simples) ; sur les chefs d’entreprises qui doivent préparer un avenir qu’ils ignorent ; sur les parents qui doivent donner aujourd’hui à leurs enfants l’éducation qui les prépare au mieux au monde qui les attend mais qui, précisément, est inconnu et imprévisible.

Comment faire si ce n’est justement en augmentant leur tolérance à l’incertain, en leur apprenant à jouir du présent tout en construisant l’avenir, à se préparer et à se réparer ? Savoir qui ils sont et d’où ils viennent mais sans craindre d’ignorer où ils vont. Retrouver le plaisir du voyage avant celui de la destination. En d’autres termes, en oubliant la certitude de la ligne droite pour les aider à retrouver l’impermanence du point et la beauté toujours renouvelée du cercle ?

A propos, qu’indiquent les aiguilles de nos montres, quand elles ne sont pas « de forme » ? Des points, à l’intérieur d’un cercle qui symbolise un cycle. La boucle est-elle bouclée ? Pas si simple. Les ados ne portent plus de montres. Leur balladeur vissé sur les oreilles, ils s’en vont au vent mauvais qui les emporte de ci de là, pareils à la feuille morte, chattant en multiplex dans une langue bizarre (wr r u? c u at hm. Ks.). Au fond, est-ce bien eux qui ont le plus besoin de recyclage ?

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