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Un échappement qui « balance »
Regards de connaisseurs

Un échappement qui « balance »

mercredi, 21 juin 2017
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Timm Delfs
Journaliste indépendante

“À l’inverse d’une montre, un cadran solaire ne s’arrête jamais.”

Journaliste indépendant basé à Bâle, Timm Delfs gère la Zeitzentrale, un magasin qui vend toute sorte d’instruments de mesure du temps. Son amour « horloger » : les cadrans solaires.

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6 min de lecture

Il y a déjà eu de nombreuses tentatives pour remplacer le traditionnel échappement à ancre suisse vieux de 200 ans, sans réel succès. Mais l’espoir reste de mise : l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) vient de mettre au point un oscillateur d’un genre nouveau très prometteur.

La mairie de Neuchâtel, nouvellement restaurée, accueille deux pendules dignes du plus grand intérêt dans le hall du premier étage jouxtant la salle du Conseil. L’une d’entre elles est une pendule historique réalisée par le maître horloger Matthias Hipp (1813-1893). Depuis 1876, elle trône majestueusement en ces lieux, utilisée comme référence pour la mise à l’heure de toutes les horloges publiques de la ville. Il s’agit d’une pièce imposante dotée de son pendule, logée dans une armoire vitrée. Remontée électriquement à intervalles réguliers, elle est dotée d’un système complexe permettant de générer une impulsion électrique à chaque minute. Allemand d’origine, Matthias Hipp est venu en son temps à Neuchâtel afin d’y fonder son propre atelier. En raison de ses multiples inventions liées à l’électricité, on lui a volontiers donné le nom d’« Edison suisse ».

Le professeur Simon Henein et « son horloge » de la mairie de Neuchâtel. © Alain Herzog, EPFL
Un système à articulation flexible

Vis-à-vis de cette horloge, on découvre une cloche en verre qui abrite une deuxième pièce, de dimension plus réduite celle-là, qui s’apparente davantage au style « neuchâtelois ». Il s’agit toutefois d’une réalisation en laiton lourd et acier dotée de son poids, lequel pend en dessous d’une tablette en granit massif sur laquelle est posée l’horloger afin d’éviter toute vibration. Son cadran principal arbore une longue aiguille des secondes qui effectue sa ronde de manière calme et régulière, sans aucun à-coup. Un second cadran pour les heures et minutes est positionné en dessous, d’une taille plus réduite en rapport à l’importance mineure de ces indications.

Le plus frappant dans cette horloge est néanmoins à découvrir sur le dessus. Il s’agit d’un dispositif aux mouvements hypnotiques, difficiles à décrire, dans la mesure où ils sont circulaires mais sans effectuer de rotation en tant que telle. Des mouvements que l’on pourrait comparer à ceux d’une personne bougeant ses hanches de manière plus ou moins circulaire pour faire tourner un cerceau autour de sa taille. Ce dispositif mobile est usiné à partir d’un seul bloc en acier très « élastique », tenu par de fins ressorts à lame donnant à la partie extérieure la liberté nécessaire pour bouger dans deux directions à angle droit l’une de l’autre. En combinant ces deux vecteurs, cela donne une ellipse ou un cercle. On appelle cette liberté d’évoluer dans n’importe quelle direction sur un seul plan « isotropie », d’où le nom d’IsoSpring donné à ce système inventé par le professeur Simon Henein et son équipe d’ingénieurs de l’InstantLab, laboratoire neuchâtelois de l’EPFL.

Un poids suspendu à une tige élastique oscillant dans toutes les directions démontre un comportement similaire au système IsoSpring. Au-dessus, le mécanisme à bascule. © EPFL

Les propriétés des matériaux et l’épaisseur des ressorts à lame ont été choisies pour que les oscillations répondent à une fréquence donnée sans considération de la force des impulsions énergétiques, comme un balancier isochrone traditionnel. Le bloc de métal qui forme l’IsoSpring est ainsi dit « à articulation flexible » pour combiner ces deux fonctions au sein d’un même élément usiné d’une seule pièce. En conséquence, l’IsoSpring est dépourvu de charnière et ne nécessite aucune lubrification. De tels composants seront certainement de plus en plus utilisés dans l’horlogerie du futur. En guise d’exemple, on peut déjà citer celui que Patek Philippe a intégré dans sa dernière Aquanaut Travel Time Ref. 5650, qui combine bascule et ressort.

Si l’impulsion sur une sphère maintenue par trois tiges élastiques est donnée par la pointe du doigt, elles va osciller autour de son centre quelle que soit sa position. © EPFL
Bientôt en montre-bracelet

Pour entretenir les oscillations circulaires de l’IsoSpring, il est nécessaire de le relier au train de rouage qui meut les aiguilles. De manière surprenante, en comparaison des échappements traditionnels, la solution proposée semble plutôt simple. Elle consiste en une bascule dont la fente est porteuse d’une cheville mobile, elle-même fixée à la partie oscillante de l’IsoSpring. Comme ce dernier se meut sur un plan horizontal, l’axe de la bascule doit donc être vertical. Dans la mesure où celle-ci tourne en cercles parfaits, la cheville logée dans sa fente a toute latitude pour décrire des mouvements circulaires dont la taille et la forme sont déterminées par la longueur de la fente et les limitations de l’IsoSpring lui-même. Si l’énergie est faible, l’ellipse ou le cercle qui en résultent seront de petite taille ; si l’énergie est plus importante, IsoSpring va décrire des formes de plus grande ampleur. Mais grâce à ses propriétés isochroniques, la vitesse restera immanquablement constante. « En fait, la déviation maximale de l’IsoSpring est d’une seconde par jour », explique Simon Henein.

Simon Henein et son équipe entourant leur innovation. © Alain Herzog, EPFL

En regardant les mouvements hypnotiques du régulateur IsoSpring, une question s’impose immédiatement quant à savoir si un tel système peut fonctionner dans une montre-bracelet. Une solution improbable si l’on songe que l’horloge qui en est équipée doit être protégée de tout choc et positionnée de manière rigoureusement horizontale. « Nous avons bien sûr pris ces contraintes en considération, poursuit Simon Henein avec un large sourire. Nous sommes déjà en train de travailler sur une version qui est parfaitement insensible à sa position. » Et de pointer un dispositif fait d’une sphère en métal et d’un oscillateur, sphère tenue par trois composants élastiques sur son « équateur » et dotée d’une cheville émergeant de son pôle supérieur. « Vous voyez, si je donne une impulsion sur cette cheville, la sphère bouge autour de son centre de gravité, faisant dessiner une ellipse à la pointe de la cheville. La gravité ou l’orientation de ce dispositif n’influencent pas la manière dont la sphère oscille. Il nous reste juste à réduire les dimensions. » Il est fort probable que la miniaturisation de l’IsoSpring demandera l’utilisation de nouveaux matériaux comme le silicium et la mise en œuvre de technologies de type LiGA. Mais là où il devrait y avoir le moins de problème, c’est pour trouver la manufacture prête à se lancer dans l’aventure. L’EPFL est soutenue par quelques grands noms de l’horlogerie comme Richemont ou Rolex. Sans oublier que Simon Henein est actuellement détenteur de la chaire Patek Philippe de l’École.

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