On aurait pu croire les Maisons horlogères désireuses de mettre en mode pause leurs ambassadeurs durant cette période où les marchés sont en pleine léthargie, Chine exceptée. On remarque qu’il n’en est rien. Mais les vieilles recettes semblent avoir fait long feu, Covid-19 oblige. Avec le confinement et une population mondiale contrainte à la sédentarisation, les priorités ont changé du tout au tout. Comme le rêve sur papier glacé incitant les consommateurs à la découverte serait plutôt un facteur de stress, vu l’immobilisme forcé, les Maisons horlogères ont bien compris tout l’intérêt de disposer d’un public captif. Le glamour a ainsi en grande partie cédé la place à la production de contenus qui collent à l’image de la marque et lui permettent de raconter des histoires : le fameux « storytelling » des gourous es marketing. Et dans ce registre, elles s’en sont donné à cœur joie. Résultat : on a vu toute une série de nouveaux visages, d’initiatives inédites et de partenariats originaux qui renouvellent le genre. Un foisonnement bienvenu à l’heure de la morosité ambiante.
Cette nouvelle architecture des « ambassades » horlogères pose immanquablement la question du personnel qui les peuple. En d’autres termes, l’actrice Charlize Theron fait-elle vendre des montres, elle qui incarne l’un des trois « visages » de la nouvelle Chronomat Lady de Breitling, aux côtés de la danseuse Misty Copeland et de l’actrice Yao Chen ? Si l’on en croit l’exégèse de la Maison, la femme Breitling, « une personne d’ambition, d’action et de style au sommet de son art », devrait donc s’identifier à ces trois égéries ? Georges Kern, CEO de la marque, semble être d’avis qu’il ne s’agit en rien d’une mission impossible.
Et pour se donner toutes les chances de succès, il a fait monter un studio au sein de la manufacture lui permettant d’organiser les présentations des nouveautés horlogères agrémentées d’entretiens réalisés en direct, notamment avec une Charlize Theron prise, quasi, au saut du lit. Au cas où on ne le saurait donc pas, Brad Pitt, qui fait également partie des « squads » de la Maison, est donc un « gars ben ordinaire » ! « Regardez nos boutiques, explique Georges Kern. Nous avons des tables de billard, des motos vintage, des murs en briques rouges. Même notre ambassadeur Brad Pitt, l’une des plus grandes stars au monde, est un type informel. Nous voulions éviter les associations classiques du luxe avec le tennis et la formule 1, par exemple. »
On aurait certes tort de croire que ce type de partenariat a complètement disparu. Pour preuve, TAG Heuer vient de signer avec la joueuse de tennis Naomi Osaka, championne du dernier Open d’Australie et actuellement 2e au classement mondial ATP. Quant à Bulgari, la Maison italienne a jeté son dévolu sur Zendaya, 24 ans, sacrée meilleure actrice de série dramatique aux Emmy Awards 2020, dans le but de se rapprocher des jeunes générations, conformément aux recettes marketing les plus classiques. Mais dans ce contexte, il s’agit d’abord et avant tout de bien faire comprendre au public qu’au-delà de leurs immenses talents, qui font d’eux des gens d’exception, ces personnalités du monde des arts et des sports sont bel et bien susceptibles de devenir des « amis ».
C’est ce qu’a toujours dit Richard Mille, dont la « famille » ne cesse de s’agrandir pour représenter aujourd’hui une parentèle d’une quarantaine de personnes qui vient d’ailleurs d’accueillir la jeune cavalière Flore Giraud comme nouveau membre. Et ces amis, finalement, ils font comme tout le monde ! À l’instar de Benedict Cumberbatch, ils partent en Nouvelle-Zélande – du moins quand les frontières sont ouvertes – faire de la plongée pour se ressourcer, une Polaris de Jaeger-LeCoultre au poignet, comme on peut le découvrir dans le court métrage réalisé par la Maison.
Les ambassadeurs deviennent ainsi des acteurs de fictions qui nourrissent l’imaginaire savamment entretenu par les marques. C’est exactement ce qu’a fait IWC avec Tom Brady, idole du football américain dont les qualités mises en scène dans un film retraçant sa carrière servent à illustrer celles du fondateur de la manufacture en 1868. Et l’on ne parle évidemment pas uniquement de fiction. L’univers de la styliste Yiqing Yin, membre du cercle restreint des Maisons de Haute Couture depuis 2015, forme ainsi un décor où la nouvelle collection Egérie de Vacheron Constantin peut s’épanouir. Le musicien et acteur taïwanais Jay Chu, qui vient de rejoindre les « compagnons » Tudor, est quant à lui censé incarner la devise de la Maison « Born to Dare » pour avoir bousculé les arcanes de la pop asiatique.
Mieux, les artistes sont aujourd’hui appelés à intervenir dans le long fleuve tranquille des manufactures, à l’image de Felipe Pentone, chargé de revêtir la manufacture Zenith d’un habit de lumières irisées comme le fit Christo avec tant de monuments célèbres. Chez Hublot, on n’hésite d’ailleurs plus à mettre les artistes au travail. Dernière création en date : la Classic Fusion confiée au plasticien japonais Takashi Murakami. Sans parler de ses nombreuses collaborations avec, notamment, le sculpteur Richard Orlinski et le street artist Shepard Fairey. Mais c’est encore et surtout du côté des chefs-d’œuvre de la nature qu’il faut regarder pour rendre compte des efforts marketing des Maisons horlogères. Car dans ce registre, elles sont clairement en train d’acquérir une conscience en se posant comme défenseurs de l’environnement.
Les partenariats se multiplient ainsi entre horlogers et ONG actives dans la recherche scientifique et la préservation des milieux naturels, essentiellement marins. Parmi les récentes collaborations en date, on relèvera ainsi celle de Blancpain avec Oceana, l’une des plus importantes organisations internationales dédiées à la conservation des océans. Dans le même registre, Ulysse Nardin vient de signer avec Ocearch, le principal organisme scientifique œuvrant à la protection des requins, animaux « fétiches » de la manufacture. Quant à Omega, c’est aux côtés de Nekton que la Maison s’est rangée, une fondation également engagée dans la préservation des mers. Toutes ces initiatives rejoignent la lutte de Reinhold Messner, considéré comme le plus grand alpiniste du XXe siècle, qui milite pour le respect de l’environnement en haute montagne. C’est d’ailleurs lui que Montblanc vient de choisir comme nouveau partenaire, dont la fondation en faveur des enfants va bénéficier du soutien de l’horloger. En 1986, Reinhold Messner a été le premier à avoir conquis les 14 sommets de plus de 8’000 mètres de la planète. On ne sait toujours pas quelle montre il portait…