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Une année escargot
Economie

Une année escargot

vendredi, 30 décembre 2016
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Christophe Roulet
Rédacteur en chef, HH Journal

“Vouloir est la clé du savoir.”

« Une trentaine d’années passées dans les travées du journalisme, voilà un puissant stimulant pour en découvrir toujours davantage. »

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7 min de lecture

Après 18 mois, le ralentissement horloger est devenu une amère réalité. Celle-ci se manifeste par des bénéfices en berne et des licenciements. Bonne nouvelle toutefois, les Maisons semblent avoir troqué leur tapis volant pour le plancher des vaches. Un terrain plus sûr…

En cette fin d’année, les invectives volent bas. Normalement, l’arrivée de la Saint-Sylvestre est synonyme de liesse et de congratulations. Une période où il est de bon ton de valoriser les efforts fournis pour mieux encourager ceux à venir. Rien de tel en ce mois de décembre 2016. À l’heure du bilan, la critique fuse, acerbe et acrimonieuse. Critique contre les fournisseurs, incapables d’assurer un travail bien fait ; critique contre les détaillants, paralysés par des stocks pléthoriques ; critique contre les clients, versatiles et dédaigneux ; critique contre les marques, soupçonnées d’entretenir le marché gris ; critique, enfin, contre les patrons à courte vue, trop vite envoûtés par le chant des sirènes, ligotés comme Ulysse à un mât de cocagne aujourd’hui décrépi. De fait, l’horlogerie est en panne. Il suffit d’observer la courbe descendante des exportations du secteur depuis 18 mois pour s’en convaincre. Une courbe beaucoup plus pentue que d’aucuns le redoutaient. La logique veut donc que l’on cherche le(s) coupable(s).

D’objet trivial il y a encore 50 ans, la montre qui fait tic-tac est devenue un vecteur d’émotions, symbole héréditaire autant qu’identitaire.

Au niveau factuel, cette quête en responsabilité ne pose pas de véritables problèmes. Inutile en effet de s’appesantir sur les grandes tendances économiques du moment. De l’atonie conjoncturelle aux pertes de change en passant par l’effondrement de Hong Kong, tout a déjà été scruté, analysé, voire décrié. Mais de tels soubresauts ne sont pas rares dans la longue histoire horlogère. Pour avoir déjà affronté des trous d’air autrement plus sévères, on aurait pu croire les gardiens du temps nettement mieux immunisés aux virus des marchés. Combien de fois le secteur ne s’en est-il pas sorti avec les honneurs si ce n’est avec panache ? Il n’est que de penser aux récentes affres des subprimes suivies d’une marche horlogère triomphale à travers le monde. Mais aujourd’hui, les trompettes se sont tues. Les habits d’apparat ne leurrent plus personne. Et l’on en vient à parler d’une crise potentiellement aussi dommageable que celle du quartz à la fin des années 1970, vu l’incapacité des horlogers helvétiques à avoir relevé le défi de la montre connectée. En d’autres termes, on mélange tout et personne n’en sort indemne. Est-ce grave, docteur ?

Le vertige des cimes

Probablement, mais pas pour les raisons que l’on attribue traditionnellement aux revers commerciaux. N’entend-on pas dans cette noirceur ambiante des professionnels éclairés s’étonner que l’on parle de crise ? Pire encore, n’est-il pas surprenant que l’horlogerie se réveille en ces jours de Noël avec une telle « gueule de bois » après avoir éprouvé le vertige des cimes il n’y a même pas un lustre ? Autant dire que le réveil est brutal. Mais aurait-il pu en être autrement ? Après avoir réussi l’exploit de sauver une montre mécanique pourtant vouée aux gémonies à la fin du siècle dernier, les Maisons de la branche ne se sont pas arrêtées en si bon chemin. Les yeux rivés sur le sommet de la pyramide, là où les marges opérationnelles sont les plus juteuses, elles n’ont eu de cesse de faire entrer leurs garde-temps dans le temple du luxe. D’objet trivial il y a encore 50 ans, la montre qui fait tic-tac est devenue un vecteur d’émotions, symbole héréditaire autant qu’identitaire. En un mot, un produit d’exception susceptible d’engendrer toutes les folies, du moins pécuniaires.

L’électronique fait office de clocher universel tandis que l’esthète arbore à son poignet un garde-temps qui, souvent, surpasse de loin la valeur de sa voiture.

Pourquoi se priverait-on de faire rêver lorsque le public en redemande et que les terres de conquête semblent ne connaître aucune frontière, surtout vers l’est. Durant une bonne décennie, les montres sont ainsi devenues plus techniques, plus compliquées, plus exclusives, plus grandes, plus chères, plus… Comme si l’horlogerie renouait avec ses origines, réservée seulement aux grands de ce monde, alors que le bas peuple n’avait qu’un vague clocher comme référence temporelle. De nos jours, où l’on apprend à lire l’heure en même temps que l’alphabet, l’électronique fait office de clocher universel tandis que l’esthète arbore à son poignet un garde-temps qui, souvent, surpasse de loin la valeur de sa voiture pour éventuellement tutoyer celle de sa maison. Mais ce type de montre est une parcelle d’éternité, rétorque-t-on. Pourquoi pas. L’éternité est-elle donc devenue à ce point élitiste ? On ne saurait donc s’étonner si l’horlogerie a perdu du monde en route. Le rêve est devenu mirage. Aujourd’hui, il tourne au cauchemar.

Vers un nouvel équilibre des forces

Même mâtinée de métiers d’art de la plus belle facture, ce supplément d’âme qui souvent s’allie au génie mécanique, l’horlogerie n’en reste pas moins une activité industrielle par excellence. Sans cette base industrielle de pointe, qu’il est d’ailleurs essentiel de préserver, elle ne serait qu’un petit pré carré peuplé de quelques marginaux versés dans la sculpture cinétique, en d’autres termes une réserve d’Indiens et non le troisième secteur d’exportations helvétiques. Conformément à ce statut, cette branche économique a certainement des atouts à faire valoir. Ceux-ci se sont toutefois révélés si péremptoires que la montre mécanique suisse s’est acquis une hégémonie indiscutée sur les cinq continents, faisant de ceux qui la produisent les roitelets du cadran, bientôt les Crésus du « passe-temps ». On sait toutefois ce qu’il advient des régimes autocratiques, pour ne pas dire ploutocratiques. Tôt ou tard, le mécontentement sourd, la grogne monte, la rébellion s’organise. Moment charnière s’il en est qui demande, enfin, une stratégie intelligente pour y faire face.

Après avoir fait les escargots en attendant des jours meilleurs, les Maisons ont quelque chose à inventer qui ne relève pas d’un rapport d’engrenage ou d’un remontoir d’égalité.

En cette fin 2016, les horlogers ont bien compris qu’ils ne pouvaient emporter tout le monde sur leurs tapis volants. Boudés par un client qui ne se reconnaît certainement pas dans le sourire chevalin d’une star niaise bardée d’horlogerie et encore moins dans un salon feutré où tout visiteur non harnaché dans un costume trois-pièces passe pour un intrus, ils se doivent de renouer le dialogue pour mieux adapter leur offre et donc calibrer leur outil de production. Vaste campagne qui s’annonce. Après avoir fait les escargots en attendant des jours meilleurs, les Maisons ont quelque chose à inventer qui ne relève pas d’un rapport d’engrenage ou d’un remontoir d’égalité. Sont-elles démunies pour autant ? Certainement pas. Mais à l’heure où l’on parle de plus en plus sociétés de services, de démocratisation du luxe, de réseaux sociaux, d’e-commerce, d’authenticité du produit et de parler vrai, cela va demander du doigté, de la patience et un retour sur investissement qui vise l’amateur de montre en priorité et non l’actionnaire. L’année 2017 sera peut-être la sienne, après tout !

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