Quelle audace ! Quel panache ! Il en aura fallu à Van Cleef & Arpels pour oser dessiner pareille montre en 1935, alors même que le krach boursier de 1929 avait mis en berne les folies esthétiques de l’après-guerre. Pour la maison joaillière née au début du siècle de l’union amoureuse d’Alfred Van Cleef et Estelle Arpels, la créativité n’a jamais rimé avec les aléas de l’économie. Débridée, libérée de tout carcan, la montre Cadenas a traversé les décennies avec une modernité absolue. Seule contrainte imposée, politesse faite aux usages d’une époque où les élégantes ne lisaient l’heure qu’à la dérobée : le parti pris d’un cadran incliné et subtilement positionné de côté, visible uniquement par celle qui porte la montre.
L’histoire raconte que, comme le fameux collier Zip de Van Cleef & Arpels créé en 1950, la montre Cadenas aurait été inspirée par la duchesse de Windsor, amoureuse invétérée de bijoux et grande amatrice de la Maison de la place Vendôme. Les lignes droites de la boîte en or font écho aux designs industriels de l’époque. En guise de bracelet, une double chaîne serpent prolongée par un fermoir épousant les arrondis d’un cadenas. Cette esthétique avant-gardiste est signée par Renée Puissant, fille du couple fondateur de Van Cleef & Arpels et directrice artistique talentueuse dont on oublie souvent qu’elle fut, en collaboration avec le dessinateur René-Sim Lacaze, à l’origine de brillantes créations comme la Minaudière ou le Serti mystérieux, breveté sous sa direction.
La renaissance d’une icône
Bijou sentimental, joyau emblématique de la maison reconnaissable au premier regard, la montre Cadenas s’impose comme un succès de la fin des années 1930. La duchesse de Windsor est séduite. Les femmes raffinées l’adoptent. Il faudra toutefois patienter jusqu’en 2015 pour que Van Cleef & Arpels célèbre à nouveau l’élégance de cette montre ingénieuse. Quatre-vingts ans après sa naissance, la Cadenas se révèle alors dans un nouvel écrin. Les codes du modèle original sont toujours présents avec un boîtier à la géométrie rectangulaire prolongé par des attaches en forme d’arceau évoquant un cadenas. Mais son dessin évolue sensiblement avec quelques changements apportés au cadran, au sertissage ainsi qu’au fermoir.
Symbole de distinction dans les années 1930, l’heure ne se lit plus à la dérobée. La course du temps est désormais mise en avant au travers d’un cadran en nacre élargi où les 12 heures sont marquées par de fins index en or. Le sertissage initialement réservé aux parties supérieures du boîtier et du fermoir se révèle sous de nouvelles formes. Tour à tour parée d’un scintillant serti neige de diamants ou drapée d’un dégradé de saphirs roses et de diamants, la Cadenas reste fidèle à ses origines. La modernité du fermoir en prime. Celui-ci accueille deux fines billes de céramique pour une résistance de fermeture optimisée. La partie cachée et polie de l’attache prédispose à une gravure personnalisée et discrète. Quant au bracelet en double chaîne serpent, souple et doux comme une seconde peau, il s’accorde toujours au poignet dans un esprit joaillier assumé, tandis que le raffinement simple d’un bracelet en alligator s’invite également dans la collection. Accessoire contemporain d’une montre qui, depuis sa naissance, joue avec l’inattendu pour mieux déverrouiller les codes de la joaillerie et de l’horlogerie.