Installé dans une jolie pièce qui donne sur le jardin et qui tient lieu de salle de réunion, Laurent Besse précise : « Nos formations et nos capacités nous permettent de recevoir une personne qui vient avec une idée, mais qui n’a rien d’autre. Nous pouvons la développer, créer un mouvement, le construire, le produire. Et, s’il le faut, nous pouvons aussi assurer la production des montres, gérer l’ensemble et lui livrer un garde-temps terminé qu’il n’aura plus qu’à vendre. Mais attention, pour cela, il faut que nous soyons séduits par l’idée, qu’elle nous apporte quelque chose, intellectuellement parlant, que nous puissions sacrifier à notre passion pour la belle horlogerie, les complications intelligentes et les solutions techniques innovatrices et intelligentes. En d’autres termes, même s’il est évident que chacun doit gagner sa vie, nous ne sommes pas là pour « faire du fric » en développant n’importe quoi. Quand on vient me présenter des idées ou des dessins de bric et de broc qui ont été « pompés » à gauche et à droite, je n’entre même pas en matière ». Le propos à l’avantage d’être très clair. Dans l’esprit de Laurent Besse et de son complice Manuel Spöde, être artisans ce n’est pas accepter n’importe quoi.
« Ramer » pour arriver
« Les Artisans Horlogers » développent leur art tout au début de la « Combe des enfers ». Cet endroit à l’appellation un peu sinistre, petite vallée encaissée sise à la sortie du Locle dans le Jura neuchâtelois, n’a pourtant rien de l’enfer pour les clients de Laurent Besse et Manuel Spöde. Au contraire, c’est une sorte de paradis dans lequel des marques en panne de créativité ou en manque de moyens techniques viennent faire leur marché de belles spécialités horlogères. Dans la vieille maison entourée d’un parc magnifique se décident ainsi des créations qui font ensuite l’admiration des collectionneurs et le bonheur des marques.
S’ils sont aujourd’hui sereins et tranquilles à la tête d’une superbe entité de 18 collaborateurs, les deux créateurs de la société ont dû « ramer » ferme pour y arriver. Ainsi Laurent Besse. Citoyen français, l’ingénieur qu’il est a fait ses classes dans l’Hexagone. Après sa scolarité, il entre à l’école d’horlogerie de Besançon où il acquiert son certificat d’horloger complet, rehaussé d’un brevet de formation supérieure en microtechnique. Fort de cette solide formation, il vient travailler en Suisse, d’abord à la Nouvelle Lémania, où il a fonctionné en qualité d’ingénieur de développement, avant de rejoindre le groupe Richemont, plus précisément les Manufactures VLG, à Neuchâtel, où opère la cellule de recherche et développement du groupe sous la direction d’Eric Klein.
Parcours croisé
Il incorpore ensuite Conseil Ray, à La Chaux-de-Fonds, pour y développer un mouvement mécanique pour Progress Watch, le calibre 11 lignes ½ appelé 152. Quelques temps plus tard, la société Conseil Ray passait dans le giron de Progress Watch, elle-même rachetée quelques mois plus tard. En bref, la valse de changements de propriétaire. C’est là, toutefois, que Laurent Besse a rencontré Manuel Spöde.
Ce dernier provient d’un tout autre horizon. De formation commerciale, il a fait du sport au niveau professionnel en triathlon. Puis, en 1998, il se lance dans l’horlogerie et effectue une formation d’horloger au Wostep. Il est ensuite engagé dans un bureau de recherche et y développe, en qualité d’horloger prototypiste, un calibre pour Indtec ainsi qu’un calibre tourbillon. Lorsque son entreprise est vendue à Progress Watch, son patron lui demande de reprendre la direction de la société. C’est ainsi qu’il croise le chemin de celui qui allait devenir son complice artisan.
Dépôts de brevets à la clé
Après quelques temps, les deux compères, qui privilégient la liberté d’esprit, décident d’éteindre la lumière, de liquider les petites sociétés qu’ils géraient dans le giron de Progress Watch et de prendre le large. Laurent Besse part chez Zenith et Manuel Spöde chez Technotime. La séparation aura duré 1 an et demi. A la fin de cette période, Progress Watch passée dans d’autres mains, ses nouveaux propriétaires leur demandent de revenir. Ils disent oui. Laurent Besse dirige la cellule recherche et développement, Manuel Spöde le marketing et les ventes. Mais, après deux ans, ils prennent à nouveau leurs cliques et leurs claques et se décident à fonder « Les Artisans Horlogers ». Nous sommes alors en 2004.
Ils se souviennent : « Nous avons commencé par engager deux personnes car nous avions quelques mandats. Mais nous avons vite grandi puisque nous sommes 18 collaborateurs aujourd’hui. Nous faisons du private label. Dans notre domaine global, nous n’avons pas de concurrence. Nous faisons des développements sans avoir de marque en propre parce que nous avons compris que nous ne pouvions pas à la fois développer des produits pour des tiers et exploiter notre propre marque, c’est incompatible. Nous faisons tout, du module additionnel à la montre complète. Se livrer à ce genre d’exercice mène forcément à déposer des brevets. Nous avons soit des brevets que nous déposons au nom des clients, soit nous les déposons à notre nom. Cela dépend de l’interlocuteur et des séries de pièces produites. Et puis, nous avons aussi des brevets génériques qui nous appartiennent et que nous pouvons utiliser dans divers développements. Il faut en effet savoir que nous utilisons 30 % de notre temps de recherches à travailler pour notre propre compte afin de trouver des pistes à breveter. Enfin, nous avons trouvé un partenaire avec lequel nous allons développer nos propres mouvements que nous pourrons donc vendre ». Il y a peut-être bientôt matière à faire quelques achats intéressants du côté du Locle !