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Economie

« Tirez les premiers, messieurs les Anglais ! »

vendredi, 15 juillet 2016
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Christophe Roulet
Rédacteur en chef, HH Journal

“Vouloir est la clé du savoir.”

« Une trentaine d’années passées dans les travées du journalisme, voilà un puissant stimulant pour en découvrir toujours davantage. »

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7 min de lecture

Après un recul des exportations horlogères de 9,5 % sur cinq mois, le Brexit est encore venu ajouter un facteur d’incertitude pour les horlogers suisses. D’autant que le Royaume-Uni est un marché qui a fait preuve jusqu’ici d’une magnifique croissance et d’une belle résilience aux troubles de ce début d’année.

On leur avait déjà demandé une première fois s’ils voulaient réellement faire partie de l’Europe. Et les Anglais avaient massivement répondu par l’affirmative, à raison de 67,2 %, en… 1975. Quelque 40 ans et des montagnes de concessions obtenues plus tard, ils ont cette fois dit « non », sanctionnant de facto la sortie du Royaume-Uni d’une Union européenne volontiers accusée de toutes les tares. Au-delà de considérations purement politiques, qui ne manquent toutefois pas de faire froid dans le dos étant donné l’ingénuité, la pleutrerie et la verve mensongère dont ont fait preuve les ténors de la vie publique britannique, ce sont les retombées économiques qui, aujourd’hui, suscitent les interrogations les plus pressantes. Sans grandes perspectives de réponses à court terme. Et pour cause, le Brexit risque bien d’être un processus extrêmement long. Il va d’abord falloir que le successeur de David Cameron se décide à activer le fameux Article 50, synonyme de sécession du Royaume-Uni et de début des négociations qui permettront de dénouer les milliers de dispositions légales et juridiques qui l’unissent à l’UE. Quant à la suite, elle ne sera guère plus rapide puisqu’il s’agira de négocier de nouveaux accords, notamment commerciaux, entre l’Union et le Royaume-Uni, si tel est encore bien le nom d’un pays dont les nations sont aujourd’hui prêtes à s’entre-déchirer.

Un « facteur d’incertitude » de plus

Du côté des Bourses, après les premiers coups de boutoir, les cotations semblent avoir pour l’essentiel tenu le choc. Plus inquiétant, c’est la pierre qui commence à chanceler outre-Manche. À peine deux semaines après les résultats du référendum, six parmi les plus gros gérants de fonds de placement dévolus à l’immobilier britannique annonçaient avoir gelé le remboursement de parts. En d’autres termes, pour des questions de liquidités, ces six maisons, qui gèrent pas moins de 15 milliards de livres placées dans de l’immobilier commercial, ont annoncé ne plus pouvoir rembourser leurs clients qui voudraient sortir de leurs fonds, du moins dans l’immédiat. Avec les craintes d’une récession évoquée par les économistes, sans parler de la City, qui va probablement perdre son passeport bancaire européen, véritable sésame financier, les particuliers sont de plus en plus nombreux à redouter que les valeurs des bureaux et des centres commerciaux ne s’effondrent. Crainte justifiée ? On se souviendra que la crise des subprimes, celle qui a fait vaciller la planète entière, a débuté le 9 août 2007 lorsque la banque BNP Paribas annonçait la suspension du remboursement sur trois de ses fonds investis dans des produits de titrisation adossés à des actifs immobiliers américains…

Avec le Brexit, c’est une période d’incertitude qui s’ouvre et qui vient s’ajouter à d’autres facteurs d’insécurité.
Jean-Daniel Pasche

En tout état de cause, les perspectives pour la Suisse ne sont pas des plus roses, comme l’explique Bakbasel, l’institut de recherches économiques de l’université de Bâle : à court terme, il faut s’attendre à une détérioration des perspectives de croissance pour le pays, qui, à plus longue échéance, devrait également pâtir d’un affaiblissement structurel en Europe. Rien de bon pour les horlogers suisses, qui voient les oiseaux de mauvais augure s’accumuler au-dessus de leurs têtes. « Avec le Brexit, c’est une période d’incertitude qui s’ouvre et qui vient s’ajouter à d’autres facteurs d’insécurité, expliquait Jean-Daniel Pasche, Président de la Fédération de l’industrie horlogère suisse, au lendemain du “leave”. On peut en effet s’attendre à une baisse de croissance au Royaume-Uni, donc à des pertes d’emploi susceptibles d’affecter la consommation de produits horlogers. À ce stade, il est certes difficile d’être plus précis, mais dans l’immédiat c’est toujours et encore la force du franc qui représente le facteur le plus préoccupant. »

« Les prix ont progressé trop vite »

Le Royaume-Uni est en effet loin d’être une entité négligeable pour les gardiens du temps helvétiques avec une 7e place dans la liste de leurs principaux marchés d’exportation. Qui plus est, la croissance y a été formidable ces dernières années avec une valeur des montres suisses expédiées dans le pays qui a doublé à CHF 1,2 milliard entre 2010 et 2015. L’an dernier, la hausse a encore été de 19,3 % par rapport à 2014, contre un repli de plus de 3 % enregistré dans l’ensemble des destinations horlogères. Ces bonnes dispositions ont encore trouvé confirmation entre janvier et mai derniers, une période stable pour les exportations helvétiques vers le Royaume-Uni pendant que l’ensemble des marchés plongeait de 9,5 %. Le Brexit a-t-il sonné le glas de cette belle envolée. Les cours de change, l’actuelle bête noire de la profession, risque en effet de laisser des traces. Alors que la livre sterling cotait à plus de CHF 1,50 à fin 2015, et encore à 1,43 à la veille de la votation, elle a dévissé depuis, plongeant à 1,25 en l’espace de deux semaines, soit un accès de faiblesse de 13 %.

 

Pour l’ensemble de la profession, le prix moyen des montres a progressé trop rapidement.
Cyrille Vigneron

Cette tendance pose à nouveau la lancinante question : ajustement des prix ou ajustement des marges, en sachant, comme le déclarait récemment le nouveau patron de Cartier, Cyrille Vigneron, que, « pour l’ensemble de la profession, le prix moyen des montres a progressé trop rapidement ». Dans ces circonstances, on pourrait presque voir le Brexit comme une énième piqûre de « rappel à la réalité après une montée en gamme dictée par des attentes toujours plus fortes pour des pièces toujours plus chères et plus compliquées », toujours selon les termes de Cyrille Vigneron. Les analystes de Baader Helvea ne cachent en tout cas pas leur sentiment mitigé envers l’industrie du luxe en général, un secteur « très cyclique », ni leurs doutes quant aux capacités des Maisons horlogères à faire face aux nouvelles donnes du marché : « Déjà, après l’abandon du taux plancher du franc suisse et lors du ralentissement chinois, les professionnels de la branche se sont montrés incapables d’adapter leur modèle et ont été forcés de compenser la baisse des marges sur leurs propres comptes. » Avec les répercussions que l’on sait sur la sous-traitance.

« Tirez les premiers, messieurs les Anglais ! » aurait crié le lieutenant des gardes françaises lors de la bataille de Fontenoy en 1745, selon la description que Voltaire en a faite. Trois siècles plus tard, les Britanniques ont ferraillé à nouveau. Les tout premiers à le faire sur l’Union européenne. Dans ces circonstances, il eût été étonnant de ne pas sentir le vent du boulet !

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